Élodie, infirmière aux urgences de Thionville : « le rythme de travail est devenu insoutenable »

Les urgences de l’hôpital Bel-Air (CHR Metz-Thionvillle) connaissent une vague d’absentéisme sans précédent :  la semaine dernière, 55 des 76 soignants de l'équipe paramédicale étaient arrêtés, pour maladie. Élodie*, infirmière dans le service depuis 12 ans, témoigne.

Élodie, infirmière aux urgences de Thionville : « le rythme de travail est devenu insoutenable »

illustration © ricochet64 / ShutterStock

Comment expliquer ces arrêts maladie en cascade ?

Il y a un épuisement général car, depuis la crise de la Covid, la cadence est inédite.

Je n’ai jamais vécu une telle situation.

Avant, les pics d’activité étaient réguliers mais temporaires, on pouvait souffler entre deux.

Avec la crise sanitaire, les différentes épidémies, le manque de personnel et de lits, le rythme de travail est devenu insoutenable.

Comment se traduit cette situation dans votre quotidien ?

Cet hiver par exemple, en plein après-midi, on est monté jusqu’à 100 patients en même temps dans notre service.

Nous n’avions clairement pas les moyens pour les accueillir, ni même l’espace !

Nous avons 12 boxes, au-delà, les gens sont sur des brancards dans les couloirs, les uns à côté des autres. C’est compliqué de les traiter avec dignité et pudeur dans ces conditions.

Quand il faut mettre un bassin ou changer une personne, nous sommes souvent obligés de faire ça en plein milieu, en déplaçant les brancards et en installant, pour avoir un semblant d’intimité, des paravents…

Quand vous vivez de telles situations, comment vous sentez-vous vis-à-vis des patients ?

On se sent mal, démuni et impuissant.

On a l’impression de ne pas faire notre travail correctement alors qu’on fait le maximum. Quand on choisit de travailler aux urgences, on s’attend à des situations difficiles, mais les conditions actuelles sont inédites, inimaginables.

La durée maximale sur un brancard a été de 90 heures, c’est presque quatre jours…

On ne s’occupe pas des patients comme on le devrait, avec les droits qu’ils ont et les devoirs que nous nous devons de remplir.

Quand ils restent plus de 24 heures sur un brancard, leur état se dégrade, surtout chez les personnes âgées qui devraient toujours être dans un lit.

Que demandez-vous pour changer cette situation ?

Des lits d’aval tout d’abord mais aussi des places d’hospitalisation supplémentaires pour pouvoir orienter les patients dans le bon service dès que l’on a un diagnostic.

Avec la fermeture massive de lits depuis quelques années, c’est devenu très difficile d’avoir des places d’hospitalisation rapidement.

On a un service d’hospitalisation d’urgence mais il n’y a que 10 lits, qui sont généralement toujours pris. Le résultat est que les patients entrent par les urgences, qui devient un service d’hospitalisation, faute de place ailleurs.

On demande donc plus de moyens matériels et humains pour éviter cette situation, ainsi qu’une revalorisation du métier d’infirmière, qui est de moins en moins attractif.

Que pensez-vous des mesures prises par l’hôpital et l’Agence régionale de santé (ARS) ?

Ils ont promis le recrutement de soignants, mais cela semble compliqué…

Nous sommes à la frontière avec le Luxembourg, où les professionnels de santé sont bien mieux payés.

Beaucoup de jeunes diplômés, formés à l’institut de formation de Metz ou de Thionville, partent directement travailler là-bas.

La pénurie de personnel est une problématique nationale mais, ici, elle est exacerbée. Ils vont avoir beaucoup de difficultés à recruter et ils n’ont d’ailleurs pas donné de délais précis.

Comment vous envisagez l’avenir ?

On a peur de retomber dans le cercle de l’épuisement et de la fatigue, mais il faut bien reprendre et on espère que ce sera sur de meilleures bases.

Néanmoins, un préavis de grève est déposé pour le 10 janvier car on va continuer à se battre pour le bien des patients.

Diane Cacciarella

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*le prénom a été modifié

L'ARS promet le recrutement de six infirmiers et de six aides-soignants

L'ARS promet le recrutement de six infirmiers et de six aides-soignants

© Diane Cacciarella

Face à cette vague d'arrêts maladie, le centre hospitalier régional (CHR) Metz-Thionville et de l'agence régionale de santé (ARS) Grand Est ont annoncé plusieurs mesures lors d’une conférence de presse qui a eu lieu mardi 3 janvier.

Au niveau de l’hôpital Bel-Air de Thionville, la direction promet le recrutement de six infirmiers aux urgences et de six aides-soignants.

"Ces renforts et ces recrutements pourront se faire au cours des prochaines semaines et des prochains jours et j'ai bon espoir d'apporter une première réponse très prochainement", a promis David Larivière, le directeur général par intérim de l'établissement.

Un travail sera aussi mené par la commission médicale d’établissement (CME), en lien avec les équipes médicales des services et des urgences, au sujet de la protocolisation des sorties de patients vers les étages.

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