Chimiothérapies : à la reconquête du goût et de l’odorat

Une étude clinique inédite, ''Re-nez-sens'' démarre en octobre dans le gustarium du syndicat AOC Languedoc, à Montpellier. Monté avec le CHU et l'Institut régional du cancer (ICM) de Montpellier, le programme vise à rééduquer le goût et l'odorat de patients autogreffés après chimiothérapie intensive.

Séance de travail dans le laboratoire sensoriel du Mas de Saporta. À gauche, le Dr Estelle Guerdoux, neuropsychologue à l'ICM

Séance de travail dans le laboratoire sensoriel du Mas de Saporta. À gauche, le Dr Estelle Guerdoux, neuropsychologue à l'ICM. © DR

Selon plusieurs études rappelées par l’ICM, 46 % à 77 % des patients sous chimiothérapie connaîtraient une altération du goût et de l’odorat voire leur disparition (agueusie et anosmie).

Associée ou non à une mucite (inflammation des muqueuses), cette altération peut avoir des conséquences non négligeables en matière d’appétit et donc de nutrition et d’hydratation.

Par ailleurs, « de grosses souffrances sont liées à ces troubles qui altèrent la qualité de vie et le bien-être psychologique », indique Evelyne Tallarida. Cette ex gérante d'une société de recherche clinique à l'hôpital Saint-Eloi a rencontré beaucoup de patients souffrant d'hémopathies malignes (myélomes multiples, leucémies, lymphomes...). Elle est à l'origine d'Ensangble, collectif d'associations de patients auto-greffés qu'elle préside.

Retrouver le goût et l'odorat

« Ces symptômes ont pu être considérés comme secondaires et il n'y avait pas de prise en charge », explique le docteur Franciane Paul, praticien hospitalier dans le service hématologie, à l'hôpital Saint-Eloi (CHU de Montpellier). A la demande du collectif, des sessions de stimulation et de rééducation ont été mises au point avec le service d'hématologie clinique du CHU et une onco-neuropsychologue de l'ICM, selon un protocole rigoureux et un cahier des charges très strict.

Objectif : aider les malades agueusiques et anosmiques à retrouver leurs fonctions sensorielles. L'étude randomisée qui a été imaginée, va démarrer en octobre avec une dizaine de patients en post greffe (de cellules souches hématopoïétiques, NDLR).

'' Elle s'appuie sur une session de trois ateliers de stimulation rééducation sensorielle de 2h par patients, une fois par semaine, pendant trois semaines, avec deux types de tests '', précise Evelyne Tallarida. Le tout couplé à des questionnaires sur la qualité de vie, les troubles vécus, les activités physiques pratiquées ou pas, etc. D'ici deux ans, cinquante quatre patients devraient y être intégrés.

« Ils auront à reconnaître des odeurs de fleurs, de fruits, de chocolat, d'huiles essentielles », explique Fanny Baguet-Marin, attachée de recherche clinique au CHU. ''Pour le goût, des petites bandelettes permettront de tester des saveurs salées, sucrées, acides, amères.'' Des concentrations différentes permettront de déterminer des seuils de perception. Et les exercices sont aussi à faire à la maison, pour s'entraîner. Avec usage d'un spray pour stimuler la production salivaire. « On peut supposer que le goût et l'odorat reviennent naturellement », prévient l'attachée de recherche. « La moitié de la cohorte ne sera donc pas soumise aux tests. »

Évaluations dans le temps

La totalité des patients inclus dans le protocole seront évalués trois mois après la session, avec les mêmes outils, tests objectifs et questionnaire psychologique que fera passer une infirmière de recherche clinique. Et encore une fois, trois mois plus tard. ''Nous pourrons observer comment les symptômes des uns et les autres évoluent dans le temps », ajoute Franciane Paul. Qui a retrouvé ses fonctions sensorielles, et comment et tout est quantifié par l'équipe médicale. Une infirmière en pratique avancée (IPA) participe aussi à l'étude, comme interface avec le patient, le milieu familial et l'hôpital, notamment le service hématologie. « S'il y a quelque chose de signifiant cela pourra être rapporté aussitôt. »

Les ateliers, eux, ne se font pas à l'hôpital. « Les patients auto-greffés rentrent chez eux, les faire revenir là où il y a eu des soins les ramènerait à la maladie, nous disposons d’un lieu neutre, beau, plein de vie », évoque la présidente de Re-Nez-Sens. C’est le gustarium du syndicat AOC Languedoc, à Lattes, près de Montpellier, prenante dans la construction du protocole, qui accueille. Cette maison des vins innovait déjà il y a trente ans avec des ateliers dégustations pour vignerons. Elle a créé une école des vins qui est aussi celle du goût. '' Nos ateliers nous avaient donné l'occasion de rencontrer des personnes agueusiques et anosmiques, les causes étaient médicamenteuses là aussi », confie Jean-Philippe Granier, expert sensoriel, qui dirige la Maison des vins du Languedoc. « Le Covid a eu les mêmes effets sur certains patients », rappelle le vigneron, initialement formé comme docteur en pharmacie. Le goût au sens large est une vocation.

Ce dernier travaille depuis cinq ans, avec Ensangble et l'équipe médicale et scientifique, sur les sessions de l'étude ''Re-Nez-Sens'' qui n'ont rien à voir avec les dégustations classiques d'œnologues. « Ces personnes ont été malades et l'on ne peut pas leur faire sentir n'importe quel produit. » Si les conclusions sont probantes, l'étude pourrait à terme être reconnue au niveau national et le protocole élargi à d'autres pathologies nécessitant des chimiothérapies intensives. « Retrouver son système sensoriel est une renaissance », rappelle Evelyne Tallarida.

Myriem Lahidely

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