Le « Damage control » pour faire face en cas d’attentat

Des professionnels de santé de toutes les régions se forment depuis 2015-2016 à la prise en charge de victimes d'attentat par les techniques du damage control. Les formations, de quelques heures à plusieurs jours, leur donnent les clés, théoriques et techniques de ce mode d'intervention exceptionnel pour situation exceptionnelle. Article paru dans le numéro 32 d'ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2019). 

Exercice Damage Control grandeur nature au CESU 76

Exercice Damage Control grandeur nature au CESU 76. © CESU 76

Les attentats terroristes qui ont frappé la France ces dernières années ont conduit les pouvoirs publics à vouloir former davantage de professionnels, notamment soignants, au damage control, une doctrine de soins qui vise à sauver le maximum de victimes (voir encadré).

« La formation des acteurs du système de santé aux urgences et aux situations sanitaires exceptionnelles constitue un axe fort de l’actualisation du cadre de préparation du système de santé aux situations sanitaires exceptionnelles (...) et en particulier des établissements de santé », indique l'instruction publiée en juillet 2018 par la DGOS et la DGCS sur les orientations en matière de développement des compétences des professionnels hospitaliers. Elle constitue l'un des axes prioritaires pour 2019 et comprend, au côté de formations aux risques NRBC-E, par exemple, celles au damage control.

Cette approche s'est développée en France après les attentats de novembre 2015 à Paris. « Des médecins militaires et du Samu de Paris ont organisé au Val de Grâce (l'hôpital d'instruction des armées, à Paris, NDLR) une formation pour former des référents de toute la France – des médecins, des chirurgiens, des cadres administratifs d'hôpitaux – qui ont eu pour mission de diffuser ces informations » dans leur région, explique le Dr François-Xavier Moronval, responsable du centre d'enseignement des soins d'urgence des Vosges (CESU 88) et référent pour ce département.

Pour aller plus loin : formation DPC continue pour les infirmiers et infirmières

Exercices de simulation

A Rouen, le CESU 76 dispose d'un « Medical training center » hyper équipé et a organisé, fin 2017, une formation exceptionnellement longue (trois jours) et variée. Une première en France. Sur les quarante-cinq participants, tous volontaires et venant de tout l'ouest de la France, vingt étaient des infirmiers (IDE de services d'urgences, Iade et Ibode), indique le Dr Cédric Damm, directeur du CESU 76.

La majeure partie de la première journée a été consacrée à la théorie avec les présentations de médecins (hospitaliers, des pompiers et du Raid) qui ont expérimenté le damage control. Au delà des principes, « ils ont évoqué les enjeux de communication, de prise de décision, de hiérarchisation des décisions, les interactions entre les services intervenants… », raconte le Dr Damm.

Les participants ont terminé cette journée par un escape game pour faire connaissance, dans la perspective des ateliers du lendemain. Au cours de cette deuxième journée, trois groupes ont « tourné » sur des ateliers pratiques : pose de voie intra-osseuse sur des corps donnés à la science, simulation numérique d'une intervention, simulation sur table d'un triage de victimes intra-hospitalier et communication radio (un enjeu important en cas de déficience des réseaux téléphonique).

Ils ont terminé par une simulation de situation sanitaire exigeant une réponse en mode damage control... avec des Playmobils ! Un infirmier du CESU a en effet eu l'idée, il y a quelques années, d'utiliser ces petits personnages et leurs véhicules pour simuler différentes situations de crise dans lesquelles des soignants doivent prendre en charge des victimes multiples. Le medical training center dispose d'une grande "scène" de 6 m2 pour mettre en scène et modéliser ces situations en temps réel mais en réduction. 

Le troisième jour était consacré à un exercice « grandeur nature », explique Françoise Fillatre, ex-cadre de santé au CESU, qui a monté la formation avec le Cédric Damm. La simulation portait, poursuit-elle, « sur une attaque dans le medical training center par deux terroristes », faisant une trentaine de blessés et impliquant, outre les soignants, tous les intervenants potentiels sur ce type d'événement, pompiers, brigade de recherché et d'intervention (BRI) de la police, etc.

Exercice grandeur nature

« La mise en scène, avec des pétards, de la fumée, une bande sonore angoissante était assez impressionnante, souligne le directeur du CESU 76. Le grimage des figurants, qui présentaient des défigurations, des éventrations ou des amputations, a pris deux heures. »

Dans cette atmosphère stressante, les participants ont du gérer l'évacuation, le triage et le « conditionnement » des victimes avec la pose de garrots « tourniquet », de pansements compressifs...

D'autres exercices ont mobilisé ce jour-là des professionnels spécifiques : afflux massif de victimes en salle de réveil pour les anesthésistes et les IDE, gestes antihémorragiques d'urgence au bloc pour les chirurgiens et les Ibode sur des corps donnés à la science, simulation d'un patient en choc hémorragique sur les mannequins haute fidélité pour les médecins et infirmiers de Smur, etc. Des exercices retransmis en vidéo pour ceux qui n'y participaient pas.

Une nouvelle édition de cette formation, qui mobilise beaucoup de moyens (même l'hélicoptère du CHU !), se tiendra en novembre 2019. Mais des formations plus courtes, toujours en multiprofessionnel, sont organisées régulièrement, en Normandie comme ailleurs.

S’entraîner : une nécessité

Formation Damage Control au CESU 88

Formation Damage Control au CESU 88. © CESU 88

Dans les Vosges, le CESU 88 a aussi organisé en mai 2018 un exercice multiprofessionnel avec une quarantaine de blessés, qu'il réitèrera chaque année. L'instruction de juillet dernier incite les établissements à développer les exercices et mises en situation de ce type. En mars 2018, ce CESU a également proposé un colloque de formation d'une journée sur « la prise en charge de blessés en cas d'attentat » en lien avec l'Agence nationale pour la  formation permanence du personnel hospitalier (ANFH) et auquel de nombreux infirmiers ont assisté.

« Il a déroulé les différentes étapes de la prise en charge des victimes », décrit le Dr Moronval. Parmi les thématique abordées : le rôle en pré-hospitalier des secouristes et des pompiers, la pratique par les professionnels du Samu des premiers soins d'urgence face à des blessures peu fréquentes, l'organisation intrahospitalière en cas d'afflux massif de victimes, la notion de tri des victimes, le damage control chirurgical, ou encore les techniques spécifiques de réanimation. Le CESU 88 a également développé une formation théorique et pratique d'une journée à la prise en charge des blessés en cas d'attentat. Pour ceux qui ont déjà suivi une formation, des « piqures de rappel » de deux et quatre heures sont également proposées.

« Pour être bon, il faut pratiquer et donc s'entraîner », estime Céline Goode, une infirmière au Samu de Rouen qui a suivi les trois jours de formation en 2017. Les situations concernées surviennent en effet rarement. Formée aux interventions en cas de catastrophe, l'infirmière a mieux compris l'articulation, dans ce contexte plus stressant encore, entre les interventions pré-hospitalières et les autres, et les moyens de gagner du temps. « On se rend compte, souligne-t-elle, qu'il faut limiter toutes les étapes intermédiaires ». Et que les soignants se retrouvent parfois isolés.

Des gestes… à la réflexion

Céline Goode a ainsi pratiqué la pose de perfusion intra-osseuse, même si ce geste n'est pas clairement cadré par le décret infirmier, et manipulé, pour la première fois, le pansement compressif qui se trouve désormais dans les sacs « attentat » des véhicules du Smur. Elle a trouvé cette formation « hyper intéressante », tout comme Clémence Barbillon, IDE aux urgences du centre hospitalier d'Epinal.

Cette dernière a suivi une formation (obligatoire) d'une demi-journée avec tous ses collègues des urgences et de réanimation. Elle a notamment travaillé sur la façon dont l'accueil et le tri des victimes se déroulerait au sein de l'hôpital, visualisés sur des plans, « avec les points d'accès, les zones de répartition des victimes à partir du hall de l'hôpital, l'endroit où chacun serait placé, quels seraient les circuits des patients, pour ceux qui seraient valides ou pas, pour ceux qui devraient aller au bloc le plus vite possible... ».

La formation a fait émerger des réflexions sur le stress inhérent à ce type de situation et des interrogations liées à la possibilité que des proches puissent être touchés...

Généraliser la formation ?

Iade au bloc du CHU de Rouen et référente Plan blanc, Cécile Faudemer a découvert le damage control lors de la formation de trois jours. Même si elle travaille au bloc, elle sait qu'elle peut se retrouver à intervenir en mode « extra-hospitalier » face à un type d'urgence exceptionnel. Idem pour les infirmières des urgences ou de réa, comme le remarque Clémence Barbillon. Tous les Iade, les Ibode, les soignants des urgences, des blocs, de salle de réveil et de réanimation devraient être formés à cette approche, estime Cécile Faudemer. « Et les autres sur la base du volontariat », ajoute-t-elle, car le damage control peut-être très stressant et éprouvant psychologiquement.

Pour sa consoeur d'Epinal, les exercices de simulation sont nécessaires pour appréhender le damage control, dont les principes et les gestes essentiels devraient, selon elle, être au moins évoqués en IFSI, au même titre que le massage cardiaque.

Géraldine Langlois

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Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le N°32 d'ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2019). 

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Les principes du damage control : optimiser la survie

Le damage control est une approche particulière des soins lors de situations, exceptionnelles, attentat ou catastrophe naturelle, dans lesquelles un grand nombre de victimes présente des blessures graves et est pris en charge dans un contexte d'insuffisance de moyens.

« Comme pour la chaîne de survie en cas d'arrêt cardiaque, plus les maillons s'enchaînent rapidement, plus on augmente les chances de survie des blessés, souligne le Dr François-Xavier Moronval, responsable du CESU des Vosges. C'est d'autant plus important en cas de blessures par balle dont le risque hémorragique est élevé. L'enjeu réside alors dans l'accès rapide à la chirurgie. » Il s'agit donc de limiter les premiers soins à la stabilisation du statut vital des victimes par les soins ou la chirurgie, avant de réintervenir ultérieurement.

Il s’agit de connaître les outils de l'urgence vitale comme le garrot tourniquet, le pansement compressif ou l'acide tranexamique (anti-hémorragique) mais « il n'y pas tant de gestes spécifiques que cela, estime le médecin. Le damage control, c'est surtout un état d'esprit. Il faut penser différemment, optimiser la survie. On sait qu'on ne pourra pas sauver tout le monde mais on essaie de sauver le plus de victimes possible. »

La formation via la simulation numérique

Une société de création de simulateurs numériques médicaux a créé, avec un comité scientifique et pédagogique de spécialistes, une plateforme de simulation numérique de la réponse en mode damage control à des situations d'attentat, Traumasims.

« Notre logiciel utilise la technique du jeu vidéo et plonge les utilisateurs dans une situation impliquant une multiplicité de victimes », explique Franck Amalric, directeur général de la société Medusims. Cet outil, qui s'inscrit dans une formation plus large,  s'adresse aux soignants de tous profils et aux pompiers. Il propose une bibliothèque de 48 cas cliniques à partir de laquelle « les formateurs peuvent créer un nombre quasi infini de scénarios », ajoute le directeur. Ils peuvent varier le nombre de victimes, le type et l'intensité de leurs blessures, les niveaux d'urgence, les ressources disponibles en professionnels et capacités d'évacuation...

Outil d'entraînement, Traumasisms évalue la façon dont les utilisateurs trient les victimes, choisissent les gestes techniques à effectuer mais aussi gèrent leur stress, la « surcharge cognitive » et leur temps.

Pour aller plus loin :
Formation DPC Traiter l’urgence en situation sanitaire exceptionnelle
Formation DPC Situations sanitaires exceptionnelles et urgences

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