Mobilisation soignante du 17 décembre : la question des retraites s’ajoute aux autres inquiétudes

La question des retraites a visiblement pris le pas, le 17 décembre, sur les nombreux autres sujets d’inquiétudes comme les conditions de travail ou le manque de moyens. Mais, pour les syndicalistes représentants les soignants, qui ont privilégié une présence massive au sein de la manifestation contre le projet de réforme des retraites, tout se tient.

Mobilisation soignante du 17 décembre : la question des retraites a pris le pas sur d'autres inquiètudes

© C.Clerc / ActuSoins

« Il faut défendre le financement de la Sécurité sociale. Cela englobe les retraites, le financement de l’hôpital public, les moyens… », affirme Rose-May Rousseau, secrétaire générale de l' Usap-Cgt (Union syndicale de l’AP-HP).

« Les soignants sont à la triple peine. Ils n’ont pas été augmentés depuis longtemps. Ils se prennent de plein fouet la réforme des retraites. Leurs conditions de travail se dégradent et ils font face à la remise en cause du financement de l’hôpital avec un ONDAM (le budget de l’Assurance maladie) très insuffisant. L’hôpital a ainsi du mal à recruter et il y a un problème de fidélisation des soignants », soutient Marianne Journiac, aujourd’hui retraitée et ancienne secrétaire générale adjointe CGT du siège de l'AP-HP.

Concernant les retraites, Rose-May Rousseau souligne que « dans un milieu essentiellement féminin, les carrières sont rarement complètes », ce qui va impliquer un net recul des pensions. « La question de la valeur du point se pose aussi alors que les salaires sont gelés », ajoute-t-elle.

Pour Marianne Journiac, « abandonner la caisse actuelle de retraite du personnel hospitalier et des fonctionnaires territoriaux, bien gérée et bénéficiaire, pour l’intégrer dans le régime général, ne permettra pas de prendre en compte les spécificités des conditions de travail des soignants et la pénibilité ». Bilan : « Il faudra capitaliser dans des assurances privées. C’est ce qu’ils cherchent à faire », craint Rose-May Rousseau.

Rose-May Rousseau, secrétaire générale de l' Usap-Cgt (Union syndicale de l’AP-HP) et Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI

Rose-May Rousseau, secrétaire générale de l' Usap-Cgt (Union syndicale de l’AP-HP) et Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI . © C. Clerc

Pour en savoir plus, sur l’impact du projet de réforme des retraites, ActuSoins s’est tourné vers Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers.

Dans le projet de réforme, quels sont les principaux points (sans jeux de mots) qui impactent les soignants ?

Thierry Amouroux : Dans le public, les agents de la catégorie B, dite active, qui regroupe notamment les aide-soignantes et une partie des infirmières (celles qui ont fait le choix de rester dans cette catégorie au lieu d’intégrer la catégorie A, ndlr), sont particulièrement pénalisés.

Aujourd’hui, ils  peuvent partir cinq ans plus tôt - soit 57 ans dans les conditions actuelles-  et touchent une retraite en fonction des trimestres cotisés. Si le projet passe, cela disparaît pour être remplacé par le compte de prévention de la pénibilité qui existe déjà dans le privé. Mais, on le voit dans le privé,  ce compte pénibilité est une usine à gaz et de nombreux soignants n’arrivent pas à faire valoir leurs droits.

Lors de la création de ce compte, dix critères de pénibilité étaient pris en compte. Depuis 2017, quatre ont été supprimés, notamment la manipulation de charges lourdes et celle de produits chimiques qui concernent tout particulièrement  les soignants. En outre, la pénibilité prise en compte permet, au maximum, de partir deux ans  plus tôt. Entre cinq années automatiques et deux années maximum pour quelques uns, cela fait une grande différence. Quant le gouvernement dit qu’il fait des choses pour les aide-soignants et les infirmiers, il fait des choses, oui, mais en pire !

Pour ceux et celles qui sont passés en catégorie A, ils vont certes bénéficier de la pénibilité, mais cela ne compensera pas, loin de là, l’impact général de la réforme.

ActuSoins : Quelles sont les conséquences de l’instauration prévue d’un âge « pivot » ?

T.A. : Cette mesure concerne tout le monde. On touche au portefeuille avec l’âge pivot qui implique un malus de 5 % par an pour un départ en retraite avant 64 ans. Une aide-soignante qui toucherait 1500 euros de retraite verrait donc ce montant amputé de 10 %, si elle part à 62 ans au lieu de 64, et ne toucherait plus que 1350 euros. En outre, le projet prévoit de mettre en place l’âge pivot dès 2022, progressivement jusqu’en 2027, en augmentant l’âge de départ « pivot » de quatre mois chaque année.

ActuSoins : Le métier de soignant est très féminisé. Cela change-t-il la donne ?

T.A. : Contrairement à ce qui est dit, le projet est particulièrement pénalisant pour les femmes qui représentent près de 90 % des soignants. En effet, elles ont des carrières hachées.

Certaines se sont arrêtées pour élever leurs enfants, d’autres se sont mises en temps partiel et d’autres, encore, ont connu des périodes de chômage, par exemple quand elles ont suivi leur conjoint muté  dans une autre région.

En prenant en compte la totalité de la carrière, et non plus les 25 meilleures années (dans le privé), pour le calcul de la retraite, on y ajoute les 17 pires. Au final, les soignantes du privé vont perdre environ 20 %. Pour elles, c’est la triple peine.

Elles sont impactées par l’âge pivot et le changement de mode de calcul, et il faut ajouter la disparition de la bonification liée aux huit trimestres supplémentaires accordés par enfant, contre une bonification de 5 % du montant de la retraite par enfant. Dans le public, la perte liée au nouveau mode de calcul est plus difficile à calculer. Sera-t-elle inférieure ou supérieure à 20 %? Il faut attendre d’avoir plus de détails. On s’attend à voir arriver une deuxième version du projet prochainement et, lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée, des amendements, dans un sens ou un autre, peuvent être adoptés.

Enfin, avec le nouveau système prévu pour les pensions de réversion, cela va baisser pour quasiment tout le monde. Prenons deux retraités touchant chacun 1000 euros. Aujourd’hui, au décès de l’un des deux conjoints, le conjoint survivant touche la moitié de la pension de la personne décédée, soit 1500 euros au total. Demain, il est question de garantir 70 % des revenus du couple… soit 1400 euros.

Propos recueillis par Cyrienne Clerc

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