Initiation et sensibilisation à la gestion des risques

Depuis quelques années, le terme « gestion des risques » est à « la mode » dans le monde sanitaire et dans les établissements de santé. Le développement des visites de certifications a permis de commencer à diffuser la culture de la gestion du risque au sein des services et des équipes. Auparavant, les protocoles de soins prévoyaient des mesures de prévention afin essentiellement d’organiser la gestion des complications.

Une analyse des risques doit être collégiale, intégrer tous les métiers de l’établissement et couvrir l’ensemble des secteurs d’activité concourants au fonctionnement quotidien.

Une analyse des risques doit être collégiale, intégrer tous les métiers de l’établissement et couvrir l’ensemble des secteurs d’activité concourants au fonctionnement quotidien.

Les méthodes déployées dans le monde de la santé viennent pour la plupart de l’industrie. Très tôt, les industriels, et en premier les usines Ford, ont compris l’intérêt de gérer en « amont » les éventuels dysfonctionnements pouvant avoir des conséquences essentiellement financières pour leur activité. Depuis une vingtaine d’année, la thématique environnementale et le développement durable sont en outre devenus un axe fort de travail notamment sous la poussée du grand public.

Ces méthodes de gestion des risques (GDR) sont désormais solides et éprouvées dans le monde de l’industrie. Elles nécessitent néanmoins d’être adaptées pour le monde de la santé afin de mieux répondre aux attentes et aux besoins des utilisateurs.

En France, les secteurs à la pointe de la GDR sont l’aéronautique, les transports (RATP, SNCF), la pétrochimie, la production d’énergie et les assurances. Il ne faut pas perdre de vue que ces méthodes répondent aux besoins des industries concernées, en termes de rentabilité du process de production.

Le monde de la santé

Cet ouvrage L’erreur est humaine Construire un système de santé plus sûr, paru en 2000, peut être considéré comme la « naissance » de la gestion des risques dans le monde sanitaire.

Cet ouvrage (« L’erreur est humaine – Construire un système de santé plus sûr »), paru en 2000, peut être considéré comme la « naissance » de la gestion des risques dans le monde sanitaire.

La parution de l’article « To err is human, Building a safer Health System » (« L’erreur est humaine – Construire un système de santé plus sûr »), en 2000, peut être considérée comme la « naissance » de la GDR dans le monde sanitaire. Pour la première fois, des auteurs (Kohn & al) osent revendiquer le droit à l’erreur dans les soins. Ils décrivent la réalité du terrain. Cet ouvrage a été un véritable « électrochoc » pour les professionnels de santé.

Jusqu’à cette publication, une sorte « d’omerta culturelle » interdisait de dire que les soignants et/ou les organisations pouvaient commettre des erreurs. C’était presque « politiquement incorrect » de le dire, de l’écrire ou de le penser…

Comme souvent, les pays anglo-saxons ont débuté cette démarche bien avant la France. Dès les années cinquante, ils ont créé des organismes d’évaluation, d’étude et de formation des soignants (Joint Commission, NHS).

En France, les premières enquêtes ENEIS (Enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins) en 1995 mettent en évidence l’existence d’événements jusque là « jamais envisagés… », comme un patient intubé par un ambulancier, une erreur de coté ou de site opératoire, un décès sur allergie signalée ou encore le décès d’un patient dans un ascenseur bloqué. Petit à petit, le monde de la santé intègre la culture de la gestion du risque. Les professionnels acceptent l’idée qu’ils peuvent se tromper.

Les services « Qualité » voient rapidement le jour, sous l’impulsion de qualiticiens « transfuges » de l’industrie, pharmaceutique et agro-alimentaire notamment. Ces derniers appliquent les méthodes efficaces mais parfois « mal adaptées » aux spécificités du monde des soins.

La HAS (Haute Autorité de Santé) intègre un volet « Qualité-GDR » dans les critères des visites de certification. Cette agence prend « la main » sur ce domaine. En effet, elle a une vision globale des problématiques rencontrées par l’ensemble des hôpitaux ainsi que des grandes thématiques cindynogènes. Les grilles d’évaluation deviennent plus exigeantes au fur et à mesure des visites.

Actuellement les critères « Qualités-GDR » sont très axés sur les activités de soins - prise en charge de pathologies et réalisation d’actes techniques, organisation des secteurs à risques - et sur les secteurs non soignants concourant à l’exploitation des établissements comme les ressources humaines et le budget. Cependant il reste une partie des activités non « soignantes » mais en relation directe avec la mise en oeuvre quotidienne d’un centre hospitalier (logistique, maintenance générale de la structure, assurance, finance et image) à prendre en compte.

Certaines sociétés savantes (SFAR, Orthorisq, Gynérisq) ont pris cette thématique en compte depuis plusieurs années. Ces disciplines ont historiquement intégrées la GDR pour diverses raisons. Les patients n’acceptent pas les conséquences « fâcheuses » d’une anesthésie (« ce n’est pas une maladie ») ou un drame lors de la prise en charge d’une naissance qui est par définition un « heureux événement ».

Gestion des risques à l’hôpital…

La GDR peine encore à trouver la place qui devrait être la sienne dans les formations des soignants ainsi que dans l’activité quotidienne des hôpitaux. Culturellement les soignants n’ont pas intégré la possibilité qu’en soignant, ils puissent générer des risques pour un patient. Pourtant un patient malade accepte de n’être guéri que partiellement. Il accepte le « non 100 % » de réussite et les éventuelles complications.

Les établissements de soins se concentrent sur des risques identifiés qui coûtent en terme d’indemnisations (actes chirurgicaux et d’anesthésies, maternité). En termes d’image les conséquences d’incidents dans ces disciplines peuvent avoir des effets dévastateurs pour un établissement.

Les modules de formation à la GDR sont depuis peu intégrés aux formations médicales et soignantes. Mais cela reste souvent cantonné au domaine « médical ». Les soignants restent encore très « spectateurs ».

Le rôle de ces soignants - médicaux et non médicaux - est pourtant prépondérant dans la recherche sur cette thématique ainsi que pour la diffusion de la culture de « gestion des risques ». Ces acteurs de terrain « vivent » auprès des patients au quotidien.

Il est donc primordial que chacun se sente investi par cette dynamique. De l’accueil administratif, en passant par le bloc opératoire, la réanimation, le laboratoire et la cuisine, la totalité des agents, quelque soit leur métier, doivent se considérer comme des acteurs incontournables de la gestion globale des risques dans la prise en charge des patients.

Les différences de cultures professionnelles ont parfois tendance à « limiter » la participation des non médecins à la gestion des risques. Il est important de vaincre ces réticences. La qualité de la contribution d’un soignant n’est pas liée à sa qualification professionnelle. Des champs de compétences se dessinent naturellement, mais c’est l’ensemble de ces actions qui in fine va améliorer la sécurité globale du fonctionnement des établissements de soins.

Explorer l’ensemble des secteurs concernés

Il est illusoire d’espérer sécuriser un établissement de soins sans réaliser une cartographie complète des risques. Il existe différentes méthodes pour réaliser ce travail afin de connaître au mieux les forces et les faiblesses d’un établissement. Il doit être collégial, intégrer tous les métiers de l’établissement et couvrir l’ensemble des secteurs d’activité concourants au fonctionnement quotidien. Il faut réaliser une analyse systémique de l’organisation et ne jamais rechercher des responsabilités personnelles.

Le service Qualité-GDR doit venir en appui à cette démarche afin de garantir le respect de la méthodologie ainsi que l’apport des plus récents éléments, législatifs et scientifiques. Le service Qualité aide à la réalisation du travail en apportant une méthode mais c’est aux équipes de s’approprier les outils.

La GDR ne doit pas être exclusivement centrée sur les patients. Il faut aussi intégrer l’organisation des services. Par exemple, le fonctionnement des ascenseurs est un point stratégique. Si les malades, les équipes, les matériels ne peuvent plus se déplacer dans l’établissement, cela nuira gravement à son fonctionnement ainsi qu’à la sécurité générale. Or des hospitaliers travaillant en sécurité offriront un haut niveau de sécurité aux utilisateurs des structures de soins.

Gestion des risques : la méthode Alarm pour structurer l’analyse des causes

La méthode Alarm a été développée par Charles Vincent et son équipe. Cette méthode est basée sur une analyse a posteriori (après la survenue de l’événement indésirable).

Elle s’inspire des travaux de James Reason sur la gestion des risques et de son modèle de dynamique de survenue d’un accident, en « fromage suisse », basé sur le principe des barrières de défense permettant de rattraper « les erreurs » (voir schéma).

La méthode Alarm pour structurer l'analyse des causes

Toutes les équipes sont confrontées à des erreurs latentes (en relation avec les organisations de travail) et des erreurs patentes (tout soignant fait des erreurs). Afin de limiter la gravité des conséquences pour les patients et les services, il s’agit de mettre en place des barrières de protection. Ces barrières sont redondantes afin de récupérer le maximum de situations dangereuses. La méthode Alarm explore sept familles de facteurs contributifs à la survenue de l’accident. Ce travail doit être réalisé de manière collégiale avec l’ensemble des personnes concernées par l’incident.

Bibliographie

Analyse globale des risques : Principes et pratiques
Auteur(s) : Alain Desroches, Nadia Aguini, Michel Dadoun, Sébastien Delmotte. Editeur(s) : Hermès - Lavoisier
AMDEC : Guide pratique, de Gérard Landy.
AFNOR éditions
Pourquoi ça ne marche pas ? Résoudre les problèmes - Eliminer les racines du mal
Auteur(s) : Serge Bellut. Editeur(s) : AFNOR
Les décisions absurdes, Sociologie des erreurs radicales et persistantes
Auteur(s) : Christian Morel. Editeur(s) : Gallimard
Les décisions absurdes - Volume II, Comment les éviter
Auteur(s) : Christian Morel. Editeur(s) : Gallimard
Les décisions absurdes t.3 ; l’enfer des règles ; les pièges relationnels
Editeur(s) : Gallimard
Les facteurs humains dans la gestion des risques, Evolution de la pensée et des outils
Corinne Bieder. Editeur(s) : Hermès - Lavoisier.

Stéphane Etienne
IADE Infirmière anesthésiste

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Cet article est paru dans le n°30 sept-oct-nov 2018 d'ActuSoins Magazine.

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