Des infirmières au coeur du nucléaire

Une centaine d'infirmières travaille dans les centrales nucléaires françaises. Salariées d'EDF, elles veillent sur la santé des travailleurs de ces sites sensibles. Nous avons rencontré ces spécialistes de la radioactivité dans la centrale nucléaire de Paluel, en Normandie.

Une partie de l'équipe du service de santé de la centrale nucléaire de Paluel. L'infirmière, Catherine Martin (à droite) porte sur sa blouse son dosimètre.

Une partie de l'équipe du service de santé de la centrale nucléaire de Paluel. L'infirmière, Catherine Martin (à droite) porte sur sa blouse son dosimètre.

Voilà dix-sept ans que Catherine Martin, infirmière au sein du service de santé de la centrale, travaille au pied des quatre réacteurs nucléaires. A ses côtés, cinq infirmières et trois médecins du travail veillent sur la santé des quelques 1500 salariés EDF de Paluel et autant de prestataires extérieurs. "Quand j'ai débuté ici, j'avais l'impression de ne rien connaître tellement le travail est différent",se rappelle l'infirmière qui avait pourtant derrière elle une carrière en hôpital et en maison de retraite. Comme toutes ses collègues de centrale nucléaire, elle s'est formée durant dix-huit mois à la radioprotection et à l'anthropogammamétrie, l'examen obligatoire pour mesurer les doses de radiations reçues par les travailleurs du nucléaire. "Pour être infirmière ici, il ne faut pas détester la physique nucléaire",sourit le Dr Isabelle Le Couteulx, médecin du travail.

Les missions de ces infirmières sont multiples. Il y a bien sûr le tout-venant et les urgences : "cela va de la bobologie à l'infarctus", explique Catherine Martin. "Nous avons un protocole de soin établi avec le Samu de Rouen et les médecins du site. Nous suivons régulièrement des formations en aide médicale d'urgence", détaille l'infirmière. Parallèlement, les soignantes de Paluel forment leurs homologues des urgences à la radioprotection. La centrale nucléaire fonctionnant 24 heures sur 24, les infirmières partagent des astreintes d'une semaine durant lesquelles elles doivent rester à moins de 30 kilomètres du site.

"Nous avons peu d'accidents du travail", assure Catherine Martin. Avec 2,39 accidents par million d'heures travaillées, la centrale de Paluel est en effet en dessous de la moyenne de ce secteur d'activité. "Dans le nucléaire, nous avons une culture de la prévention", explique l'infirmière. Un suivi assuré par les soignants de la centrale, également en charge des aménagements de poste et du plan d'urgence interne.

Catherine Martin, infirmière, détecte la contamination radioactive grâce à son contaminamètre.

Catherine Martin, infirmière, détecte la contamination radioactive grâce à son contaminamètre.

La radioactivité, cœur du métier

Mais leur spécificité, c'est bien sûr le nucléaire. Un secteur d'activité très encadré légalement : "nous devons toujours faire en sorte que la dose de radiations reçue par les salariés soit la plus faible possible", explique le Dr Le Couteulx. "L'entreprise doit prouver qu'elle fait tout dans ce sens et nous, au service de santé, nous y contribuons".

Une bonne partie du temps des infirmières est ainsi consacré aux examens anthropogammamétriques et aux visites médicales obligatoires. Les agents EDF en effectuent une tous les six, douze ou vingt-quatre mois selon leur poste de travail. Ceux qui travaillent en zone contrôlée, c'est-à-dire près des réacteurs, doivent effectuer une visite spécifique à l'embauche. Au menu : nasofibroscopie, prise de sang, radio pulmonaire... "Notre objectif est de s'assurer du bon fonctionnement de leur corps pour éliminer une éventuelle contamination radioactive", détaille Catherine Martin. La mission principale des infirmières est, ensuite, de surveiller les doses de radiations reçues au quotidien par les travailleurs et de détecter d'éventuelles contaminations.

Mesurer l'irradiation

Au sein de la centrale, la radioactivité est confinée aux bâtiments des réacteurs et dans quelques parties voisines. Les salariés qui s'y rendent sont donc sous l'effet de rayonnements ionisants : on parle d'exposition externe à distance. Dans cette zone contrôlée, tous doivent porter une tenue étanche et des dosimètres. Le dosimètre passif, de la taille d'une clé USB, est personnel et nominatif. Porté en continu par le travailleur, "il enregistre la dose reçue sur un mois", explique Catherine Martin. Le dosimètre actif, quant à lui, "est pris en entrant dans la zone et déposé en sortant : il enregistre la dose immédiate reçue et permet, par exemple, d'évaluer les doses potentielles lors d'un chantier afin de limiter l'exposition des salariés".

Et gare aux étourdis... "Un agent avait oublié de mettre son dosimètre : nous avons eu une enquête de l'ASN - l'autorité de sûreté nucléaire - et le salarié a du refaire une formation à la radioprotection pour récupérer son habilitation", se souvient le Dr Le Couteulx.

Les infirmières sont ensuite responsables de l'interprétation de ces résultats. Passionnée par le sujet, Catherine Martin est ainsi devenue une spécialiste de leur inter-comparaison. "Pour exercer ici, la rigueur et la fiabilité sont indispensables", estime-t-elle. Son service de santé doit en effet rendre des comptes à l'ASN ainsi qu'à l'Institut de radioprotection nucléaire.

Catherine Martin, infirmière, note la localisation de la particule radioactive sur le corps du travailleur.

Catherine Martin, infirmière, note la localisation de la particule radioactive sur le corps du travailleur.

Détecter les contaminations

Contrairement aux idées reçues, les risques de contamination sont plus élevés lorsque le réacteur nucléaire est à l'arrêt : le rechargement du combustible et les opérations de maintenance ont lieu à cette période, le nombre de salariés dans la zone est donc multiplié.

La contamination peut être externe : des particules radioactives - souvent des poussières - se déposent sur la peau d'un agent lorsqu'il travaille ou qu'il enlève sa tenue étanche. "Les agents passent sous un portique lorsqu'ils quittent la zone contrôlée. Celui-ci signale s'il y a une contamination",explique Catherine Martin. La solution ? Une douche minutieuse à l'eau et au savon, réalisée en salle de décontamination.

Si les particules se trouvent sur la tête ou le cou, le salarié risque de les avaler lors d'une projection d'eau : ce sont donc les infirmières qui s'en chargent. "On recherche la localisation précise de la particule avec un contaminamètre, puis on procède au nettoyage",décrit Catherine Martin. Le processus demande beaucoup de minutie car, en plus du soin, les infirmières veillent à empêcher toute dispersion radioactive (protection des lieux, port de surtenues, etc). "Nous avons eu 73 prises en charge de ce type l'an dernier", indique le Dr Le Couteulx.

Catherine Martin, infirmière, aide le contaminé à se nettoyer à l'eau et au savon, afin d'éliminer les particules.

Elle aide le contaminé à se nettoyer à l'eau et au savon, afin d'éliminer les particules.

La contamination des salariés peut aussi être interne : ils inhalent des particules radioactives qui se retrouvent ensuite, le plus souvent, dans leur système digestif. Là encore, la détection est faite par le portique en sortie de zone. "Les particules sont éliminées dans les selles et les urines en quelques jours", explique l'infirmière. L'important est alors de mesurer la dose ingérée : c'est le rôle de l'anthropogammamétrie.

"« L'anthropo », notre deuxième métier"

Totalement indolore pour le patient, cet examen permet de mesurer l'activité de radionucléides comme les cobalts 58 et 60, fréquents dans les centrales. Sur son écran d'ordinateur, l'infirmière peut voir leur présence sous forme de graphique. "Dans le cas d'une contamination interne, on suit l'agent en réalisant cet examen jusqu'à l'élimination de la radioctivité", explique Catherine Martin.

Catherine Martin réalise une antropogammamétrie, qui permet de mesurer l'irradiation ou la contamination interne d'un salarié.

"En 2016, nous n'avons eu que 30 anthropogammamétries positives sur les 7000 réalisées. Toutes étaient inférieures à 0,10 millisievert (unité de mesure des doses de radiations reçues, ndlr)", se félicite la soignante. Soit l'équivalent d'une radio pulmonaire. Au niveau national, EDF indique qu'aucun salarié n'a reçu de dose annuelle supérieure à 14 mSv depuis 2015, la limite réglementaire étant de 20 mSv par an.

Réalisant des anthropogammamétries lors des incidents mais aussi pour la surveillance annuelle des salariés, les infirmières des centrales nucléaires sont devenues des spécialistes de cet examen. "En plus de l'examen en lui-même, il y a l'analyse des résultats. Pour que ceux-ci soient fiables, nous devons maîtriser le fonctionnement de la machine. Si on a une panne, on est capable d'en déterminer la cause", assure Catherine Martin. Sa collègue Ismérie Bocquet est ainsi référente, à Paluel, de la bonne gestion technique de ces appareils. Elle supervise les tests, forme ses nouvelles collègues... La métrologie a été "une découverte"pour elle. C'est aujourd'hui un de ses aspects favoris du métier. Arrivée depuis cinq ans à la centrale après une carrière parisienne bien remplie, notamment dix ans de réanimation aux urgences, elle n'a "absolument aucun regret", dit-elle.

Texte : Amélie Cano - Photos :  Natacha  Soury

Travailler dans une centrale nucléaire

Les postes sont ouverts aux titulaires du DE Infirmier et d'un permis de conduire B. Une expérience hospitalière est requise. EDF recrute aussi des infirmiers en médecine du travail dans ses services de santé situés hors centrales. Toutes les offres d'emploi sont sur le site d'EDF. 

Actusoins magazine pour infirmier infirmière hospitalière et libéraleCet article est paru dans le numéro 26 ActuSoins magazine 
(Sept/Oct/Nov 2017).

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