Maison de Solenn : des infirmières en première ligne

Créée il y a une décennie grâce à l’opération pièces-jaunes, La Maison de Solenn a déjà accueilli plus de 10 000 jeunes atteints de troubles psychologiques. Actusoins a fait la connaissance de Pauline, Sandrine et Nathalie, les trois infirmières de l’hôpital de jour de cet établissement pionnier.

maison de solenn infirmières

A gauche Nathalie, à droite Sandrine, infirmières à l'hôpital de jour de la Maison de Solenn. © Juliette Robert

Dans la grande salle de repos flambant neuve, le téléphone sonne. Pauline, 26 ans, interrompt la conversation. « C’est Madame Durand*, je dois vraiment la prendre… », s’excuse-t-elle. Nous sommes à la Maison de Solenn, lieu d’accueil pour les adolescents en souffrance, dans l’enceinte de l’hôpital Cochin. Créée il y a plus de 10 ans par Bernadette Chirac, présidente de la fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, et Patrick Poivre d’Arvor – qui a perdu sa fille, Solenn, anorexique, en 1995 – grâce à l’opération « Pièces jaunes », cette structure pluridisciplinaire est devenue la référence dans le domaine. Anorexie, boulimie, dépressions, névroses, en une décennie, La Maison de Adolescents (MDA), sise dans le dans le 14e arrondissement de Paris, a soigné plus de 10 000 jeunes âgés de 11 à 19 ans.

Pauline, infirmière depuis trois ans et demi, autant passé à la MDA, poursuit son entretien avec la mère d’une adolescente : « Écoutez, ce projet d’internat thérapeutique a été
préparé pendant plusieurs mois avec votre fille. Nous ne pouvons pas la reprendre comme ça du jour au lendemain ». Sophie*, l’adolescente en question, a quitté l’hôpital de jour de la Maison de Solenn, pour reprendre sa scolarisation dans une structure adaptée, mais elle n’a tenu que quelques jours. Patiemment, la jeune soignante essaye de faire entendre raison à la mère de famille… sans y parvenir. La jeune soignante raccroche. « Une partie du travail, se passe au téléphone avec les famille », commente Isabelle, 59 ans, cadre de santé, qui assiste à la conversation. Et Pauline de sourire : « Et parfois le travail est plus compliqué avec eux qu’avec les jeunes… ».

C’est une des particularités de la Maison de Solenn : ici, les infirmières sont en première ligne. Elles sont au centre du dispositif mis en place à l’hôpital de jour. Pauline, Sandrine et Nathalie, sont chacune en charge d’une quinzaine de d’adolescents. Autant infirmières qu’éducatrices, elles sont les interlocutrices privilégiées des adolescents, font le lien avec les médecins – qui ne sont pas là en permanence –, les parents, mais aussi avec les animateurs extérieurs qui interviennent chaque semaine auprès des jeunes.

Maison de solenn atelier

Autre moment d'expression : les ateliers artistiques. © Juliette Robert

Aujourd’hui, nous sommes conviés à l’hôpital de jour, également appelé « centre d’accueil thérapeutique à temps partiel » qui accueille une soixantaine de jeunes, une à trois fois par semaine. La MDA dispose également d’un service d’hospitalisation de vingt lits, dont six réservés aux troubles du comportement alimentaire (TCA), six à la pédiatrie, six à la pédopsychatrie et deux aux situations de crises quelles qu’elles soient. C’est au service d’hospitalisation de la MDA que Pauline a passé ses trois premières années. Une expérience enrichissante mais la jeune infirmière est à la recherche « d’une approche plus globale du patient ». Elle demande donc à rejoindre l’HDJ. Huit mois plus tard, elle ne regrette pas son choix : « Ici, on fait appel à différentes compétences, on développe une relation à part avec les familles car les médecins ne sont pas là toute la journée. Cela nous permet de prendre une certaine distance thérapeutique ».

Sport, loisirs et jeux

Dans les couloirs, pas l’ombre d’une blouse blanche. Pour détendre l’atmosphère, Pauline et ses collègues sont en tenues « civiles ». Même ambiance dans les locaux multicolores de la MDA… Avec ses poufs aux couleurs acidulées, sa salle de sport, ses grandes baies vitrées, le bâtiment ressemble davantage à un centre aéré qu’à un hôpital. Sorti de la salle de réunion du personnel, au détour d’un couloir, on découvre même une grande cuisine dernier cri. En réalité, il s’agit d’« une cuisine thérapeutique », où les jeunes peuvent participer à des ateliers culinaires et préparer les repas qu’ils dégusteront au déjeuner. D’ailleurs, à la cantine, on aperçoit quelques dizaines d’adolescents en train de manger. Pour ces adolescents victimes de troubles du comportement alimentaire, le repas est considéré comme « un temps de soins ». « Le moment des repas est important, quand il y a un refus, on ne force pas, commente Pauline, on essaye de comprendre pourquoi cette ado, enlève patiemment le gras du poulet, coupe sa viande en petits morceaux… ».

Mais c’est déjà l’heure de quitter la cuisine direction… le studio radio. Aujourd’hui, la pièce est vide, mais à travers les photos accrochées sur les murs, on devine partout l’enthousiasme de plusieurs promotions d’adolescents. Là, posant au côté de l’humoriste Florence Foresti, ici, avec Cyril Hanouna ou Florent Pagny et des nombreux artistes venus animer l’atelier radio, les jeunes de la MDA ressemblent à des adolescents comme les autres. « C’est un moment où on se lâche, explique la cadre de santé, c’est aussi un vrai moment de partage, avec le journaliste de RTL qui anime l’atelier le jeudi, mais aussi avec les infirmières qui se prêtent au jeu ». « Mais tout ce qui se dit reste ici, il n’y a pas de diffusion des émissions à l’extérieur », prévient Sandrine, 49 ans.

Cette infirmière à l’hôpital de jour a travaillé en réanimation néo-natale puis en psychiatrie, avant de déposer une candidature spontanée à la maison de Solenn. « J’étais en recherche d’une prise en charge globale. Contrairement au milieu hospitalier plus classique, ici, nous prenons le temps de la réflexion, nous avons aussi un rôle d’éducation, de formation », précise-t-elle, convaincue. Et d’ajouter : « Ici, on a pas de seringue, on est pas dans la toute puissance médicale. C’est pour cette raison que nous sommes dans une perpétuelle remise en cause de notre manière de soigner ». D’ailleurs, l’essentiel des soins de l’hôpital de jour de la Maison de Solenn, semble passer par la « verbalisation », une étape essentielle vers la guérison pour ces adolescents en souffrance.

Groupe de paroles

Pauline, infirmière, discute avec une famille

Au téléphone, Pauline, infirmière, discute avec une famille. © Juliette Robert

Nathalie, une infirmière globe-trotteuse qui a fait ses armes en psychiatrie et, pendant, quelques années « dans l’animation socio-culturelle » montre fièrement une mappemonde accrochée au mur. « Quand nous discutons ensemble de l’actualité, j’aime bien leur montrer où se trouve les pays sur la carte, cela leur ouvre d’autres horizons », explique la jeune femme d’une trentaine d’années. La carte devient alors le prétexte à une discussion entre les adolescents et l’infirmière. Le prétexte peut-être aussi un article dénichée dans la presse gratuite. Ou encore une photographie présentée par la psychologue de l’hôpital de jour. « Nous avons également un jeu de cartes avec des questions à poser au groupe, par exemple, dans quel pays aimerais-tu te marier ? », poursuit Nathalie. Mais parfois, les accessoires sont superflus et la discussion s’engage toute seule dans ces groupes de paroles que le personnel préfère appeler « bruits de couloirs » et « fil de l’histoire ».

Ces échanges sont des temps de « socialisation » pour les jeunes autant que des moments de détection d’un mal-être plus important par les soignantes. « Ils sont libres de parler, mais cela reste une discussion cadrée car parfois, ils peuvent être agressifs envers les autres et reproduire ce qu’ils ont vécu à l’école », raconte encore la soignante. Autre moment d’expression : les ateliers artistiques qui se déroulent l’après-midi. « Cela m’arrive de sculpter ou de peindre avec les jeunes ! », sourit Nathalie. Mais les soignantes doivent garder un oeil sur leurs adolescents : « Il peut arriver qu’ils s’expriment de cette manière, par exemple en réalisant un dessin un peu morbide et dans ce cas, il faut prévoir une discussion ».

Sandrine, Nathalie et Pauline sont très enthousiastes, pourtant, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. La benjamine se rappelle d’une nuit en hospitalisation avec une jeune fille anorexique qui avait arraché sa sonde d’alimentation pour la dixième fois de la soirée. « Je me suis sentie tellement désemparée. L’anorexie n’est que la conséquence d’un problème psychologique plus profond… Et se dire que ressonder à chaque fois ne sert à rien c’est très difficile ».

« Quand je suis arrivée ici, j’avais 22 ans et je croyais que j’allais sauver le monde… J’ai vite compris que La Maison de Solenn, ça n’était pas moi, c’était d’abord, toute une équipe ! »

Pour Nathalie, le plus dur est de parvenir « à prendre du recul, surtout lorsque le lien construit avec l’adolescent est très fort. Nous sommes émotionnellement en première ligne et parfois ce n’est pas évident. Il faut un peu de temps et d’expérience pour prendre du recul face aux attitudes agressives. Il faut comprendre que nous ne sommes pas vraiment visées mais que pour l’ado, nous sommes un repère, un miroir. Heureusement, ici, nous pouvons aussi compter sur les autres professionnels ». Et Pauline de conclure : « Quand je suis arrivée ici, j’avais 22 ans et je croyais que j’allais sauver le monde… J’ai vite compris que La Maison de Solenn, ça n’était pas moi, c’était d’abord, toute une équipe ! »

Leila Milano
Article publié dans Actusoins magazine

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