Infirmier stagiaire à Bobo-Dioulasso (14)

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Vincent Marion, étudiant infirmier en deuxième année à l'IRFSS de la Croix Rouge de Saint-Etienne est parti du 18 mars au 23 avril en stage dans un centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). De jour en jour, il a rédigé un journal que nous publions. Passionnant et instructif ! 

Le 10 avril 2014 (suite)

Infirmier stagiaire à Bobo-Dioulasso (14)

©Vincent Marion

Les résultats des examens indiquent une anémie très sévère. Non seulement les poumons d’Orokia sont pleins de liquide plasmatique, mais en plus elle n’a presque pas de globules rouges pour transporter l’oxygène.

L’infirmier commande des poches de sang pour une transfusion sanguine (pour une fois, ce traitement n’est pas à la charge des patients). Nous savons que la transfusion de sang ne va pas du tout aider à faire régresser l’œdème du poumon, mais en l’absence de médecin, Monsieur A, l’infirmier, juge que le bénéfice de la transfusion est supérieur au risque encouru si l’on ne fait pas cette transfusion.

Dès que le sang arrive, nous commençons la transfusion. Orokia, cyanosée par le manque d’oxygène, perd conscience par intermittence. A un moment, elle trouve la force de me demander si sa respiration va s’arrêter. Je lui dis que non, qu’il faut qu’elle soit courageuse, qu’elle tienne bon.

Avec Marie-Liesse, nous réclamons à trois reprises à Monsieur A une bouteille d’oxygène et un masque pour aider Orokia à s’oxygéner. Il dit que non, puis peut être, et pour finir qu’il doit y en avoir une à l’admission. Nous nous y rendons avec lui et cherchons en vain. Nous revenons bredouille[1].

Entre temps, le père d’Orokia a filé chez lui ; il ne se sent guère concerné. Monsieur A en profite pour questionner la mère de la patiente dans la salle de garde.

Il nous résume ensuite les éléments qu’il a recueillis : Le père voulait marier Orokia à un homme qu’il avait choisi mais elle a refusé. Ensuite, elle a eu son enfant avec un père inconnu. Enfin, pour ne pas avoir une autre grossesse, elle est allée il y a trois mois dans un centre de planning familial se faire poser un implant contraceptif. Le père n’est pas prêt à pardonner ces affronts successifs.

[dropshadowbox align="none" effect="lifted-both" width="autopx" height="" background_color="#ffffff" border_width="1" border_color="#dddddd" ]Avec Marie-Liesse, nous réclamons à trois reprises à Monsieur A une bouteille d’oxygène et un masque pour aider Orokia à s’oxygéner. Il dit que non, puis peut être, et pour finir qu’il doit y en avoir une à l’admission"[/dropshadowbox]

Monsieur A va se coucher et son collègue, Monsieur T, à moitié réveillé nous rejoint. Nous lui faisons la relève. Il ausculte Orokia et à notre grande surprise nous annonce : « j’entends des râles crépitants, elle a une infection pulmonaire, il faut la traiter avec des antibiotiques ».

Avec Marie-Liesse, nous lui disons que les bruits qu’il entend à l’auscultation sont dus à l’œdème pulmonaire. Rien à faire, il est sûr de lui. Il fait acheter à la famille des antibiotiques et en injecte aussitôt une dose en intraveineuse. Je suis persuadé que ce qu’il vient de faire ne sert à rien, à part à « fatiguer » les reins d’Orokia qui n’a pas besoin de ça.

Malheureusement, un peu plus tard, Monsieur T n’en reste pas là. La mère d’Orokia lui ayant dit que sa fille avait souffert d’asthme quand elle était petite, il l’envoie derechef acheter un spray de ventoline. Il est maintenant convaincu que c’est une crise d’asthme qu’il faut soigner.

Avec Marie-Liesse, nous sommes dépités, nous craignons que cet infirmier expérimente toutes les idées qui lui passent par la tête. Nous n’avons pas l’expérience d’une pareille situation sur laquelle nous appuyer, mais notre simple sens de l’observation nous donne la conviction qu’il fait fausse route.

A notre grand soulagement, Monsieur A vient de se réveiller et nous rejoint au pied du lit de la patiente. Il confirme qu’il n’est pas approprié de donner des antibiotiques et de la ventoline. Monsieur T, déçu de n’avoir convaincu personne de la justesse de ses prescriptions, s’éclipse pour aller se coucher.

Nous ne pouvons rien faire de plus. Il n’y a plus qu’à attendre et voir si le traitement entrepris et la transfusion seront suffisants pour préserver la vie d‘Orokia. Nous allons la voir souvent pour l'encourager ; elle résiste avec l'énergie du désespoir. Nous sommes impuissants et voudrions tellement faire plus...

Au petit matin, nous allons la voir une dernière fois avant de quitter le service. Elle est exténuée mais semble respirer un tout petit peu mieux.

Nous rentrons pour aller nous coucher. En traversant la cour du CMA on entend l’appel à la prière provenant d’une mosquée voisine. Marie-Liesse, qui est partie devant, croise le père d’Orokia. Il est de retour, contre son gré, car l’infirmier titulaire l’a sommé par téléphone de revenir au chevet de sa fille. Le père d’Orokia demande à Marie-Liesse : « Tu veux faire la prière avec moi ? »

[1] Nous apprendrons le lendemain qu’il y avait un concentrateur d’oxygène dans le bureau fermé à clé du major du service des admissions et consultations !

Vincent Marion

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