Les infirmières et infirmiers face à l’autisme

Accompagnement au diagnostic, soins somatiques, prise en charge thérapeutique au quotidien et interface auprès des familles, les infirmières, occupent une place centrale face aux patients autistes, au sein d’équipes pluridisciplinaires. Zoom sur leurs rôles et missions à l’hôpital de jour Les Hirondelles qui accueille des enfants autistes à Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis. Article paru dans le n°27 d'ActuSoins Magazine (décembre 2017). 

Les infirmières et infirmiers face à l’autisme

Au moment du temps de rassemblement, ls infirmières encadrent les enfants pour clore ou débuter une nouvelle activité. © Jorge Alvarez

A Ville-Evrard, dans un environnement nature et au cœur d’un site classé, se trouve un bâtiment flambant neuf, moderne et lumineux. Il s’agit des nouveaux locaux de l’hôpital de jour (HDJ) des Hirondelles, inaugurés il y a un peu plus d’un an. A l’intérieur, les architectes ont rempli une mission très particulière afin de s’adapter aux besoins des petits patients autistes qui se rendent quotidiennement aux Hirondelles : pas de contraste trop vif entre lumière et obscurité, pas de ligne tracée au sol comme dans les hôpitaux « classiques » pour ne pas concentrer l’attention des enfants sur un détail et une acoustique spécialement conçue pour atténuer les bruits [les enfants autistes souffrent de troubles sensoriels auditifs, hyper ou hyporéactivité, ndlr].

Tout a été pensé pour s’adapter aux besoins spécifiques des enfants qui souffrent d’autisme, ce trouble envahissant du développement qui affecte les compétences de communication et les interactions sociales. « Depuis quinze ans, cet hôpital de jour s’est spécialisé à 100% sur les enfants autistes, notamment leur prise en charge précoce, puisque le premier à avoir été accueilli avait deux ans et demi », explique le chef de pôle secteur 93I05, le docteur Noël Pommepuy.

Dans son secteur psychiatrique, il existe vingt structures, dont huit centres de consultations médico-psychologiques, « où l’on repère les enfants à risque et  explique aux parents que leur enfant nécessite des soins intensifs ». Selon l’intensité des troubles, ces enfants sont orientés vers des Centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), l’hôpital de jour ou d’autres structures.  

Aux Hirondelles, l’équipe ne traite que de l’autisme sévère, généralement associé à un retard mental de modéré à sévère. « La priorité, ce sont les tout petits vers trois-quatre ans. Plus on agit en amont, on plus on a de chances de réduire la sévérité des symptômes, les troubles et limiter l’impact mental »,explique Noël Pommepuy. Les 34 places [pour 40 enfants, certains venant en temps partiel, ndlr] sont chères : pour un enfant accueilli, quatre sont reçus.

Les Hirondelles se composent de trois unités, disposant chacune de salles d’activités, de salles de bain thérapeutiques, de salles d’hypostimulation ; une unité « bleue » pour les enfants de deux ans et demi à cinq ans et deux unités pour les enfants de cinq à onze ans (la « verte » pour ceux qui ont encore besoin d’une intensification des soins, et une « jaune » pour ceux qui ont gagné une certaine autonomie). Une école est intégrée aux lieux, avec des instituteurs qui font partie intégrante de l’équipe des Hirondelles, et où les enfants se rendent chaque jour de 45 minutes à quelques heures selon leurs spécificités.

Accompagner les parents

une infirmière avec un enfant autiste qui s'est enveloppé d'une couverture

Ici, une infirmière avec un enfant qui s'est enveloppé d'une couverture, le temps d'une sieste. © Jorge Alvarez

Dans chaque unité, les équipes sont pluridisciplinaires : éducateurs spécialisés, psychologues, orthophonistes, psychiatres, pédopsychiatres, psychomotriciens, cadres de santé et infirmières… Ces dernières, au cœur des différentes étapes de la prise en charge de l’enfant, sont spécifiquement formées grâce à des modules rappelant les grands principes de base de l’autisme. Elles doivent maîtriser le PECS (programme de communication par échange d’images), savoir monter un projet d’accompagnement comme être soumises à une analyse des pratiques.

L’équipe des Hirondelles s’étant spécialisée sur « l’accompagnement des parents », dès les premiers bilans psychologiques réalisés, les parents peuvent assister, lors de ces tests, grâce à une vitre sans tain, aux réactions de leur enfant et poser leurs questions à l’infirmière. Si les parents et l’enfant n’acceptent pas la séparation, les parents peuvent aussi être présents dans la salle de bilan. Les infirmières « accompagnent le diagnostic », et expliquent aux familles « les particularités cognitives ou comportementales de leur enfant »,détaille Nathalie Le Gac, cadre de santé dans l’unité « bleue » depuis un an et demi, infirmière en pédopsychiatrie pendant dix ans en HDJ.

« Parfois, les familles d’origine étrangère n’ont pas le mot ‘’autisme’’ dans leur langue d’origine. A nous d’expliquer le mieux possible et d’éviter de dire le mot ‘’handicap’’ qui peut heurter », explique Anne-Marie Lemoine, cadre supérieur de santé depuis 2008 aux Hirondelles. Ces premiers temps sont déterminants : entre le bilan du développement psychomoteur et l’élaboration d’un projet thérapeutique, les infirmières sont des interlocutrices privilégiées pour des parents souvent perdus, parfois dans une difficulté d’acceptation ou perturbés par les troubles des autres enfants présents aux Hirondelles.

Du soin relationnel

Ce statut de médiation auprès des parents se poursuit tout au long de la prise en charge de l’enfant (qui dure quatre ans en moyenne) avec des réunions collectives, des entretiens mensuels avec les familles qui permettent de faire le point, des réunions trimestrielles etc. Du soin relationnel « pas aseptique, mais technique quand même », insiste Béatrice Laligue, cadre de santé depuis quatre ans aux Hirondelles, après un long parcours dans la psychiatrie.

En apprenant à connaître les familles et les enfants autistes, les infirmières récoltent aussi des informations sur les petits patients, notamment si l’enfant « fait des choses à la maison qu’il ne fait pas ici. En effet, les enfants autistes ne peuvent pas exporter leurs compétences, ayant un apprentissage contextuel »,détaille Noël Pommepuy. Pour eux, une activité est un ensemble d’actes réalisés de la même manière : si les conditions d’exécution changent, l’activité ne peut plus être réalisée.

Ainsi, le rôle des parents est essentiel : « il faut faire prendre conscience aux parents des compétences qu’ils ont là où parfois le soignant échoue »,reconnaît Béatrice Laligue. Un constat qui nécessite « de remettre en question la toute-puissance du soignant en France qui n’a pas la science infuse du savoir et du soin ».

Cibler les besoins de l’enfant

Une infirmière musicothérapeute stimule l'éveil musical des enfants autistes

Une infirmière musicothérapeute stimule l'éveil musical des enfants. © Jorge Alvarez

Les infirmières « ritualisent » le quotidien lors des « temps de référence » : elles sont en charge quotidiennement d’un même groupe d’enfants, dans une même pièce, avec des tâches bien définies et animent des ateliers individuels ou en groupes, à médiation (arts plastiques, contes, cuisine, musique, parcours moteur….). « Les objectifs sont triples : thérapeutique, éducatif et pédagogique »,précise Noël Pommepuy.

Les missions des infirmières au quotidien sont variées : veiller à « l’apprentissage de la propreté, à ce qu’ils apprennent à se laver, s’habiller, gérer leur sécurité, leur comportement, prendre leurs repas, se servir de leurs couverts [quand c’est possible, ndlr] », détaille-t-il. Mais elles assurent aussi la prise de médication quand cela est nécessaire, un accompagnement vers le parcours de soin, une visite à domicile etc.

L’observation - pour une meilleure compréhension du fonctionnement des enfants - est un de leurs outils : concernant les enfants qui « ne tenaient pas à table, on a pris en compte soit que chez eux, il n’y a pas de table[dans le cas d’une pièce à vivre où les repas sont pris par terre, ndlr] soit que, ce qu’ils ne supportent pas, en tant qu’autistes, c’est que leurs pieds ne touchent pas terre, d’où l’ajout d’un marchepied sur les chaises », détaille Anne-Marie Lemoine. De la même façon, cette ritualisation nécessaire se traduit « par le temps d’accueil, le temps du bonjour, celui du regroupement avant le repas, la chanson de l’au revoir etc. »,précise Alexandre Lessenbaum-Belhassen, cadre de santé qui exerce depuis six ans aux Hirondelles après diverses expériences en soins généraux.

Et la santé somatique ?

L’état physique des autistes peut être déplorable, comme le précise Eric Bizet, neuropsychologue au sein du Centre Ressource Autisme (CRA) d’Alsace. Ce dernier a fondé le Diplôme Universitaire (DU) « Troubles de l’autisme : repérer, diagnostiquer, évaluer, accompagner »mis en place à l’université de Strasbourg et destiné aux médecins, infirmières, cadre de santé etc. L’une des missions des infirmières,explique-t-il, « est l’évaluation des besoins somatiques, sachant que les patients autistes ne se laissent pas examiner facilement, ne se plaignent pas et ne communiquent pas sur leurs douleurs chroniques. Les infirmières peuvent avoir un rôle proactif chez ces personnes en favorisant leur accès à la santé »tout en prenant en compte des difficultés inhérentes aux autistes : pour eux, prendre un rendez-vous ou subir l’épreuve de la salle d’attente peuvent être compliqués.

Beaucoup d’infirmières travaillent donc à « mettre en place des réseaux de soins somatiques avec des spécialistes qui acceptent de recevoir des autistes », un rôle essentiel, aux Hirondelles également, où elles travaillent en « étroite collaboration avec les spécialistes ». Comme les troubles autistiques affectent la communication et les interactions sociales, les infirmières doivent aussi réussir à décrypter les signaux de douleur.

Confrontées à cette problématique, elles bénéficient aux Hirondelles « d’une grille d’évaluation appelée ‘’profil douleur’’, mise au point avec les familles. Nous apprenons ainsi comment leur enfant réagit lorsqu’il tombe ou a une angine ou une otite… », explique Anne-Marie Lemoine, ce qui permet une évaluation comparative. Un protocole d’antalgiques médicamenteux permet de constater si la prise de médicament apaise un enfant agité, ce qui pourrait laisser supposer une douleur.

Afin d’apporter des moments d’apaisement quand cela s’avère nécessaire, des salles d’hypostimulation existent dans les trois unités [où l’enfant peut être isolé des autres et du bruit, mais toujours accompagné d’un adulte, ndlr], ainsi qu’une salle Snoezelen [une méthode d’exploration sensorielle, de détente et de plaisir, ndlr] qui peut être utilisée pour « contenir ou calmer l’enfant, comme travailler sa relation avec lui », explique Anne-Marie Lemoine. Cette petite pièce contient un lit à eau chauffé, des lampes à bulles lumineuses, des diffuseurs d’odeurs,… En somme, tout ce qui peut solliciter les sens.

Du couloir clair de l’hôpital, on aperçoit une cour de récréation où les enfants font leurs pauses. Comme pour rappeler qu’au-delà d’être des autistes, les petits patients des Hirondelles sont avant tout des enfants.

Pour aller plus loin : DU Autisme et médiations corporelles

Delphine Bauer

Actusoins magazine pour infirmier infirmière hospitalière et libéraleCet article est paru dans le numéro 27 ActuSoins magazine 
(Dec/Janv/Fev 2018).

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