Cet article a initialement été publié dans le n°46 d’ActuSoins Magazine (septembre, octobre, novembre 2022)
Hôpital de Puteaux (Hauts-de-Seine), septembre 2022. Ici, pas de bip qui résonnent, ni de blouses blanches.
Nous sommes dans la salle de télésurveillance du dispositif Vigie-Âge. Le Dr Juliette Levilion, gériatre, et Sabria El Kefir, infirmière care manager, surveillent les constantes vitales (fréquence cardiaque, respiratoire, tension, saturation…) de dizaines de personnes âgées polypathologiques, sur la plateforme dédiée (dispositif médical Classe I).
Ces patients ne sont pas à l’hôpital mais chez eux, simplement connectés au dispositif via… une montre. Ce système permet une surveillance 24 h /24, 7 jours sur 7, et l’intervention des professionnels de santé partenaires en cas d’anomalie.
Objectif : éviter une hospitalisation ou diminuer sa durée puis, le cas échéant, gérer et prévenir des décompensations aigües à répétition. « Les déserts médicaux sont de plus en plus fréquents, la population vieillit, le nombre de lits dans les hôpitaux baisse… Le maintien à domicile des personnes âgées devient essentiel quand c’est possible », argue Sediba Iqbal, responsable du plateau Ile-de-France.
Domotique connectée
D’après les observations, « les hospitalisations à répétition des personnes âgées polypathologiques s’expliquent par un réseau de soins insuffisamment présent ou coordonné en phase aiguë », explique-t-elle. D’où l’initiative Vigie-Âge, un dispositif conçu par Epoca en 2019 – une start-up fondée par Elise Cabane, gériatre et urgentiste, et Mariana Fernandez, IADE – en partenariat avec le Centre hospitalier Rives de Seine (CHRDS) et les Services de soins à domicile des Hauts-de-Seine (Ssiad), dans le cadre d’un appel à projets lancé par l’ARS Ile-de-France. « L’hôpital fournit le côté médical, le Ssiad les soins opérationnels et Epoca la technologie, le suivi et la logistique », résume Sadiba Iqbal.
Autrement dit, Vigie-Age propose un parcours de soins à domicile pour les seniors en situation de maladies aiguës ou chroniques qui comprend, grâce à une domotique connectée, une remontée des informations collectées en continu et un écosystème coordonné sur la plateforme.
Si les nouvelles technologies sont prégnantes, la place de l’humain constitue une place essentielle dans le dispositif, insiste Laura Medji, responsable produit chez Epoca. Les patients sont appelés au moins deux fois par semaine et des visites de courtoisie sont régulièrement organisées. Ils ont bien sûr la possibilité d’appeler la cellule de télésurveillance. Et, en cas de problème, une infirmière ou un médecin se rend au domicile des patients.
Prise en charge globale
Les patients éligibles sont orientés par l’hôpital, par les médecins et paramédicaux de ville ou encore par l’intermédiaire d’assistantes sociales.
Une fois un patient admis, la care manager (cf encadré) collecte toutes les informations environnementales, médicales et administratives le concernant : antécédents médicaux, degré d’autonomie, les services d’aide à domicile reçus, allocation personnalisée autonomie (APA) ou pas etc. « Vigie-Âge prend en considération le patient dans sa globalité », commente Sadiba Iqbal. Cela permet d’évaluer les besoins réels et les aides à apporter. « On peut intervenir pour suggérer une aide-ménagère ou un portage de repas par exemple », ajoute Laura Medji. « On met en place tout ce qu’il faut pour que la personne puisse être maintenue à domicile », résume la responsable du plateau IDF, infirmière de formation.
Selon ces éléments, deux parcours – courte ou longue durée – peuvent être définis. Le GAD, pour Gériatrie aiguë à domicile, est un parcours de courte durée, entre 7 et 15 jours de surveillance qui vise à éviter ou réduire une hospitalisation avec un retour sécurisé à domicile. Ainsi, après les urgences ou une hospitalisation, « le patient n’est pas lâché dans la nature », commente Dr Juliette Levilion, gériatre du CHRDS.
Second parcours : l’Amad (Accompagnement médicalisé à domicile) est une prise en charge longue des patients polypathologiques chroniques. L’idée est de dépister précocement toute nouvelle décompensation via la télésurveillance et d’agir dans le meilleur délai. « Si on observe une accélération de la fréquence cardiaque ou une anomalie de saturation par exemple, nous pouvons intervenir en donnant le bon médicament avant que la situation n’empire et qu’elle ne nécessite une hospitalisation », illustre la gériatre.
80 % d’hospitalisations évitées
Les premiers résultats obtenus en 2020 sont prometteurs : 98 % de taux de satisfaction auprès des familles, des aidants et des patients et 95% chez les partenaires.
Mieux, 80 % des hospitalisations ont été évitées. « Sachant qu’une hospitalisation signifie pour ces patients une perte d’autonomie », rappelle Sadiba Iqbal.
Aujourd’hui, le dispositif est en expérimentation, dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018, relatif aux innovations expérimentales. Et ce pendant trois ans, jusqu’en 2023.
Il est présent sur trois territoires : dans les Hauts-de-Seine, le Grand Versailles et l’ouest parisien (14e et 15e arrondissement) et suit au total 130 patients environ, pour qui le reste à charge est nul.
Autonomie et responsabilités
Autre bénéfice : le dispositif offre aux infirmières « plus d’autonomie et de responsabilités, soutient Sadiba Iqbal. Nous sommes actrices, pas seulement exécutantes, on prend des initiatives. Grâce à la supervision du médecin, les infirmières opérationnelles sur le terrain peuvent effectuer certains gestes de soins, comme donner une dose d’insuline à une personne diabétique par exemple, alors que sans la téléassistance cela ne serait pas possible ».
Si au bout de l’expérimentation, l’évaluation réalisée pour le compte de la Sécurité sociale est positive, le modèle deviendra « un dispositif de droit commun, c’est-à-dire remboursé par l’Assurance maladie », souligne Sediba Iqbal. Il pourra alors essaimer autour de chaque hôpital de secteur associé à un Ssiad et coordonné par Epoca.
Et Laura Medji de conclure : « Notre pari est de démontrer qu’il est possible de réaliser des économies d’échelle sans sacrifier à la qualité des soins et des prises en charges, en refondant des organisations qui ne sont plus adaptées aujourd’hui».
Alexandra Luthereau
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