Travail de nuit des soignants, infirmières : la vie à l’envers

Travail de nuit des soignants, infirmières : la vie à l’envers

Il y a encore quelques années, travailler de nuit était un choix à part entière. Depuis, les rotations se font de plus en plus fréquentes et l'alternance jour/nuit est devenue courante. Conséquences et petits moyens pour limiter les dégâts.

Travail de nuit des soignants, infirmières : la vie à l’envers“On alterne deux mois de jour, deux mois de nuit. Au début de la période de nuit, on apprécie le calme, l’autonomie. A la fin, on s’engueule, on a pris trois kilos et on est épuisées”. Ce témoignage de Laure, infirmière en réanimation médicale dans un hôpital parisien, on le retrouve chez un bon nombre de soignants qui alternent travail de jour et travail de nuit.

Les accidents de voiture, les crash aériens liés à des erreurs humaines se déroulent plus souvent de nuit, où les capacités physiques et cognitives des individus sont au plus bas. Tchernobyl, Three Miles Island, explosion de la navette spatiale Challenger… Tous ces accidents ont eu lieu de nuit, et dans chaque cas le manque de sommeil fait partie des causes relevées par les commissions d’enquête.

Je sais que je ne dois pas faire de soins très techniques après minuit. Ou des soins longs. J’ai vraiment du mal à me concentrer.” avoue Frédéric, infirmier en réanimation polyvalente. Rien de bien étonnant pour le professeur Jacques Weber, chef du service de neurophysiologie au CHU de Rouen: “Il s’agit à mon avis d’une baisse de vigilance en fin de nuit, minuit est peut être un peu tôt mais vers 3/4 heures, c’est tout à fait classique.”

Et le docteur Eric Mullens, médecin spécialiste du sommeil de renchérir: “Le creux circadien de la vigilance apparaît entre 3 et 6h du matin. Il est constant et correspond à une diminution de la température corporelle.”

“Je prends en moyenne 3 kilos par périodes de nuit”, confie Anne-Laure, aide-soignante en unité de soins intensif de cardiologie. “Il existe une relation très nette entre manque de sommeil et prise de poids, la régulation hormonale ne se fait plus de façon correcte” confirme Eric Mullens. Et le grignotage souvent évoqué? “Le manque de sommeil provoque une appétence pour les sucres rapides.” Alors que faire? S’il n’existe pas de remède miracle pour travailler à l’encontre de notre rythme biologique normal, il est possible de limiter les effets néfastes du travail de nuit en respectant quelques règles simples:

Travail de nuit : Gérer au mieux l’endormissement et le sommeil :

Première proposition du Dr Mullens: la sieste anticipative. Faire la sieste le plus tard possible avant la prise de poste, même de 20 minutes, permet de réduire la dette de sommeil et décale le creux de vigilance.” Deuxième conseil: Prendre un petit déjeuner avant de se coucher le matin, puis se coucher le plus rapidement possible. La prise d’un petit déjeuner juste avant, à base de sucres lents, permettra de stabiliser le sommeil et d’éviter de se réveiller à cause de la faim. Enfin, il vaut mieux éviter, notamment en été, l’exposition à la lumière du jour intense le matin, quitte à porter des lunettes de soleil. A l’inverse, s’exposer à la lumière avant d’aller travailler “permet de décaler un peu le rythme biologique”. Pour cela, nul besoin d’investir dans du matériel de luminothérapie, un simple bain de soleil dans l’après-midi est suffisant.

Travail de nuit : Garder une alimentation équilibrée :

Garder l’alternance est primordial : Un repas du soir avant d’aller travailler, une collation vers 3 heures du matin à base de protéines et de sucres lents. “Éviter les sucres rapides et les lipides, qui endorment et font grossir…” précise le Docteur Mullens. En effet, ce repas a lieu au moment de la “désactivation digestive”, l’estomac n’étant pas habitué à travailler autant de jour que de nuit.

Travail de nuit : Se méfier des excitants…

Sans surprises, café et cigarettes sont majoritairement cités par les soignants interrogés comme moyens de lutter contre la fatigue. Mais d’autres vont plus loin et utilisent parfois des extraits thyroïdiens de synthèse ou des corticoïdes. Pour le professeur Weber, “les excitants sont mauvais, car ils compromettent la qualité du sommeil suivant. Le seul excitant qui semble autorisé est un café le soir avant de prendre le travail.” “La caféine a un délai d’action d’environ 20 minutes et une demi-vie d’environ 5 heures” rappelle le docteur Mullens. Il faut donc éviter d’en consommer cinq  à six heures avant l’heure du coucher.

Travail de nuit : Peu d’informations à disposition des professionnels de santé

Les industries, notamment nucléaires, aéronautiques ou pétrochimiques, ont depuis longtemps intégré dans leur culture de sécurité les conséquences du manque de sommeil, qui sont parfaitement codifiées et permettent une adaptation des procédures. Mis à part quelques publications anciennes, peu de travaux sur la population médicale, encore moins pour les autres soignants. Une étude rétrospective parue dans le Journal of the American Medical Association étudiant 86 chirurgiens pendant 8 ans, a démontré que ceux qui ont moins de 6 heures pour récupérer après une garde ont deux fois plus de risque de voir apparaître des complications opératoires au décours de l’intervention du lendemain.

Alors que la rotation jour/nuit se développe et tend même à devenir un standard dans certains types de services, peu de professionnels débutent leur carrière avec un minimum de règles simples à leur disposition pour limiter des désagréments parfois handicapants.

Pour aller plus loin:

– Livre d’Eric Mullens: Apprendre à dormir : Leçons de sommeil

Thomas DUVERNOY