Déjà le parcours parisien était court, ce qui ne laissait pas augurer d’une participation massive. « 8 minutes montre en main », précise même Julia, infirmière en psychiatrie.
Et bien que le cortège a pris plus de 40 minutes pour passer de la place Vauban à la place Fontenoy, dans le 7e arrondissement, c’est comme si le coeur n’y était plus. « Prévoir un si petit parcours ? J’étais lucide sur le fait qu’il n’y aurait pas beaucoup de monde aujourd’hui, appuie Barbara, infirmière aux urgences de Lariboisière et membre du collectif Inter Urgences.
L’épuisement des soignants est réel, mais difficile à faire comprendre. Ce n’est pas de la fatigue passagère ! De plus c’est compliqué d’être présent avec les horaires des différents shifts. Mais notre présence aujourd’hui est symbolique et aussi indispensable. Nous sommes là pour montrer que même si la mobilisation est fluctuante, elle continue ».
Des personnels épuisés…
Car malgré tout, plusieurs centaines de motivés avaient fait le déplacement. Des slogans « Embauchez des infirmières, pas des managers » ou encore « Soignants malmenés, patients en danger », viennent émailler la foule pas très compacte de manifestants.
C’est justement le cas de Julia, pourtant en vacances cette semaine, qui porte dans son dos ce message sans équivoque : « Super héros du jour, super larbins demain ».
« Au moins je peux participer à la manif sans perdre d’argent ! » Elle rit, mais on sent chez elle une forme de lassitude, même si, derrière, résonne la chanson « On lâche rien » qui donne du baume au coeur.
« Il n’y a même plus de colère chez certains d’entre nous, on est désabusés ». Elle constate deux fois plus de premiers rendez-vous psy depuis la rentrée, signe que les gens angoissés sont de plus en plus nombreux à chercher de l’aide. Sans davantage de temps ni de moyens, évidemment.
La résignation, c’est aussi le sentiment que Marise, vingt ans de métier, attribue à une partie de la profession. Depuis dix ans, elle exerce au planning familial, sinon, l’affirme-t-elle, « je serais partie depuis bien longtemps ».
Elle n’a cessé de voir les conditions de travail se détériorer, le nombre de patients par infirmière croître. Le Ségur, pour elle, n’avait pas suscité grand espoir. « 5000 lits en réa sur toute la France c’est ridicule. Et 15000 postes sur l’ensemble des hôpitaux, ça en fait un ou deux par établissements… Alors qu’il y a 34000 postes vacants. Mais ont-ils multiplié par dix le nombre d’étudiants en IFSI ou médecine ? Non ».
Elle connaît des collègues qui ont envie de raccrocher. « Mais ce n’est même plus de la colère, et ce n’est pas bon signe. Elles sont juste dégoûtées et pensent à se barrer. En plus, il y a quelque chose de plombant actuellement dans la société ». Le pire, c’est sans doute « qu’il y a eu un réel espoir » après la crise. Puis, plus rien.
Sandrine ne dit pas autre chose. Venue d’Auvergne avec ses collègues du CHU de Riom, elle voulait absolument être présente. « C’était une évidence. On nous en demande de plus en plus. Dans mon service covid de médecine gériatrique, nous manquons cruellement de matériel. On nous reproche même de ‘’trop’’ nous habiller : trop de surblouses, trop de charlottes ! Mais nous risquons de contaminer nos collègues ou les secrétaires médicales », s’offusque-t-elle.
Autour d’elle, beaucoup de collègues de moins de trente ans qui pensent déjà à se reconvertir. Elle “tient”, car elle adore son métier, mais les journées sont rudes, surtout quand « on lui demande à la fois de faire aide-soignante et infirmière ».
Matthis, 25 ans, n’a pas envie de tourner si tôt la page, mais cet infirmier regrette « le manque d’attractivité du public. Entre les difficultés à recruter et le turn over, les soignants ne restent pas. Dans notre service, nous sommes 12 et avec mon année d’ancienneté, je suis le 3e plus ancien ! Ce n’est pas normal », assène-t-il. Dégoûté, il constate les ratés de la première vague et s’attend à encore pire pour cette seconde vague.
…mais encore déterminés
De la colère, on en sent encore, heureusement. Célia, 30 ans, étudiante en soins infirmiers, est venue spécialement de Toulouse.
Elle s’excuse d’être si virulente. Mais elle estime qu’elle a de quoi : « à Toulouse, les infirmières de réa sont en grève, il n’y a pas assez de personnel. Mais sans elles, on ne peut pas prendre en charge les patients ! Tandis que je suis utilisée comme aide-soignante pour 1,80 euro de l’heure… Je suis très inquiète. Dans quoi je me suis embarquée ? »
Car Célia, au courant des difficultés du métier quand elle a entrepris ses études, ne pensait pas être si mal traitée. Surtout après une crise de cette ampleur. « L’exécutif ne nous a pas assez entendus. Les patients ont peur pour leur santé. Quand on leur annonce une masse, c’est le truc le plus effrayant de leur vie, et on n’a pas le temps. Il n’y a pas de lits magiques ou d’infirmières magiques. Il faut des moyens ! Et maintenant, faire payer les urgences ? Il est hors de question que cela arrive sans broncher, s’insurge-t-elle. Lutter aujourd’hui, c’est lutter pour de meilleures conditions de travail demain. »
Delphine Bauer
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