Immunisés mais déprimés : le malaise des soignants vaccinés à contre-cœur

Immunisés mais déprimés : le malaise des soignants vaccinés à contre-cœur

Dans leur immense majorité, les soignants se sont soumis à l’obligation vaccinale. Mais une partie d’entre eux ne s’y est résolue que sous la contrainte : voilà qui n’est pas sans conséquences sur l’ambiance de travail dans des établissements…
Immunisés mais déprimés : le malaise des soignants vaccinés à contre-cœur
© Syda Productions / ShutterStock

« Je me suis retrouvée piégée comme une souris ». C’est ainsi que Nadia*, aide-soignante dans un Ehpad normand, explique comment elle a vécu sa vaccination contre le covid.

Infectée au mois d’octobre 2020, elle n’avait qu’une dose à recevoir pour obtenir le pass lui permettant de continuer à travailler. Mais elle a retardé cette unique injection autant qu’elle l’a pu, et n’a finalement reçu le sérum de la discorde que début septembre, quelques jours avant la fin de la période de tolérance durant laquelle les soignants non-vaccinés pouvaient continuer à travailler en présentant régulièrement un test négatif. « Si je n’avais pas deux filles, j’aurais fait partie des suspendus, explique-t-elle. Mais je ne peux pas gâcher leur avenir. »

Combien sont-ils, ces soignants qui, comme Nadia, n’ont accepté le vaccin qu’à contre-cœur ? Difficile de le dire. Il y a fort à parier qu’ils sont plus nombreux que les 3000 suspendus annoncés par le ministre de la Santé Olivier Véran le 16 septembre dernier, au lendemain de l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale.

Mais il ne s’agit pas non plus d’une majorité. « Il faut bien se souvenir que longtemps avant l’entrée en vigueur de l’obligation, la grande majorité des soignants était déjà vaccinée », rappelle Nathalie Depoire, ancienne présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI) qui est toujours membre du conseil national de ce syndicat. De fait, d’après une estimation de la conférence des DG de CHU citée par l’agence APMNews, le taux de vaccination dans les CHU était de 70 % fin juillet, alors qu’aucune preuve d’immunisation n’était encore requise pour travailler.

Mais ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas majoritaires que les vaccinés malgré eux ne doivent pas être écoutés. « Cette obligation instaure une ambiance très délétère qui rend les choses très compliquées au quotidien, poursuit Nathalie Depoire. Certains soignants se sont sentis montrés du doigt comme vecteurs de la maladie, alors que beaucoup se souviennent qu’à un moment donné, durant la crise sanitaire, on a tout de même demandé au personnel contaminé mais asymptomatique de venir travailler. »

Selon la responsable syndicale, l’obligation est un facteur qui vient s’ajouter à un climat au travail déjà très fortement dégradé. « Certains professionnels sont déjà en difficulté, subissent la crise depuis bientôt deux ans, les restrictions budgétaires depuis 15 ans, et c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », estime-t-elle.

Vaccination, démission

Et ce n’est pas Sandrine*, jeune infirmière de la région Grand-Est, qui va démentir cette manière de voir les choses. « Jusqu’au mois de juillet, je travaillais dans un Ehpad, raconte-t-elle. Mais quand l’obligation vaccinale est arrivée, j’ai démissionné pour faire de l’intérim. Je me suis dit que si on m’obligeait vraiment à faire quelque chose dont je n’ai pas envie, autant que ça me rapporte davantage. »

Elle a donc bien reçu le vaccin « le plus tard possible » (une seule dose, car elle avait, elle aussi, déjà été infectée), mais à reculons. « J’en avais les larmes aux yeux, et quand le médecin m’a posé des questions, je ne lui ai pas caché que je n’étais là que parce qu’il fallait bien que je remplisse mon frigo », se souvient-elle.

Mais il y a plus : Sandrine songe désormais à quitter le métier. « C’est quelque chose que j’avais en tête depuis longtemps, mais jusqu’ici, je pensais toujours garder une activité comme infirmière au moins à temps partiel, car je suis vraiment passionnée par la gériatrie, précise la jeune femme. Mais maintenant, c’est décidé, j’ai une petite entreprise en plus de mon travail, et mon objectif est de faire en sorte qu’elle devienne rentable pour pouvoir arrêter de faire des missions. »

L’obligation vaccinale aura donc chez elle agi comme un révélateur d’un mal-être bien plus profond. « La crise a bien montré comment notre société traitait les personnes âgées, au début on ne les comptait même pas dans les chiffres des décès, se révolte-t-elle. Je serais partie de toute façon, mais pas si brutalement. »

Entre « pros » et « antis », « cela peut partir très vite »

Mais tout le monde ne peut pas prendre ses cliques et ses claques. Stéphanie*, toute jeune diplômée qui, à la sortie de l’Ifsi, vient de prendre son premier poste dans une clinique de Nouvelle-Aquitaine, ne voulait pas du vaccin… mais elle voulait travailler. « Cela a été une question éthique, soupire-t-elle. J’ai eu l’impression qu’à 22 ans, j’avais déjà donné mon corps au travail. »

Et d’après elle, la question du vaccin mine le climat de son établissement de manière assez insidieuse. « Cela peut partir très vite entre les pro-vaccins et ceux qui sont réticents, constate-t-elle. J’ai essayé d’en discuter une fois, et je n’ai plus abordé le sujet, car la conversation s’est très mal terminée. » Résultat : bien qu’elle « y pense tout le temps », Stéphanie ne parle jamais du vaccin avec ses collègues, et ces non-dits lui pèsent.

Autant dire que ces les soignants, qui ont eu l’impression de se faire forcer la main, ne sont pas dans les meilleures conditions possibles pour affronter les épreuves qui attendent l’hôpital dans les mois à venir.

« Je n’ai pas de boule de cristal, je ne sais pas combien de temps on va tenir dans cette situation, je ne sais pas si on va devoir affronter une cinquième vague, prévient Nathalie Depoire, de la CNI. Mais ce que je sais, c’est que l’hôpital déborde, et que je trouve délétère de voir qu’on ajoute du malaise au malaise avec cette obligation. »

Sans compter l’aveu d’échec, pour les autorités sanitaires, de voir que depuis bientôt un an que les vaccins sont disponibles, c’est par la coercition plutôt que par la persuasion qu’elles ont réussi à attirer cette partie non négligeable des blouses blanches dans les centres de vaccination.

Adrien Renaud

* Les prénoms ont été modifiés

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