L’espérance de vie des personnes avec un handicap mental (trouble du spectre autistique, trisomie…) est passé d’environ 30 ans dans les années 70 à 60 ans aujourd’hui.
Cependant, comme pour la population générale, le vieillissement s’accompagne de l’augmentation de l’apparition de maladies comme le cancer, les démences, les maladies cardiovasculaires, les atteintes sensorielles ou musculo-squelettiques. Pour les personnes handicapées mentales, les conséquences peuvent être plus sévères du fait de pathologies préexistantes et parfois d’un vieillissement prématuré. De plus, les personnes handicapées mentales nécessitent deux fois et demi plus de soins que la population générale.
Le Dr Satgé, anatomo-pathologiste, à l’origine du projet Oncodéfi, travaille sur la problématique du cancer chez les personnes avec déficience intellectuelle depuis une vingtaine d’années.
Ses recherches ont montré que le cancer chez ces personnes est tout aussi fréquent que dans la population générale mais qu’il est généralement diagnostiqué tardivement, à un stade avancé de la maladie. Tellement avancé, que parfois, ces malades ne peuvent plus être pris en charge. « Les cancérologues, mais aussi les médecins généralistes ou les parents n’ont pas conscience de la prévalence du cancer chez les personnes avec déficience intellectuelle. Et de fait, on ne cherche pas ce qui n’est pas censé exister, commente-t-il pour expliquer le phénomène.
De manière plus générale, « la question de la santé des personnes déficientes intellectuelles est mal connue et n’est pas traitée dans les formations », continue-t-il. Donc elle peut faire peur si on n’y est pas sensibilisé.
Repérage et prise en charge : des lacunes
A ces lacunes s’ajoutent l’inaccessibilité des lieux de soins et du matériel, le manque de coordination entre les professionnels de santé et le secteur médico-social ainsi que la mauvaise prise en considération des aidants professionnels.
Surtout, les difficultés de communication et les troubles cognitifs gênent les actions de prévention, le repérage d’un problème de santé, l’analyse des symptômes, leur chronologie et le suivi de la prise en charge chez les personnes handicapées mentales.
En particulier, la douleur est difficile à détecter et évaluer. « La douleur est la même pour tout le monde mais la personne handicapée mentale n’en aura pas forcément conscience. Elle peut ne pas intégrer le fait que ce ne soit pas normal et inhabituel. Par ailleurs, elle peut avoir des difficultés à analyser, localiser ou exprimer le degré de la douleur », explique le Dr Renaud Touraine, vice-président de l’association Trisomie 21 France. Ainsi, des personnes polyhandicapées avec des difficultés pour exprimer leur malaise, peuvent souffrir des semaines durant avant que leurs douleurs ne soient reconnues et donc traitées.
« La douleur non exprimée et non comprise chez les personnes avec déficience intellectuelle peut se manifester par des troubles du comportement comme un état d’agitation par exemple », précise-t-il. Tout cela concourt à faire de l’accès à la santé pour les personnes avec un handicap mental un véritable parcours du combattant.
Prise de conscience
En 2013, les alertes des associations représentant les personnes handicapées et la publication du rapport de Pascal Jacob, président de l’association Handidactique, sur « l’accès aux soins et à la santé des personnes handicapées » a eu comme effet une prise de conscience partagée entre les autorités publiques comme les ARS (Agence régionale de santé), les professionnels de santé et ceux du secteur médico-social sur la question, tous handicaps confondus.
Depuis, quelques progrès ont été réalisés. Par exemple, plusieurs ARS ont inscrit comme priorité l’accessibilité des personnes handicapées dans leur plan stratégique régional de santé. Ou encore, de nombreux acteurs publics ou privés du secteur sanitaire et médico-social ont signé la charte Romain Jacob, s’engageant à proposer une offre de soins adaptée.
Autre effet positif, des dispositifs, comme Handiconsult au CH d’Annecy, mis en lumière comme bonne pratique dans le rapport Jacob, ont essaimé ces dernières années, aux CHU de Rouen, au CH de Lons-le-Saunier, ou encore au CHU de Nantes.
Non spécifique au handicap mental, le dispositif s’adresse aux personnes lourdement handicapées en échec de soins en milieu ordinaire. Composée de trois infirmières, d’un médecin coordonnateur et de deux secrétaires, l’équipe Handiconsult se charge de l’accueil, du conseil, de la coordination et de l’organisation du parcours de prise en charge des soins courants pour ces patients.
Dans cette logique, la haute autorité de santé recommande d’ailleurs la désignation d’un infirmier de liaison pour faciliter la prise en charge de patient ayant des déficiences intellectuelles. Des initiatives existent donc, ça et là, mais elles restent encore trop hétérogènes sur le territoire et dépendantes de la bonne volonté d’individus convaincus qui les portent.
La communication, une question de bon sens
Cela dit, même sans dispositif spécifique, il est possible de bien communiquer avec ces patients aux besoins particuliers. Il faut pour cela de respecter quelques règles élémentaires. « Contrairement à une idée reçue, la personne déficiente intellectuelle comprend ce qu’on lui dit, explique Dr Satgé. Il suffit d’adopter un langage et des mots simples, de parler lentement et d’expliquer ».
Le Dr Touraine parle de « bon sens » : « Il faut se mettre à la place de la personne, c’est-à-dire prendre en compte ses difficultés de communication et donc de s’y conformer en adaptant notamment la communication qui lui convient le mieux, à partir de gestes ou de pictogrammes par exemple ». Le vice-président de Trisomie 21 insiste également sur l’importance de s’adresser à la personne concernée et non à l’aidant qui l’accompagne : « les personnes doivent se sentir impliquées et non pas mises à l’écart. Surtout que les soins nécessitent la participation des patients ».
Miser sur les outils existants
Pour aider les soignants à adopter un savoir-être et une posture adaptés des outils existent.
Les associations représentant les personnes handicapées mentales et leurs familles, comme l’Unapei ou Trisomie 21 ont développé respectivement le livre blanc « Pour une santé accessible aux personnes handicapées mentales », le « Guide santé » et le « Carnet de suivi médical » (cf encadré) qui donnent des clés sur la manière de parler de santé, de prévention et d’expliquer des parcours de soins.
De son côté, l’association CoActis, créée en 2010, a mis en ligne le site Handiconnect en mai 2019 pour « guider les professionnels de santé à accueillir les patients avec une déficience intellectuelle », explique Fanny Bernardon, cheffe projet SantéBD de Coactis. Ils peuvent y trouver des fiches conseils précises, « sorte de mémo », qui récapitule pour chaque type de prise en charge et en fonction des handicaps, les points de vigilance cliniques et la manière de s’adresser aux patients, aux aidants familiaux ou professionnels. Le site référence également les formations existant sur l’accueil de patients handicapés pour les professionnels de santé.
SantéBD
CoActis, dont une des cofondatrices est maman d’un enfant avec un handicap mental, a également développé l’outil SantéBD, mis en ligne en juin 2016. Aujourd’hui, le site et l’application mobile comptent une soixantaine de fiches Santé pour faciliter la communication entre patients et soignants, laquelle étant « la clé de l’accès à la santé de droit commun pour les personnes ayant une déficience intellectuelle », insiste Fanny Bernardon.
Ces fiches universelles, s’adressent à tous, adultes, enfants, avec un handicap ou pas.
Elles expliquent « simplement, sans être simplistes » ce qu’est une consultation gynécologique, comment se déroule une consultation chez le dentiste, comment se passe une prise de sang ou un examen radio… « Nous ne dénaturons pas la réalité, ni ne la minimisons. Par exemple, si un examen est douloureux, on ne le cache pas », précise la cheffe projet SantéBD.
Toutes ces fiches disponibles gratuitement et personnalisables, sont créées à partir des demandes du terrain et de situations rencontrées par les familles, les aidants professionnels ou les médecins. Le comité d’experts qui les élabore s’appuie sur les principes de la communication alternative et tient compte des besoins particuliers de chaque handicap.
Enfin, des sociétés savantes assurent la validité scientifique des contenus. Tous les mois, près de 12 000 images ou fiches santé sont téléchargées. « Ces fiches sont utiles pour préparer sa consultation ou un examen et expliquer en amont à la personne ce qui va se passer, comment cela va se dérouler », commente Dr Renaud Touraine.
Sur le même principe, Oncodéfi a développé « Lucie est soignée pour un cancer », un livret composé de 47 images et textes adaptés qui expliquent le trajet diagnostique et thérapeutique du cancer aux personnes déficientes intellectuelles. Il est distribué depuis 2017 aux professionnels des établissements de santé, des établissements médico-sociaux accueillant des personnes en situation de déficience intellectuelle ainsi qu’aux familles.
Tous ces outils peuvent être complétés par des consultations dites blanches, utiles dans certaines situations anxiogènes comme les consultations chez le dentiste.
Finalement, les solutions sont relativement simples à mettre en place. Elles nécessitent néanmoins du temps et parfois des personnes dédiées supplémentaires, comme pour la réalisation d’un examen. Mais surtout, d’être sensibilisé à la question. C’est le Ba BA.
Alexandra Luthereau
Cet article est paru dans le n°36 d’ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2020)
Il est à présent en accès libre.
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Le programme Iscao d’Oncodéfi
En janvier 2019, l’association Oncodéfi a lancé le programme Infirmières de Soutien dans la prise en charge du Cancer chez les personnes en situation de déficience intellectuelle, région Occitanie (Iscao). Sa mission est de « favoriser le diagnostic précoce du cancer chez personnes en situation de handicap mental », explique Manon Vulcano, infirmière du dispositif.
Pour cela, elle et Marion Miller travaillent sur deux axes : informer les professionnels dans les institutions sur la prévention et le dépistage du cancer chez les personnes déficientes intellectuelles et les accompagner quand un résident est touché par la maladie.
Aujourd’hui, ajoute-t-elle, « Iscao a mis en place une sensibilisation sur la prévention et le dépistage du cancer auprès des aidants professionnels du secteur médico-social. Parallèlement nous débutons cette année une action d’information directement auprès des personnes déficientes intellectuelles elles mêmes. Nous envisageons ensuite des démarches vers les équipes de cancérologie ».
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