Des infirmières pour repérer les cancers des VADS chez les précaires

Des infirmières pour repérer les cancers des VADS chez les précaires

Depuis 2007, un programme de repérage précoce des cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) est conduit par l’association PREVART dans le bassin minier de Lens. Une infirmière y rencontre la population en situation de précarité pour repérer les personnes à risque et favoriser l’accès à des soins précoces, gages d’un meilleur pronostic.
 ©Caroline Guignot Emmanuelle Van den Abele, infirmière auprès de l’association PREVART
©Caroline Guignot
Emmanuelle Van den Abele, infirmière auprès de l’association PREVART

« Je connais les corons par cœur » ironise Emmanuelle Van den Abele. Et pour cause. Depuis 2010, l’infirmière sillonne les territoires entre Béthune, Lens et Lievin. Aujourd’hui, l’infirmière s’est rendue dans les Restos du Cœur d’un quartier populaire de Lens.

Une quarantaine de personnes font la queue pour récupérer des denrées. « Je me place à proximité de la queue, explique-t-elle. Je me présente et lance la discussion sur le tabac. Je précise tout de suite que je ne suis pas là pour les faire arrêter de fumer mais pour leur apprendre à se surveiller face à cette habitude à risque ».

La discussion s’établit, informelle et détendue, mais l’infirmière est très attentive à tous les signes pouvant suggérer que l’un de ses interlocuteurs est à risque.

C’est le cas de Tania*, justement. Lorsque Emmanuelle Van den Abele parle « des symptômes indiquant que le corps commence à en avoir assez du tabac », cette quadra à la voix enrouée l’interpelle : « c’est vrai que j’ai une douleur chronique à l’oreille ».

Progressivement, Emmanuelle Van den Abele engage la discussion avec Tania. Sur ses habitudes tabagiques d’abord, mais petit à petit, elles parlent vie de famille, enfants. A l’issue de la distribution, Emmanuelle confie : « je connais maintenant un certain nombre de détails sur elle qui me permettront de reprendre facilement contact lors de la prochaine distribution ».

Ce sera alors l’occasion de mieux préciser ses facteurs de risque, notamment l’alcool, plus délicat à évoquer d’emblée. Après deux ou trois discussions informelles de ce type, si au moins deux signaux d’alerte sont présents, l’infirmière proposera une consultation chez l’ORL.

La confiance et la convivialité créées sont souvent suffisantes pour que les personnes acceptent. « Elles restent libres de refuser le rendez-vous à tout moment. Il a généralement lieu dans les quinze jours qui suivent, grâce aux consultations que nous réservent les ORL partenaires. C’est important : un délai trop long nous ferait perdre ces personnes de vue, car elles sont exclues ou s’excluent souvent du système et peuvent vite quitter le soin, explique-t-elle. Mais c’est rarement le cas une fois la première consultation passée ».

Epauler

Le rôle de l’infirmière est alors d’accompagner : elle fixe les rendez-vous, informe le médecin traitant, conduit le patient aux consultations et aux séances de traitement, assiste à l’annonce du diagnostic… jusqu’à ce qu’il s’implique dans sa prise en charge et devienne acteur de sa santé.

« En l’absence de lésions suspectes, on propose de venir reconsulter à quelques semaines d’écart et de conduire dans le délai un sevrage tabagique. Même si elles n’acceptent pas, elles connaissent mieux le système de soins auxquelles elles peuvent accéder si besoin ».

Le succès du projet tient aussi à son articulation avec différentes structures complémentaires : les Centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie, pour une orientation vers le sevrage, le Comité d’hygiène bucco dentaire du Pas de Calais qui sillonne le territoire dans un camping-car aménagé, pour un dépistage ambulatoire, la CPAM pour résoudre rapidement les problèmes de droits. 

Sombre record

Emmanuelle Van den Abele travaille depuis quatre ans sur ce projet né en 2007. A l’origine, un constat : « le Nord Pas de Calais détient le record mondial en termes d’incidence et de mortalité des tumeurs VADS », explique le docteur Jean Delmotte, ORL au CH de Béthune et co-instigateur du projet.

Ces chiffres sont liés à la prévalence régionale des facteurs de risque : tabac, alcool, mauvais hygiène bucco-dentaire. Ils sont aggravés par une moins bonne hygiène de vie et une plus grande fréquence des comorbidités. Les populations précaires, qui recourent généralement tardivement aux soins, sont particulièrement concernées.

Conséquence : « les cancers VADS sont souvent diagnostiquées à un stade avancé (III-IV) auquel la prise en charge est lourde et la chirurgie souvent mutilante, décrit-il. A un stade précoce, le traitement permet en revanche aux patients de retrouver une vie professionnelle et quotidienne quasi-normale ».

Jean Delmotte s’est associé en 2003 à d’autres médecins pour mobiliser le territoire autour de cet enjeu. Ils ont établi deux axes de travail complémentaires avec la plateforme santé PREVART, une association impliquée localement sur des projets de santé publique.

Parallèlement au travail conduit par Emmanuelle Van den Abele, l’association sensibilise et encourage les professionnels de santé à repérer précocement les cancers VADS. Un guichet d’appel est à leur disposition afin qu’ils puissent proposer à leurs patients à risque un créneau de consultation ORL rapide.

Le recours à ce dispositif va croissant, avec un bilan positif : sur les trois dernières années, l’infirmière a permis à 119 personnes de consulter un ORL : 23 d’entre elles avaient une tumeur. Par le biais du guichet d’appel, elles étaient respectivement 267 à avoir consulté et 44 à avoir été diagnostiquées. Sans compter les personnes au stade 0 qui sont orientées vers le sevrage.

« Quatre personnes sur cinq sont diagnostiquées à un stade précoce grâce à ce dispositif, insiste Jean Delmotte. Or, le différentiel de coût des soins est de 30 000 euros entre les deux. Ces données sont des arguments importants qui seront présentés à l’ARS pour pérenniser notre action sur les prochaines années ».

Caroline Guignot

Publié dans ActuSoins n°13

Repères

Les cancers des VADS regroupent les tumeurs de la cavité buccale, du pharynx, du larynx et de la face auxquelles sont classiquement ajoutées celles de l’œsophage. On comptabilise chaque année 56 nouveaux cas de cancer VADS pour 100 000 habitants en France, et près du double en Nord Pas de Calais. Soit 20 000 nouveaux cas et 5 000 décès annuels en France.

Les signaux d’alerte : douleur dans l’oreille, saignement de nez, crachats de sang, modification de la voix, toux chronique, gène pour avaler.

 

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