Décrypter les origines de la violence à l’hôpital

Décrypter les origines de la violence à l’hôpital

Les situations de violence vécues en milieu de soin ont des origines plus complexes que le seul comportement des usagers. Les premiers résultats d'une enquête menée dans le cadre du master Cadres du secteur sanitaire et médicosocial de l'université d'Artois pointent aussi le rôle de l'évolution de l'identité et des pratiques professionnelles et celui de l'organisation des services.

violence-hôpital-250x1671-250x167-250x1671-250x167-250x1672-250x167Au chapitre des situations de violences vécues par les soignants dans les établissements de soin, les tensions avec les usagers, dont les attentes ont évolué, existent bel et bien.

Mais pour Cécile Carra, directrice du master Cadres du secteur cadres du secteur sanitaire et médico-social et responsable du responsable du laboratoire Lille économie management (Lem) à l’université d’Artois, le sujet est plus complexe.

« On a des données très factuelles et qui ne permettent pas de comprendre dans quelles situations ces événements se déroulent », souligne-t-elle. Elle a lancé un programme de recherche, franco-roumain, sur le sujet, et une enquête menée par les étudiants du master pour « rendre compte de cette complexité » à l’automne 2014.

Interroger sur le vécu de la violence

Un questionnaire comprenant 55 questions (fermées et ouvertes) a été élaboré. Au-delà des « faits graves » recensés habituellement, il porte aussi sur le sentiment de violence et son vécu. Il interroge donc les relations des professionnels avec les usagers mais aussi leur identité et leurs pratiques professionnelles.

« Il y a eu une évolution importante des métiers du soin, explique la chercheuse, qui aboutit parfois à un décalage entre le cœur de métier et ce qu’on demande aux professionnels aujourd’hui. C’est une source de souffrance et ils sont plus enclins à dénoncer des faits qu’ils auraient mieux tolérés dans un autre contexte. »

L’enquête aborde aussi la question des organisations, de plus en plus exposées à une logique économique qui induit un management « qui peut être porteur d’un sentiment de violence », ajoute Cécile Carra.

Agir sur les organisations

 Le questionnaire a été envoyé au « réseau » des étudiants, essentiellement des infirmières et des aides-soignantes, dans onze centres hospitaliers et cliniques de MCO, cinq unités de psychiatrie et neuf EHPAD dans le Nord-Pas-de-Calais. 450 personnes y ont répondu.

« Un quart des répondants estiment qu’il existe beaucoup ou énormément de violence dans leur service », souligne Cécile Carra. 60% des personnes interrogées indiquent avoir été victime au moins une fois dans l’année écoulé d’un acte de violence et 46% « à répétition ».

Les réponses ouvertes, dont le traitement se poursuit, permettent d’en savoir plus sur la façon dont ces situations sont vécues. « On s’aperçoit que les tensions relèvent toujours des mêmes problèmes, ajoute la responsable du projet. Les professionnels soulignent, eux-mêmes, les temps d’attente trop longs ou une prise en charge inadéquate, par manque de coordination de l’équipe par exemple. »

Des éléments qui relèvent, en partie au moins, plus de l’organisation du service et de la prise en charge que des usagers eux-mêmes. « C’est une des originalités de l’enquête, commente Cécile Carra, et une source d’optimisme car on peut agir sur l’organisation » et prévenir les situations à risque.

Des pathologies à risque

Aussi, les soignants interrogés pointent que la principale cause de la violence est souvent la pathologie des patients elle-même (troubles psychiatriques, Alzheimer…) : ils n’en sont pas responsables et là encore, une meilleure organisation peut en atténuer les manifestations ou en prévenir l’apparition.

La chercheuse souligne aussi que seuls 11% des professionnels considèrent difficiles leurs relations avec les usagers. « L’aide et l’accompagnement sont leur métier, commente-t-elle. Mais quand ils ne peuvent plus le faire, ils ressentent plus facilement un sentiment de violence. »

Cécile Carra note par ailleurs une sur-représentation des professionnels travaillant à l’hôpital par rapport aux cliniques. parmi ceux qui se déclarent victimes. Un constat qu’elle met en relation avec le fait que les patients les plus fragiles se rendent plus dans les uns que dans les autres.

Prendre de la distance

Autres points à approfondir, selon la elle : 15% des professionnels qui se déclarent victimes mettent en cause d’autres professionnels. En outre ceux qui considèrent leur métier comme une vocation sont plus représentés que les autres.

« Il semble qu’on supporte d’autant moins ces situations qu’on a choisi ce métier par vocation, remarque Cécile Carra. L’engagement peut rendre plus difficile la prise de distance. Mais la relation avec les usagers, avec les autres membres de l’équipe ou la hiérarchie, tout cela peut se travailler en formation. »

Olivia Dujardin