Le broyage de comprimés est monnaie courante dans certains services, parce que le patient est sous nutrition entérale, parce qu’il a des difficultés de déglutition, parce qu’il s’agit d’un enfant… Ce n’est pourtant pas une pratique sans risques. Mieux vaut acquérir quelques réflexes avant de se lancer.
Si elle est développée pour faciliter l’administration, la forme galénique répond aussi à d’autres préoccupations : celles par exemple de préserver le principe actif d’une dégradation ou à l’inverse, de protéger la muqueuse de l’estomac d’une irritation par le principe actif ou de délivrer ce dernier selon une cinétique particulière.
Transformer la galénique d’un médicament n’est donc pas aussi anodin qu’on pourrait le croire. Elle est pourtant plus qu’importante : utiliser un médicament dont on modifie la galénique est considéré comme une utilisation hors AMM, ce qui implique des responsabilités juridiques pour le prescripteur comme pour le soignant.
Quelles recommandations ?
Il n’y a pas de recommandations officielles sur les bonnes pratiques en matière de transformation des formes solides. La Haute Autorité de Santé a émis en 2010 le guide ‘Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments’ dans lequel elle fait des préconisations, qui rassemblent tous les réflexes que les soignants devraient avoir à chaque fois qu’ils envisagent de modifier une forme solide.
Mais aucune liste officielle des formes galéniques et/ou des principes actifs transformables n’existe. Les établissements se saisissent donc de la question sur des initiatives qui leurs sont propres, secondés par les travaux initiés par certains OMEDIT ou certaines ARS comme en Bourgogne, ou en Haute Normandie.
Quel médicament puis je modifier ?
Le premier des réflexes à avoir, donc est de se rapprocher du médecin ou du pharmacien pour voir s’il existe une alternative thérapeutique. « Ce qui est possible neuf fois sur dix » résume Damien Lannoy, pharmacien au CHRU de Lille. Ensuite, la question est de savoir si le comprimé ou la gélule est transformable. Pour être sécable, un médicament doit porter explicitement la mention. Attention à ceux présentant une rainure mais non étiquetés sécables, dans lesquels le principe actif peut être réparti de façon hétérogène. Il n’est pas recommandé de les couper.
Concernant le broyage des comprimés, tout dépend de leurs caractéristiques : « les comprimés classiques peuvent être broyés a priori, sauf s’ils comportent un principe actif toxique ou à marge thérapeutique étroite » explique Damien Lannoy. Les comprimés enrobés, multicouches, à libération modifiée ou à libération prolongée, en revanche, ne doivent ni être broyés ni être coupés car cela peut annuler l’effet recherché par cette forme galénique particulière. D’où un risque de surdosage ou de surdosage pour le patient. Voire un risque de toxicité localisée si le principe actif est toxique pour les muqueuses digestives hautes.
Pour la plupart, les gélules peuvent être ouvertes, en évitant de broyer leur contenu. Seule exception, les gélules entourées d’acétophtalate de cellulose, un excipient gastro-résistant. « Dès que ce composé apparaît dans la composition d’un médicament, il faut éviter de transformer » explique le pharmacien.
Pas toujours simple de s’y retrouver, reconnaît Damien Lannoy, d’autant que les laboratoires fabricants écartent toute prise de risque quand on s’adresse à eux en indiquant leur produit comme non transformable. Côté monographie, les informations sont parfois manquantes. Et ce tableau est encore compliqué par les génériques dont la forme pharmaceutique peut être différente de celle du princeps. Dès qu’un doute subsiste, il vaut mieux se faire aider par la pharmacie.
Enfin, il existe des précautions spécifiques lorsque le broyat est destiné à être administré par voie entérale : les médicaments sont normalement passés un par un, avec un rinçage entre chaque. Un travail fastidieux qui impose aussi d’administrer au patient des volumes d’eau parfois élevé par rapport à ce qu’il peut tolérer. Il est alors tentant de passer les principes actifs ensemble, mais des problèmes d’incompatibilité entre composants peuvent survenir. Encore une fois, le service de pharmacie peut aider les services à déterminer les bonnes pratiques à suivre en cas de protocoles récurrents.
Quelles précautions prendre ?
Côté manipulation, le coin de paillasse n’est évidemment pas recommandé, parce qu’il favorise la contamination par des impuretés ou des traces d’autres médicaments broyés là auparavant. Attention aussi à se protéger, pour éviter tout risque d’inhalation ou de contact avec des produits irritants ou toxiques : « le broyage entraîne la formation d’un aérosol fin, souvent invisible, mais pourtant réel qui peut provoquer des allergies ou une toxicité. Il faut au minimum des gants et un masque, si possible une charlotte. Il existe sinon des broyeurs fermés qui permettent d’écraser le produit finement et de manière reproductible sans risque pour l’utilisateur ».
Pour les médicaments les plus fréquemment utilisés et transformés, pourquoi ne pas chercher avec la pharmacie à développer des formes galéniques adaptées : « nous préparons notamment des suspensions ou des sucettes à partir de médicaments non administrables à l’enfant pour les services de pédiatrie » donne en exemple Damien Lannoy.
Il y a donc de multiples solutions. Reste à en discuter avec le prescripteur et la pharmacie pour trouver une solution plus acceptable en termes de bénéfice-risque, qu’il s’agisse du patient ou du soignant.
Les produits à ne pas transformer (et pourquoi)
Ne pas transformer | Pourquoi ? |
Comprimés ou gélules gastro résistantes | Risque d’inefficacité après destruction du principe actif par l’acidité gastrique |
Comprimés à libération modifiée (LM), à libération prolongée (LP) et comprimés multicouches | Risque de modifier la cinétique, avec des risques de sur- puis de sous-dosage après administration |
Capsules | Risque de perte de produit |
Les principes actifs à manipuler avec précaution | Cytotoxiques et principes actifs à toxicité locale, à marge thérapeutique étroite, à excipient huileux, instables à l’air, à la lumière |
Caroline Guignot / Journaliste – Pharmacien
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