Organisation des soins : des défaillances multiples en psychiatrie

Part trop importante des hospitalisations de longue durée, mauvaise articulation entre l'hospitalisation et les dispositifs de sortie, nombre trop faible de visites à domicile, entrées dans les soins sous contrainte "faute d'anticipation et de suivi" : l'organisation des soins en psychiatrie, notamment pour les patients atteints des troubles les plus sévères, est jugée "déficiente" par la Cour des Comptes dans son rapport "Les parcours dans l'organisation des soins psychiatriques"

Organisation des soins : des défaillances multiples en psychiatrie

© ShutterStock

La Cour a notamment examiné le nombre de personnes hospitalisées au long cours en psychiatrie (soit un an ou plus, en continu ou non), en nombre de patients mais surtout en journées d'hospitalisation. 

"Comme le confirment les monographies consacrées sur ce sujet à des établissements ou à des régions, la permanence dans le temps de ce phénomène d'hospitalisations de longue durée, jugées inadéquates par les cliniciens, est l'indice d'une difficulté structurelle à trouver des solutions d'aval (au sein d'établissements ou de services médico-sociaux ou, plus difficilement encore, dans des logements supervisés, avec le soutien de visites à domicile quand c'est nécessaire)", indique le rapport.  

De plus, pointe-t-il, "une période d'hospitalisation supplémentaire n'apporte pas de plus-value thérapeutique et au contraire produit des effets dommageables sur la perte d'autonomie, rendant l'insertion de plus en plus difficile". 

Sur ce point, les recommandations de bonne pratique suggèrent d'envisager et de préparer la sortie dès le début d'une hospitalisation pour en éviter les effets délétères, note-t-on. 

"Des efforts considérables sont parfois déployés par les établissements" mais le nombre de séjours de longue durée diminue peu, indique la Cour des Comptes. "Ils n'évitent pas que réapparaissent des cas, dès lors que la prise en charge de ces patients chroniques nécessite la coordination de nombreux intervenants, relevant de différents services".

Les patients hospitalisés en longue durée sont, pour 45%, des patients psychotiques, selon les calculs de la Cour des Comptes, qui met en corrélation la difficulté à trouver des solutions durables d'aval "dans la communauté" (avec un logement supervisé par exemple) et le faible développement des actes ambulatoires dits "d'accompagnement", qui permettent de réinsérer les patients.

La France, mauvaise élève du suivi après hospitalisation

Selon les calculs de la Cour des Comptes, 26,3% des patients dans le secteur public et les ESPIC ne reçoivent pas, dans les deux mois qui suivent leur sortie d'hospitalisation, les soins nécessaires spécialisés en psychiatrie (en comptabilisant les visites aux psychiatres libéraux). A titre de comparaison, ce taux s'élève à 5% au Royaume-Uni, 4% en Italie dans le secteur de Vérone, 9% en Allemagne, de 15% en Belgique et de 21% en Pologne. 

On note qu'ils ne sont que 5,7% dans les cliniques privées à but lucratif, "où les filières établissements/psychiatres libéraux sont bien établies et permettent un suivi plus systémique". 

Le taux élevé de "non suivi spécialisé" des établissements publics et ESPIC après une hospitalisation peut résulter de plusieurs causes, analyse la Cour : les rendez-vous n'ont pas été programmés lors de la sortie du patient ("ce qui est contraire aux bonnes pratiques"); plus fréquemment, le patient a eu un rendez-vous mais ne l'a pas honoré. Dans la plupart des cas, pourtant, aucune relance ni visite à domicile, ni même contact téléphonique, ne sont mis en place. 

Nombre trop faible de visites à domicile

"En principe, la psychiatrie de secteur, territorialisée, a pour vocation de proposer des visites à domicile et ainsi de tisser des liens avec l'entourage. Or, le nombre d'actes à domicile est très faible", remarque la Cour.

En 2018, parmi les patients ayant été hospitalisés et souffrant de schizophrénie par exemple, seuls 19% ont bénéficié d'au moins une visite à domicile après leur sortie. Par rapport aux données antérieures, ce taux fait apparaître une diminution importante des taux de suivi à domicile, aux "conséquences potentiellement dommageables". 

Des entrées contraintes faute d'anticipation et de suivi

Le rapport constate une "hausse sensible" du recours aux soins sans consentement. Une part de cette progression est due au développement de soins sans consentement en ambulatoire, dans le cadre des programmes de soins, note-t-il. 

"Mais cette augmentation des soins sans consentement caractérise également les hospitalisations à temps plein et cette évolution semble traduire, parmi d'autres causes, un manque de coordination entre services et surtout un manque de suivi et de disponibilité en cas d'aggravation : de nombreux patients arrivent aux urgences générales, alors-même qu'ils étaient connus et "suivis" par le secteur psychiatrique, qui n'a pas eu connaissance de cette entrée". 

Or, la probabilité d'hospitaliser sous contrainte un patient est plus élevée si on ne dispose d'aucune information le concernant, d'autant qu'en urgence, les circonstances rendent plus difficiles la coopération du patient à ses soins et la mise en place de la période de 72 heures d'observation qui permettrait d'éviter cette modalité, considère la Cour. 

Rédaction ActuSoins

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La Cour des Comptes dresse une liste de recommandations

"Ces défaillances sont les conséquences de l'absence d'organisation de l'offre par niveaux de spécialisation, en fonction des besoins. Cette absence conduit le système de soins spécialisés à être submergé par une multitude de demandes, dont certaines pourraient pourtant être traitées dans une autre partie du système de soins, pour lui permettre de recentrer son activité sur les patients qui nécessitent des soins de psychiatrie", pointe la Cour des Comptes. 

Elle recommande de s'appuyer sur des leviers juridiques, des outils de coordination et sur l'affirmation de soins gradués.

Elle préconise notamment de : 

1. Soumettre l’ensemble des établissements autorisés en psychiatrie à des conditions techniques de fonctionnement propres aux activités psychiatriques, comportant notamment la traçabilité du travail pluridisciplinaire et l’obligation de coordination interne et externe à l’établissement, afin de garantir la continuité des soins (ministère des solidarités et de la santé).

2. Enrichir le contenu des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens conclus avec l’ensemble des établissements autorisés d’un socle d’indicateurs relatifs aux parcours des patients ; y intégrer, pour les établissements désignés à cet effet, un volet relatif à la mission d’accueil des patients en soins sans leur consentement et à la mission de secteur (ministère des solidarités et de la santé, ARS) .

3. Mettreàladispositiondetoutesles équipes chargées de suivre les projets territoriaux de santé mentale (et les contrats qui s’en déduisent avec les ARS) un panel socle d’indicateurs relatifs aux parcours et les données correspondantes (ministère des solidarités et de la santé) .

4. Généraliser dès que possible la prise en charge par l’assurance maladie des psychothérapies faites par des psychologues et prescrites par le médecin traitant (ministère des solidarités et de la santé, Cnam) .

5. Prévoir que l’accès aux soins en centre médico-psychologique pour les adultes passe par le filtrage d’un service de « première ligne » et que le secteur(oul’inter-secteur)contribueà la mission d’appui aux professionnels de « première ligne » (ministère des solidarités et de la santé) .

6. Réaliser une enquête épidémiolo- gique en population générale tous les dix ans (ministère des solidarités et de la santé).

7. Rendre obligatoire l’usage d’une échelle de sévérité des pathologies et la transmission des données anonymisées correspondantes, dans le cadre des données transmises à l’ATIH par les établissements (ministère des solidarités et de la santé) .

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Réactions

4 réponses pour “Organisation des soins : des défaillances multiples en psychiatrie”

  1. Alain dit :

    Ce vieux principe sectorisant les services d’un hopital psychiatrique par territoire géographique est aberrante et doit être abandonné au profit de services par pathologie psy.
    Un frère d’une schizophrène, membre du conseil de surveillance d’un CH psy

  2. Bocquet dit :

    La Cour des Comptes est gravement à côté de la plaque et méconnaît complètement l’historique du secteur Psychiatrique. Cette ignorance crasse l’amène, par exemple, à faire l’impasse sur la période 1995-2005 qui a vu le nombre de lits diminuer de 65.000 en psychiatrie Publique, ce qui a constitué une véritable catastrophe sanitaire en France ; avec autant de patients abandonnés à leur sort, en situation de défaut de soins et de mise en péril. Quant aux services et établissements médico-sociaux, rappelons juste qu’il ne relève pas de leurs missions de se substituer à la Psychiatrie et qu’ils n’ont aucune compétence ni moyens pour cela. La Cour des Comptes ferait bien de se préoccuper des véritables questions. Jean-Luc Bocquet.

    • Alain dit :

      Il ne faut pas oublier que la réduction de lits était une bonne direction pour obliger les hôpitaux psychiatriques à se repenser « hors les murs » : la France était la championne de l’enfermement. Le problème est que les hôpitaux n’ont pas fait le virage ambulatoire avec des CMP mal organisés, du personnel qui ne font pas de VAD… Bref plus de suivi des patients à l’extérieur d’où des réhospitalisassions bien trop nombreuses. Il faut aller voir les autres pays qui n’ont pas autant de patients enfermés que nous… Enfin une dernière cause de notre échec est le manque de solutions pour les sorties que pointe aussi la Cour des comptes qui pour moi n’est pas « à côté de la plaque ».
      Un frère d’une schizophrène, membre du conseil de surveillance d’un CH psy

  3. Rosine Blandin dit :

    Les différentes politiques successives ont détruit le secteur , la non spécialisation a appauvri la qualité de soins , la non compréhension des pathologies et les recours banalisés à la contention, l’informatisation chronophage , le manque de personnel chronique, ont effectivement amené à 1 situation catastrophique. Et la cour des comptes se targue de recommander « les bonnes pratiques » ?
    De qui se moque-on?
    Aujourd’hui la covid a empiré les conditions de travail et de vie pour les soignants et les soignés . On crée des services covid + en intra puisqu’ils, elles, sont persona non grata à l’hôpital général…
    Quid du questionnement de cette même cour des comptes sur la situation actuelle?
    Écœurée

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