« Atmosphère irrespirable » à Pompidou

| 11 710 vues | | mots clefs : , 1 réaction

Infirmiers, combien de perfusions posées, combien de passages en chambres ? C'est peut-être la prochaine étape d'un feuilleton hospitalier qui pourrait s'intituler "Big brother is watching you". Pour l'instant, ce sont les chirurgiens qui sont fichés en fonction du nombre et de la durée des interventions. La direction recherche le "corbeau" qui a tout divulgué !

"Atmosphère irrespirable" à PompidouSept praticiens de l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP, Paris, AP-HP) ont en effet déposé plainte pour mise en oeuvre d'un "traitement automatisé de données personnelles clandestin"  a rapporté mardi 15 avril à l'agence APM leur avocat Maître Rodolphe Bosselut.

En mars, plusieurs chirurgiens de l'hôpital découvrent dans leur casier une missive anonyme : un tableau comptabilisant le nombre d'interventions et de minutes de bloc.

La légende est rédigée par la main d’Anne Costa la directrice de l’établissement. "Je vous envoie un tableau des activités de chaque chirurgien en nombre d’interventions et minutes de bloc car l’un complète l’autre évidemment ", précise le mail envoyé le 19 février par Anne Costa au doyen de la faculté de médecine René-Descartes et président de la Commission médicale d’établissement.

Corrects ou faiblards ?

"J'ai souligné en bleu ceux qui me paraissent corrects et jaunes ceux qui me paraissent faiblards… J'attire votre attention que dans certains services il apparaît clairement que le chef de service met à son nom pas mal d'interventions de ses collabos", poursuit la directrice de l'HEGP dans ce mail intercepté par une personne qui demeure inconnue et a tenu à porter ce document à la connaissance de certains des intéressés.

Les chirurgiens ont porté plainte ont porté plainte contre X pour mise en œuvre d'un traitement automatisé de données personnelles clandestin, absence de déclaration préalable à la Cnil, défaut d'information des personnes dénommées, détournement de finalité des informations, divulgation illicite d'informations personnelles traitées.

Pourraient par ailleurs s’ajouter à cette liste déjà longue, la diffamation. La plainte a été transmise à la section S2 (cybercriminalité) du TGI de Paris.

Chiffres erronés, comparaisons farfelues

Le syndicat Avenir Hospitalier qui a été l’un des premiers à évoquer l’affaire enfonce le clou : "ce sont des pratiques managériales indignes qui ne reposent pas sur le respect et la dignité que chaque institution doit à ses acteurs".

Au delà des questions de déontologie et d'éthique, se pose la question de la légalité d'un tel fichier et de fiabilité des chiffres. De fait, les tableaux auraient été constitués à partir de deux  logiciels, l'un permettant de remplir des dossiers patients et l'autre visant à gérer les rendez-vous. Lesquels laissent souvent apparaître des écarts avec l’activité réelle des chirurgiens. « Ces chiffres sont complètement erronés ! » assure  le docteur Rachid Zedgi, cité par Egora.

Ils sont donc peu fiables et surtout les comparaisons sont plutôt farfelues. " Vous ne pouvez pas comparer des choses qui ne sont pas comparables… La quantité d’actes varie selon les spécialités ! », rappelle Maître Rodolphe Bosselut.

Certains préfèrent ironiser comme le professeur Emmanuel Masmejean dans les colonnes du Figaro : " Moi, je suis un chirurgien faiblard en nombre d’heures mais pas en nombre de patients (…). Je m’excuse d’opérer sept ou huit patients de la main en une journée ambulatoire ! La chirurgie cardiaque ou digestive est beaucoup plus longue comparée à ma spécialité où l’on opère vite".

Quant à la qualité des soins, elle est totalement exclue de cette comparaison !

La direction à la recherche du "corbeau"

Sept praticiens concernés ont envoyé le 20 mars un courrier au directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, pour l'interroger sur l'existence de ce fichier. Mais ce dernier n'aurait pas encore daigné les recevoir.

Il a cependant envoyé un courrier ce matin à l'ensemble des personnels de l'hôpital Pompidou, selon Egora, dans lequel il revient sur les tensions qui règnent actuellement à l'hôpital, dénonce des "tentatives de destabilisation" et "condamne avec la plus grande fermeté" les mises en cause personnelles dont la directrice, Anne Costa aurait fait l'objet.

Les praticiens ont pu constater que la direction était d’abord préoccupée par la façon dont la messagerie d’Anne Costa avait pu être piratée. Le président de la CME de l’AP-HP Loïc Capron a ainsi rappelé  à Egora que « le piratage d’une messagerie électronique est un délit inacceptable, la justice doit chercher à connaître l’identité de son auteur pour le poursuivre ».

Nombreux sont ceux qui se posent la question sur l'existence de tels fichiers dans d'autres établissements. Bernard Granger, psychiatre à l’hôpital Cochin et membre de la CME centrale de l’AP-HP confirme que de « tels fichiers existent dans de nombreux autres services ».

Le sujet a été abordé par la CME de l'AP-HP. Son président s'insurge d'une "situation d'une gravité inédite jusqu'ici" qui laisse "planer des soupçons sur l'intervention d'intérêts personnels de vile espèce (vengeance de mécontents, successions de chefferies de service, irrégularités dans la rémunération de l'activité privée de certains praticiens, etc.)".

Pour le professeur Philippe Halimi, cité par Egora, ce classement aurait déjà été utilisé pour remettre en cause la nomination au poste de chef de service d’un chirurgien ORL,"pourtant reconnu comme une sommité mondiale". 

"L'atmosphère est irrespirable", avoue-t-il à Egora. Nomination contestée d’un chef de service en orthopédie, soupçons de dessous de table, cinq médecins qui se sont entourés d’avocats pour régler des conflits… La coupe déborde !

Il est donc urgent de trouver le corbeau par qui le scandale est arrivé... Pour le reste, la justice poursuit son cours. La plainte des sept médecins de l’hôpital Pompidou est entre les mains du procureur de la République, qui doit décider l’ouverture d’une enquête.C'est seulement ensuite qu'ils pourront se constituer partie civile.

Cyrienne Clerc

Abonnez-vous à la newsletter des soignants :

Faire un don

Vous avez aimé cet article ? Faites un don pour nous aider à vous fournir du contenu de qualité !

faire un don

Réactions

1 réponse pour “« Atmosphère irrespirable » à Pompidou”

  1. mclove dit :

    bienvenue dans le management de l’efficience enseigné à l’RNSP

Réagir à cet article

retour haut de page
354 rq / 4,879 sec