Birmanie: Etre infirmier au péril de sa vie

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Saw Poe Aye est infirmier. Mais l'exercice de son métier le pousse à de rares extrémités: il doit sillonner la jungle birmane, risquant la prison sinon la mort, pour soigner les victimes d'une des plus anciennes guerres civiles de la planète.

Birmanie : Etre infirmier au péril de sa vie

Une équipe de la Back Pack Health Worker Team en action - © BPHWT DR

Ils sont environ 300 comme lui à apporter médicaments, soins et éducation sanitaire élémentaire aux Karens et autres minorités ethniques de l'est du pays.

Depuis la ville thaïlandaise de Mae Sot, la Back Pack Health Worker Team (littéralement, Equipe de personnels de santé sacs au dos), financée par des dons, brave les rondes militaires birmanes sur les pistes sinueuses et accidentées d'une jungle inhospitalière.

Et en paye le prix fort. Elle dit avoir perdu, depuis sa création en 1988, neuf infirmiers et une sage-femme, tués par des mines ou par balles, dont la dernière fois en juillet 2010. Beaucoup d'autres ont été emprisonnés.

"Si on ne court pas, on se fera tirer dessus parce que le régime nous considère comme une organisation de l'opposition, non comme des travailleurs de santé", explique Saw Poe Aye, 34 ans, originaire de l'Etat Karen, subdivision administrative de Birmanie.

Lui et ses semblables servent une population de 180.000 personnes, souvent déplacées, dans les Etats Karen, Karenni, Mon, Arakan, Kachin et Shan. Chaque équipe, de trois à cinq travailleurs, revient en Thaïlande deux fois par an pour s'approvisionner.

Et Saw Poe Aye met quatre jours pour atteindre, en bus, en bateau et à pied, les zones contrôlées par les groupes armés dans lesquelles il soigne la malaria, la diarrhée ou les blessures de guerre. Avec, parfois, une escorte rebelle.

Ces liens de l'organisation avec les rébellions soulèvent des questions sur sa neutralité proclamée. Mais elle défend le besoin de combler un vide sanitaire.

"Le gouvernement et les organisations non gouvernementales ne peuvent atteindre ces régions", relève Mahn Mahn, directeur depuis la Thaïlande de la Back Pack Health Worker Team. "Elles sont instables et les civils se déplacent tout le temps".

"Si vous tombez malade, vous avez de la chance si une équipe passe dans la région à ce moment-là. Sinon, vous êtes seul", renchérit Sally Thompson, qui aide les réfugiés birmans à la frontière thaïlandaise.

Certains, atteints de problèmes trop sérieux pour être soignés sur place, entreprennent eux-mêmes le périlleux périple pour rejoindre un hôpital à Mae Sot.

Pathologies curables, mais pas soignées

De nombreuses minorités ethniques, qui représentent un tiers des 50 millions de Birmans, n'ont jamais pacifié leurs rapports avec le pouvoir central depuis l'indépendance en 1948. Depuis, une guerre civile oppose la capitale à des groupes armés réclamant plus de droits et d'autonomie.

Les combats se sont intensifiés depuis un an dans le nord et l'est du pays. Inlassablement, les organisations de défense des droits de l'Homme y dénoncent les attaques contre les civils, violences sexuelles, enfants soldats, travaux forcés.

Mais selon l'organisation, plus de la moitié des décès dans ces zones sont liés à des pathologies curables, mais non soignées faute d'accès aux soins. Malaria en tête. Et le taux de mortalité infantile y est le double de la moyenne nationale officielle.

Depuis le printemps, la junte au pouvoir a passé la main à un gouvernement civil. Mais il est composé d'anciens officiers et reste contrôlé par les militaires.

"On a d'abord pensé que les choses pourraient changer", explique Saw Poe Aye. "Mais la situation est identique, sinon pire".

Les combats ne faiblissent pas dans certaines zones et l'appel récent du gouvernement à des pourparlers de paix a fait plus de sceptiques que de convaincus. Bangkok, de son côté, menace de fermer ses camps dès que possible, espérant se débarrasser du fardeau de quelque 140.000 réfugiés.

Mais de santé publique, nul ne parle ou presque.

Le gouvernement birman dépense sept dollars par an et par personne pour le secteur, soit 1,8% de son budget, l'un des taux les plus faibles du monde. Alors la Back Pack Health Worker Team promet de poursuivre son travail.

"Si on ne le fait pas, personne ne viendra le faire pour nous", souligne l'infirmier.

Daniel Rook -AFP

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