Exercice infirmier en maisons de santé : les plus… et les moins

L’exercice regroupé entre plusieurs professionnels de santé au sein d’une même structure est à la mode. Les avantages listés par les adeptes de cette organisation, dont les infirmières libérales, sont nombreux. A qui le tour ?

Marie-Christine Dufresne infirmière, dans son cabinet, à la maison de santé pluridisciplinaire de Segonzac (Poitou-Charentes) ©DR

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Marie-Christine Dufresne infirmière, dans son cabinet, à la maison de santé pluridisciplinaire de Segonzac (Poitou-Charentes)

L’exercice au sein d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) permet à des professionnels médicaux et paramédicaux de travailler en partageant les mêmes locaux.

Cette organisation a généralement lieu à l’initiative des professionnels eux-mêmes qui ne veulent plus exercer seuls dans leur cabinet et trouvent des avantages à l’exercice collectif, mais aussi des collectivités qui, face aux déserts médicaux, souhaitent attirer les professionnels en vantant les mérites d’un exercice collectif.

« C’est la communauté de communes qui a eu la volonté de créer cette MSP par rapport au départ à la retraite du médecin et à la crainte du désert médical », raconte Corine Larroucau, infirmière libérale à la maison de santé de la communauté de commune du Canton de Lembeye (Aquitaine).

 Un choix professionnel

« Contrairement aux médecins et aux pharmaciens qui peuvent être confrontés à des difficultés gérables en intégrant une MSP, celles qui peuvent avoir une vraie complexité à l’installation sont les infirmières libérales », soutient Pierre de Haas, président de la Fédération française des maisons et pôle de santé (FFMPS).

En cause ? Encore une grande partie des infirmières libérales vivent du nursing et le fait de travailler en équipe peut leur faire abandonner le nursing pour les soins complexes.

« Si l’infirmière entre dans une équipe et que le médecin joue le jeu, il n’y aura pas de problème, fait savoir Pierre de Haas. D’autant que les médecins ont au moins 5 % de patients complexes, donc largement de quoi faire travailler une infirmière. Mais si le médecin ne donne pas plus de prescriptions de patients complexes à l’infirmière, alors économiquement, cela peut être dangereux pour elle. »

Il est donc impératif de mettre cette question sur la table dès le début de l’organisation en groupe. « Chaque profession est nécessaire dans l’équilibre économique de l’autre, et l’idéal est d’organiser une réunion une fois par an pour voir si quelqu’un est en difficulté », recommande-t-il.

 Charges plus élevées mais plus de confort

Autre source de questionnement : les charges souvent plus élevées en MSP notamment parce qu’il y a du personnel. « Mais le personnel qui s’occupe de l’administratif permet de dégager du temps pour faire plus d’actes, indique Pierre de Haas. Donc normalement cela génère une hausse du chiffre d’affaires et une meilleure productivité du soin. »

Les infirmières libérales payent aussi le plus souvent un loyer plus important. « On est locataire de la communauté de commune, témoigne Corine Larroucau. Le montant du loyer a un peu augmenté mais je reste satisfaite de mon choix car j’ai un meilleur confort de travail. Avec notre nouveau cabinet, nous avons plus d’espace et sommes dans la conformité. »

« Nos conditions de travail ont changé et se sont améliorées, estime également Marie-Christine Dufresne, infirmière libérale à la maison de santé pluridisciplinaire de Segonzac (Poitou-Charentes). Les locaux sont plus adaptés, lumineux et de plain-pied. »

Miser sur la collaboration

Outre l’aspect économique, la crainte de retrouver, comme à l’hôpital, une organisation hiérarchique avec le médecin, peut freiner. « D’après moi, il s’agit d’un faux problème car cela dépend des relations entre professionnels, considère Pierre de Haas. D’autant que ce sont des professionnels libéraux, les décisions sont donc prises conjointement et généralement dans le cadre d’un protocole de travail. »

« Pour éviter cette crainte, il faut bien répartir les rôles dès le départ, souligne Elodie Praud, infirmière libérale au sein de la MSP Vie et Santé au Fenouiller (Pays-de-la-Loire). Chez nous, cela se passe bien. On travaille en collaboration et on garde aussi nos propres patients. C’est une question d’organisation. »

« On n’a aucune crainte d’une éventuelle hiérarchie avec les médecins », poursuit Marie-Christine Dufresne. Avant de faire le choix, il y a trois ans, de travailler en MSP, Marie-Christine Dufresne travaillait dans un cabinet avec une consœur. « Pour aller voir les médecins, il fallait se déplacer et on ne les connaissait pas tous très bien. Aujourd’hui, les médecins sont plus à l’écoute. C’est rassurant de les avoir vers nous. Cela nous a rapproché, on se connait plus et on ose davantage discuter.»

 Autour du patient

L’exercice au sein d’une MSP modifie la pratique des professionnels. Ils sont à la fois autonomes dans leurs décisions, mais ils peuvent se solliciter mutuellement lorsqu’il y a un problème autour d’un patient commun, se retrouver de manière formelle au cours d’une réunion, ou de façon informelle, dans les couloirs, pour échanger des informations et élaborer des protocoles pour le patient.

« Je suis satisfaite de mon choix car je ne suis pas seule dans mes décisions, indique Elodie Praud. Entre professionnels de la MSP, on fait des réunions de coordination sur la prise en charge de patients complexes que nous avons en commun, afin de trouver pour eux la solution optimum. »

« La MSP apporte un confort de soin pour le patient, ajoute Marie-Christine Dufresne. Dès que l’on a un souci avec un patient, on peut aller voir le médecin qui est dans le cabinet d’à côté. La surveillance des patients est donc mieux assurée car on partage plus d’informations et on est davantage au courant des pathologies. »

« Il y a 10 ans, quand je recevais un patient lourd, j’avais beau donner des conseils, je ne le revoyais que quelques mois plus tard, témoigne Pierre de Haas. Par contre, l’infirmière libérale peut le voir tous les jours si je fais une prescription. Le fait de nous voir entre professionnels porte ces fruits. La MSP permet des protocoles sur des facteurs de risque et donc une réponse homogène des professionnels de santé. »

Et en voyant le patient tous les jours, l’infirmière libérale peut aussi devenir sa référente. Elle a une place centrale dans le suivi des patients complexes. Les patients aussi approuvent ce mode de fonctionnement. « Ils sont satisfaits de la proximité des soins et de la possibilité d’avoir tous les professionnels de santé réunis au même endroit, témoigne Elodie Praud. Il est également rassurant pour eux de savoir que nous échangeons sur leur cas entre professionnels. »

 Organisation juridique

Les professionnels de santé qui souhaitent travailler dans une structure de groupe peuvent se regrouper comme ils le souhaitent. Mais certaines MSP ont été éligibles pour faire partie d’une expérimentation sur les nouveaux modes de rémunération et prétendre à des dotations en équipe comme prévu par la loi Hôpital, patients, santé, territoires de 2009.

Pour en bénéficier, les professionnels ont dû créer une Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA), seule structure juridique permettant de percevoir des rémunérations communes.

Le cahier des charges exige également que le travail en équipe s’organise autour d’un projet de santé. « On a créé une SISA, informe Marie-Christine Dufresne. Les premières subventions nous ont permis d’acheter du matériel commun. Puis, nous faisons une réunion une fois par mois pour parler de l’organisation. »

Le fait de ne pas faire partie des expérimentations n’empêche pas pour autant le travail en commun. « On a envisagé de travailler sur un dossier partagé, indique Corine Larroucau. Mais ce n’est pas encore fait. Pour le moment, on se coordonne par écrit et verbalement. On n’a pas instauré de fréquence de contact. Si un dossier est critique, on embraye tout le monde, c’est plus facile et rapide ! »

« On pourrait envisager une évolution, suggère Pierre de Haas. Par exemple, les infirmières sont plus compétentes que les médecins dans le domaine des plaies et cicatrisations. Mais actuellement, le patient doit passer par le médecin pour avoir une prescription, sinon il n’y a pas de cotation pour l’infirmière. On pourrait faire en sorte que le patient puisse aller directement vers l’infirmière et que le médecin se contente de l’ingénierie des soins. »

Et de conclure : « L’équipe doit se structurer et développer une capacité d’organisation, car si les libéraux ne s’en occupent pas, c’est l’Etat qui va le faire à leur place. »

Laure Martin

 

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