La grande marche de la presse infirmière

La grande marche de la presse infirmière

Depuis plus de quatre-vingts ans, les infirmières disposent de magazines spécialisés. Du militantisme au pragmatisme économique, retour sur les grandes dates de cette presse professionnelle.

Couverture de l'Infirmière Magazine de novembre 1988 - © Wolters Kluwer

Actualiser ses connaissances, découvrir des expériences… Dès le début, alors même que se structure la profession d’infirmière, le besoin d’informations se fait sentir. Pour y répondre, des médecins français créent L’Infirmière française en 1923 ! Léonie Chaptal, figure de proue des infirmières, prend la direction du titre. Cette première revue nationale garde le monopole jusqu’en 1951, année de fondation par la Croix-Rouge de La Revue de l’infirmière, mensuel «bien-pensant» à l’image de l’institution. Dans la foulée, plusieurs magazines, plus spécialisés, voient le jour : Vie Social et traitement (1954) pour ceux qui travaillent en milieu psychiatrique, Les Cahiers de la puériculture (1964), Soins formations pédagogie et encadrement (1970)…

Un magazine engagé

Mais, cette presse morcelée ne décolle pas vraiment. Les audiences restent limitées jusqu’au tournant de 1988. Trois ans plus tôt, les éditions Lamarre dépoussièrent l’historique L’infirmière française rebaptisée La Lettre de l’Infirmière française. En février 1987 sort une nouvelle formule, c’est le premier numéro d’Infirmière magazine. A sa tête : Annick Jouan. Infirmière issue du secteur privée, elle ouvre les pages à la défense de la profession. C’est une révolution. Alors que les autres titres ne sont consacrés qu’aux soins, L’Infirmière magazine est le premier à aborder les problèmes de salaires, de risques professionnels. Annick Jouan l’a bien senti, l’heure est à la contestation. Dès juin 1988, le magazine sort une grande enquête sur le «malaise d’une profession maltraitée». Dans son éditorial d’octobre, Annick Jouan écrit : «Que l’ampleur du mouvement qui prend forme en cette rentrée soit à la mesure de toutes les ambitions ! Nous avons tout à gagner à faire preuve de détermination et d’une volonté farouche de sortir de l’ombre (…) Courage !»

Le mois suivant, 100 000 infirmières sont dans la rue pour demander reconnaissance et hausses de salaires. L’Infirmière magazine est au plus près du mouvement. La rédaction se rapproche de la Coordination nationale à qui elle prête ses locaux. Dans son numéro de novembre, Annick Jouan adresse ses félicitations pour un «tel succès». «Une nouvelle génération d’infirmières est en marche, libérée de son complexe d’infériorité. Il serait dommage de ne pas aller plus loin…», lance la rédactrice en chef dans l’édition de novembre. Le ton est donné pour les années à venir : militant et contestataire. Jusqu’au début des années 1990, plusieurs couvertures sont consacrées aux revendications. En 1991, les éditions Lamarre reprennent, de leur côté, une politique de spécialisation et lancent L’Infirmière magazine libérale suivi, un an après, par Objectifs Soins, destiné aux cadres.

Vers la neutralité

En 1994, le groupe multinational d’origine néerlandaise Wolters Kluwer rachète le magazine aux éditions Lamarre. Progressivement, à l’instar du mouvement infirmier qui s’étiole, la ligne éditoriale évolue vers davantage de neutralité. Les journalistes professionnels deviennent plus nombreux que les soignants même si la directrice des publications reste issue du monde hospitalier et qu’un comité de rédaction composé d’infirmiers est maintenu. «Aujourd’hui nous traitons toujours de l’actualité socio-professionnelle, par exemple des problèmes d’effectifs dans les hôpitaux. Nous sommes porteur des messages et des difficultés rencontrées par la profession, nous en faisons une analyse critique, mais n’appelons jamais à manifester car ce n’est pas le rôle d’une rédaction», explique Thierry Lavigne, directeur de l’Infocentre santé chez Wolters Kluwer à propos de l’Infirmière magazine. Celui-ci reste n° 1 du secteur avec 50 000 exemplaires mensuels annoncés contre 35 000 pour La Revue de l’infirmière, l’autre grand titre, propriété du groupe Elsevier Masson.

A l’heure d’Internet

Face à ces poids-lourds de l’édition, le développement d’Internet suscite de nouvelles velléités d’informations et surtout d’échanges. En mars 2000, infirmiers.com ouvre le bal des sites «indépendants» à destination des infirmières. Dernier né sur la toile : ActuSoins, créé avec l’engagement de valoriser l’expertise des infirmiers. Enfin, l’autre grande nouveauté offerte seulement par le Web réside dans la possibilité de partager son expérience. La multiplication des blogs et des pages Facebook témoigne bien du réel besoin d’échanges de la profession.

Judith Korber

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