Projets infirmiers : quelques conseils pour bien se lancer

Les infirmiers sont nombreux à avoir en tête des projets pour améliorer la prise en charge de leurs patients. Mais il n’est pas toujours évident de se lancer ! Cinq d’entre eux ont accepté de nous livrer leurs conseils. Article paru dans le n°33 d'ActuSoins Magazine (juin 2019).

Le jeu de l'oie médicamenteuse créé pour les étudiants de l'Ifsi du Centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne

Le jeu de l'oie médicamenteuse créé pour les étudiants de l'Ifsi du Centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne (Isère). © DR

Le jeu de l’oie médicamenteuse pour les étudiants de l’Ifsi du Centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne (Isère)

« L’idée de créer un jeu pour les étudiants en soins infirmiers (ESI) m’est venue à l’été 2018 après deux constats », explique Linda Lombard, cadre de santé et formateur en Ifsi.

Elle a d’abord remarqué que les étudiants ne sont pas séduits par l’apprentissage « par cœur ».

 Puis, Linda Lombard, également maman, a constaté « en observant les enfants, qu’ils apprennent beaucoup mieux en jouant ». C’est ainsi qu’elle a eu l’idée d’enseigner la pharmacologie aux ESI par le jeu.

Elle s’est lancée dans le projet avec un collègue formateur. Ils ont élaboré ce jeu en partant de l’ensemble des enseignements en pharmacologie. « Il n’y a pas de projet sans objectif à atteindre, soutient-elle. Dans notre cas, nous voulions proposer une alternative pédagogique aux élèves, leur permettre de réviser et de faire un point d’auto-évaluation. »

Les deux formateurs ont souhaité fabriquer le jeu eux-mêmes. Après avoir élaboré des cartes plastifiées, ils ont construit des planches de jeu en fonction des classes pharmaceutiques, des questionnaires, des QCM, etc. « C’est long car il faut reprendre toutes les connaissances, élaborer les questions, s’assurer des réponses », reconnaît-elle.

Ils ont ensuite présenté l’outil au directeur de l’Ifsi qui les a soutenus dans leur projet, « une validation indispensable ».

Néanmoins, ce sont les deux formateurs qui ont financé le projet, à hauteur de 150 à 200 euros. L’analyse de l’outil est également fondamentale : « tous les étudiants nous ont rapporté une évaluation positive, indique Linda Lombard. Le seul retour négatif concerne le manque de temps dédié au jeu. Il nous faudrait plusieurs promotions pour tester l’outil afin d’avoir une vision plus large. Mais les résultats aux examens sont déjà une bonne mesure. » Le projet est déclinable sur d’autres thématiques comme la transfusion sanguine.

Au CHU de Rennes, Jordanne, infirmière, offre à Ylan sont P'ti doudou, à son réveil

Au CHU de Rennes, Jordanne, infirmière, offre à Ylan sont P'ti doudou, à son réveil. Photo issue du reportage paru dans ActuSoins n°22. Reportage également en ligne sur ActuSoins.com. © Natacha Soury

Les P’tits doudous en soutien aux enfants hospitalisés

« L’idée de créer les P’tits doudous est née de la volonté de féliciter les enfants après leur intervention au bloc opératoire en leur offrant un doudou à la sortie », explique Nolwenn Febvre, infirmière anesthésiste (Iade) au CHU de Rennes, à l’origine des P’tits doudous.

En 2011, elle envoie un email à la société de peluches Moulin Roty pour leur proposer de donner des doudous aux enfants hospitalisés. Le projet est lancé !

« En tant que soignant, nous faisons partie d’une pyramide hiérarchique importante et nous n’osons rien faire. Nous avons toujours l’impression que c’est compliqué, alors que nous pouvons nous lancer. » Avec deux autres soignants du service, ils fondent une association pour financer d’abord l’achat de peluches, puis leur fabrication. « Sans soignant sur le terrain pour faire vivre les projets, ces derniers ne peuvent pas fonctionner, affirme-t-elle. Créer l’association n’est pas très compliqué. La première problématique qui s’est en revanche posée concerne le financement. »

Nolwenn Febvre a alors l’idée de recycler les déchets hospitaliers, notamment le fil de bistouri composé de cuivre. « Une idée fédératrice car tous les blocs opératoires ont joué le jeu », indique-t-elle.

Mais « je n’avais demandé aucune autorisation à la direction », reconnaît Nolwenn Febvre. Lorsqu’elle les a tenus informés, il lui a été reproché de vendre du matériel acheté par l’hôpital, qui plus est, des DASRI (déchets d’activité de soins à risques infectieux). « Néanmoins, la personne en charge du dossier a reconnu que cela pouvait améliorer la prise en charge des patients et m’a demandé d’écrire le protocole d’extraction du fil », rapporte l’Iade.

En 2018, six tonnes de déchets ont été recyclées. La tonne étant vendue 1500 euros, cela permet de financer 80 % des besoins de l’association.

L’argent manquant est financé par les activités « standards » d’une association, à savoir l’organisation de collectes dans les écoles ou encore des levées de fonds. Nolwenn Febvre conseille d’ailleurs de répondre à des appels à projet ou à des prix pour obtenir des financements.

Le projet s’est développé avec la création, en 2014, d’un jeu vidéo « Le héros, c’est toi » pour faire diminuer l’anxiété des petits patients avant leur entrée au bloc (lire notre reportage), puis de gommettes à coller sur les masques à oxygène des enfants. Il existe aujourd’hui 53 associations P’tits doudous dans toute la France, réunies au sein de l’association nationale.

A gauche, Gaëlle Cavan, présidente de l'association Les Fées bleues; à droite, Nadège, trésorière. Toutes les deux sont puéricultrices au CHU de Bordeaux

A gauche, Gaëlle Cavan, présidente de l'association Les Fées bleues; à droite, Nadège, trésorière. Toutes les deux sont puéricultrices au CHU de Bordeaux. Photo issue d'un article paru dans le n°21 d'ActuSoins. Disponible aussi en ligne, sur ActuSoins.com. © Constant Formé-Bècherat / Hans Lucas

Les Fées bleues pour trouver du matériel pour les enfants

Créée en 2006 au sein du service de réanimation pédiatrique du CHU de Bordeaux, l’association Les Fées bleues a cherché à combler le manque de matériel pour les bébés prématurés.

« Nous n’avions pas de couches adaptées pour eux », rapporte Gaëlle Cavan, puéricultrice et présidente de l’association depuis environ cinq ans (lire notre reportage) .

La cotisation à cinq euros, payée par une centaine de personnes du service, ainsi que l’argent versé par les parents ont permis à l’association de disposer d’un fonds de roulement. Pour qu’un projet se développe au sein d’un service, l’équipe médicale et paramédicale doit impérativement être impliquée et en soutien.

Outre l’achat des couches, les membres de l’association ont développé d’autres projets comme la décoration du service et des incubateurs, le renouvellement des parures de lits, l’achat de DVD, de postes de musiques, de tablettes... « Pour les caches-incubateurs, nous avons conclu un partenariat avec un lycée professionnel en couture », indique Gaëlle Cavan.

L’association a ensuite cherché des fonds par tous les moyens possibles en répondant à des appels à projets, notamment avec le cirque Gruss qui revend des places au bénéfice d’associations. La présidente a également rencontré les membres des Kiwanis club, une organisation internationale qui œuvre pour aider les enfants malades.

« Je les ai rencontrés il y a six ans et, chaque année, ils nous contactent pour savoir si nous avons besoin d’aide pour un projet », raconte Gaëlle Cavan. Cette dernière conseille de « démarcher et d’entretenir son réseau en permanence. »

Un livre pour parler de la douleur aux enfants

Béatrice Dujarrier, infirmière dans le service d’oncologie hémato-pédiatrique au CHU de Caen, est à l’origine d’un projet mis en place en 2004/2006, dans le cadre de son DU de chargé de projet en éducation pour la santé.

« Lorsque les soins douloureux se répètent, ils génèrent une anticipation angoissante, une détresse émotionnelle et un refus de soins de la part des enfants avec une répercussion pour le soignant qui a le sentiment d’avoir mal fait », explique-t-elle.

Avec quelques membres de l’équipe soignante, elle a réfléchi à la création d’un environnement sécurisant pour obtenir la coopération des enfants.

Après avoir adressé un questionnaire aux petits patients et à leurs parents pour connaître le vécu des soins douloureux, est née l’idée de créer un conte pour que l’enfant comprenne et accepte les soins. L’équipe a présenté le projet à la direction qui lui a apporté son soutien, sans pour autant attribuer de financement. 

« Nous avons écrit ce conte, Lili la souris, afin d’amener l’enfant dans un imaginaire », indique Béatrice Dujarrier. Ils ont ensuite fait appel à une dessinatrice dont le travail a été financé par l’association Cadet Roussel. L’illustratrice a fourni cinq exemplaires du conte. « Nous aurions dû l’éditer en plus grand nombre pour en faire bénéficier d’autres services », reconnaît cette infirmière.

Une mascotte, sous forme de souris, habille aussi les bouteilles de Kalinox et l’équipe a réalisé un DVD afin d’informer les enfants sur le déroulement des ponctions lombaires. « Il est davantage utilisé que le conte, souligne Béatrice Dujarrier. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment effectué la publicité du livre auprès des nouvelles infirmières. Mais il est vrai que d’autres possibilités se sont développées pour soulager la douleur comme le toucher-massage, l’hypnose… » Pour déployer un projet, il faut aussi le valoriser. L’équipe l’a, par exemple, présenté au Congrès d’oncologie hémato-pédiatrique.

Création d’une émission de radio en psychiatrie

Deux infirmiers du centre médico-psychologique (CMP) de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) réalisent avec les usagers une émission de radio – Les boulons, les missions déboulonnées – afin de décomplexer le rapport à la psychiatrie.

L’idée est née, il y a quelques années, après un échange avec le directeur de l’établissement, séduit par une émission du même type élaborée par une structure lilloise. « Lorsqu’avec une collègue, nous avons voulu nous lancer, nous en avons parlé à notre cadre qui nous a soutenu, explique Cédric Harchy, l’un des deux infirmiers à l’origine du projet. Tout projet doit être validé par la hiérarchie, sinon, ce n’est pas la peine d’y penser. »

Les soignants ont formalisé leur idée d’atelier thérapeutique en mars 2015, en expliquant les moyens et les objectifs à atteindre pour les usagers et l’établissement, notamment la revalorisation des usagers par un temps de parole et la démystification de la maladie mentale vis-à-vis de la population. Ils ont alors présenté leur projet au corps médical et à la direction, déjà acquis à leur cause.

« Le financement a été la partie la plus compliquée », reconnaît Cédric Harchy.

Après avoir trouvé une radio associative acceptant de diffuser l’émission, celle-ci leur a demandé 2700 euros pour la formation des participants et le matériel. Avec cinq usagers du CMP, les soignants ont entamé des démarches pour trouver des fonds. Cédric Harchy a fait reconnaître l’association « d’intérêt général », permettant ainsi aux donateurs de bénéficier d’une réduction d’impôt.  

L’ensemble de ces initiatives leur a permis d’obtenir la somme pour démarrer l’émission de radio. « Il me semble important, lorsqu’on souhaite développer un projet, d’y intégrer une association car l’aspect financier est plus facile à gérer avec une ligne comptable dédiée », estime-t-il.

Le centre hospitalier a par ailleurs mis à disposition une salle qui a été transformée en studio d’enregistrement. Désormais, l’équipe enregistre ses émissions et les infirmiers formés la montent avant sa diffusion sur la radio associative, depuis octobre 2016.

Laure Martin

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Quelques conseils pour monter un projet

- Il n’y a pas de projet sans objectif à atteindre.  

- L’équipe médicale et paramédicale doit être impliquée et en soutien.

- Il est indispensable que l’ensemble des acteurs aient les mêmes ambitions et la même envie de prise de risque.

- L’aval de la direction est nécessaire.

- La gestion d’un projet est facilitée par la création d’une association.

- Répondre à des appels à projet ou à des prix permet d’obtenir des financements.

- Il ne faut pas hésiter à démarcher ses connaissances et entretenir son réseau.

- Valoriser le projet auprès d’instances extérieures permet également d’obtenir du soutien voire des financements.

Cet article est paru dans le N°33 d'ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2019). 

Il est à présent en accès libre. 

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Réactions

1 réponse pour “Projets infirmiers : quelques conseils pour bien se lancer”

  1. C’est long et laborieux de mener un projet quand on est infirmier. Quand ça relève d’un projet de soins, c’est déjà complexe. Mon projet à été un outil de découpe de plaquettes de médicaments. Faute de trouver une filière de développement de projet, c’est en dehors de l’hôpital que j’ai trouvé un soutien. L’idée est devenue un outil au bout de 6 ans. C’est toujours pas l’hôpital qui porte mon projet. Il manque dans nos hôpitaux une filière recherche et développement qui pourrait soutenir les projets qui ont un intérêt. Mon outil n’aurait sûrement pas été retenu mais les bonnes idées auraient des chances d’aboutir. De mon côté, j’ai eu la chance de frapper aux bonnes portes et de trouver quelqu’un qui a cru en mon idée avant moi. Il serait temps que l’hôpital prenne un peu de son énergie pour reconnaître les excellentes idées qui naissent du petit personnel. Tout n’arrive pas d’en haut !

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