[Vos blogs] Incertitude dans les soins : alliée ou ennemie ?

Les soignants sont de plus en plus nombreux à transmettre leur vécu et leur expérience à travers des blogs, des livres ou même des scénarios. ActuSoins à toujours eu à coeur de mettre en lumière et de partager ces écrits.

Incertitude dans les soins : alliée ou ennemie ?

Aujourd'hui, nous vous présentons un billet proposé par Cylie, infirmière depuis 16 ans. Cylie s'est formée en Soins palliatifs (DU), en aromathérapie, en toucher massage et en relaxation. Elle exerce en sein d'une unité mobile de soins palliatifs et a créé le blog "Confiance en soin".

Incertitude dans les soins : alliée ou ennemie ? 

Comment faire quand nous soignants, nous expérimentons l’incertitude dans les soins ? Comment réagir ? Que faire ?

Toute notre enfance et durant toutes nos études, nous sommes conditionnés pour réussir. Le message que l’on nous enseigne est celui de réussir, de ne pas échouer. Le système d’apprentissage actuel nous fait expérimenter le jugement en cas de faute.

Le meilleur moyen pour ne pas se tromper, c’est travailler dur et connaitre suffisamment de choses pour arriver un jour à être sûr de ce que l’on fait.  Cette certitude serait l’arme absolue qui nous permettrait de ne pas fauter, de ne pas échouer, de ne pas être dans l’angoisse de ne pas savoir.  C’est l’arme qui nous permettrait d’être quelqu’un, d’avoir confiance en nous.

Est-ce que vous vous rappelez de cette angoisse de la page blanche ? Cette peur de ne pas savoir ? Cette peur de rater ou de ne pas réussir  un soin, un oral, un devoir ?

L’incertitude nous est enseignée comme la bête à abattre, la chose contre laquelle nous devons lutter.

Les gens qui sont sûrs d’eux, qui ont confiance en eux dégagent quelque chose d’admirable. Nous avons alors l’illusion que la certitude peut venir pallier ce manque de confiance.  Ces personnes nous donnent l’illusion que la certitude permet de se sentir en confiance.

Et si l’incertitude était notre alliée ?

Imaginez que dans l’incertitude on puisse entrevoir la notion d’apprentissage, d’enseignement. L’idée que de nos erreurs, de nos oublis, de notre posture, on pourrait apprendre quelque chose qui nous fasse grandir, évoluer, progresser.  

Cette incertitude qui finalement nous relie à notre condition d’humain. L’humain est un être incertain, n’ayant aucune certitude sur ce que sera sa vie et sa mort. Finalement l’incertitude est une marque d’humilité, qui témoigne de notre capacité à douter, à réfléchir, à évaluer. La place de l’incertitude dans nos vies nous permet d’espérer et de construire notre avenir.

Nous le savons nous les soignants, les dégâts que peuvent causer  une annonce de mort à venir ou d’évolution défavorable chez un patient. Ces patients et leur famille n’ont plus la place d’espérer et donc ne peuvent plus investir la vie. Quelqu’un à qui on annonce une évolution défavorable, et qui contre toute attente évolue finalement beaucoup mieux, peut témoigner du choc et de la sidération dans laquelle cette annonce a pu le plonger. Comment investir la vie, comment fournir des efforts si l'on vient vous dire de manière certaine que vous n’allez pas vous en sortir ?

Si je vous annonce là tout de suite que vous allez décéder la semaine prochaine, allez-vous continuer à lire cet article ? Allez-vous faire ce que vous aviez prévu de faire cette semaine ? Certainement pas. Vous allez changer vos plans, paniquer peut-être, organiser, planifier. Vous allez passer à côté du moment présent et vous n’allez plus voir les journées comme du temps à vivre, mais comme le temps qui vous sépare de la mort.

Incertitude dans les soins

Certains soignants ont encore l’illusion que d’annoncer les choses de manière certaine permet à l’autre de se préparer à l’inacceptable. Mais c’est impossible. L’autre ne se prépare pas à l’inacceptable, il le combat. Alors à qui cela sert au final de partager des certitudes dans les soins ? Aux patients ? Aux soignants ?

De manière inéluctable nous pouvons répondre que cela sert aux soignants. Parce qu’afficher cette certitude permet de réduire considérablement notre angoisse, notre peur de l’échec, notre manque de confiance et nous permet même de penser que l’on évitera la faute.

Les patients ont besoin d’avoir en face d’eux des êtres humains dotés de limites. Des limites dans le savoir, dans la projection, dans l’évolution. Les patients ont besoin de reconnaitre en nous notre part d’humanité et donc de vulnérabilité. Aucun métier ni aucune étude ne permet d’obtenir des certitudes. Surtout lorsque l’on travaille avec l’humain.

Il nous faut cheminer dans notre métier entre deux pôles.

Est-ce que l’on repousse les limites ?

Est-ce que l’on accueille les limites ?

Notre job de soignant réside dans cet endroit précis où l’on peut trouver du confort dans une posture d’incertitude. Se sentir à l’aise de ne pas savoir, de ne pas pouvoir apporter de réponse. Se sentir stable malgré le fait que l’autre me mette dans la posture du sachant.

Parce que c’est ce que font les patients aux quotidiens que de nous mettre dans une posture que nous ne sommes pas toujours en mesure de tenir. Pour autant il est de notre devoir que de pouvoir dire que nous ne pouvons pas être là où l’autre nous attend. Simplement parce que l’humain est inconstant. L’humain est tout ce qui se rattache à la vie ne répond pas à une suite d’opérations mathématiques dont le résultat serait toujours le même avec les mêmes inconnues. L’humain est beaucoup plus complexe et en cela nous avons à accepter que cette incertitude fait partie de notre profession et de notre condition.

Dans notre profession, nous sommes confrontés à des situations complexes. Nous ne pouvons pas échapper à nous-mêmes. Nous sommes obligés de considérer la réalité biomédicale qui nous est enseignée, mais aussi nos émotions, nos réflexions, notre ressenti. C’est en intégrant ces réalités, en devant acteur de ce que nous pensons et de ce que nous ressentons que nous pouvons prétendre faire de l’incertitude notre allié.

Récemment j’ai rencontré des parents qui ont donné naissance à leur bébé. Dès les premières minutes de vie de cet enfant, les choses se sont aggravées, jusqu’à ce que les médecins annoncent aux parents que leur petit bébé était atteint d’une maladie grave dont il n’avait pas de diagnostic. Les parents durant les semaines de réanimation, ont été confrontés aux réflexions des équipes médicales, qui les associaient à chaque étape à la recherche du diagnostic. Ils ont ainsi eu l’annonce de trois maladies différentes, pour au final s’entendre dire qu’ils n’étaient pas sûrs. Devant l’aggravation de l’état de santé de leur bébé, les médecins ont décidé d’arrêté les soins de réanimation. Ils ont annoncé aux parents qu’à l’issue de l’extubation, leur petit garçon allait sûrement décéder.

Le papa a alors eu une phrase très forte d’enseignement. Il leur a dit : « Vous ne savez pas ce qu’il a, par contre vous êtes sûr qu’il va mourir ? »

Et contre toute attente il a survécu à l’extubation. Le projet de retour à domicile a pu s’enclencher. Bien sûr les parents étaient pleins d’incertitudes concernant le devenir de leur enfant. On leur a parlé des choses qui allaient arriver. À ce moment-là les soignants sont tous dans une posture bienveillante vis-à-vis des parents. Leur principal objectif est de les « préparer » au pire. De « les aider à anticiper ». Mais cela n’est pas possible. Personne ne peut prétendre avoir le pouvoir ou la compétence de préparer des parents à la mort de leur enfant, en ayant l’illusion que cela pourra atténuer leur souffrance.

Au moment de la sortie, le papa nous a dit : «  J’aimerais avoir à la maison des soignants incertains qui nous accompagnent, plutôt que des soignants sûr d’eux qui nous annoncent en permanence ce qui va se passer ».

Quelle leçon, quel enseignement ces parents nous offrent là ?

Nous devons être vigilants à ne pas confondre l’obligation de moyen avec l’obligation de résultat. Nous avons à nous détacher de cette idée que tout doit être annoncé, cadré, évalué et transmis. Chaque être humain traverse l’épreuve à son rythme et nous avons à nous adapter à cette singularité.

L’incertitude garantit l’éthique. Il nous faut accepter de perdre ce discours d’expert. Nous devons apprendre pour les novices et acquérir pour les professionnels, cette conviction de soutenir les malades en dehors des thérapeutiques et en dehors des certitudes.  

Faire confiance aux ressources des malades qui sont parfois endormies mais qui sont présentes.

À vouloir éviter cette posture d’incertitude, on se met inconsciemment dans une position qui va nous emmener à éviter le patient ou sa famille, voir à ignorer le patient qui va se sentir délaissé. Reconnaitre et nommer l’incertitude, c’est avoir le pouvoir de dire ce que l’on sait ET ce que l’on ne sait pas.

Savoir que je ne sais pas

C’est ce qui amène le courage, l’humilité. C’est ce qui nous permet de chercher, d’essayer à comprendre. C’est ce qui réveille la solidarité et emmène l’interdisciplinarité.

L’angoisse du patient dans les situations de soins nous met mal à l’aise et nous avons l’illusion de penser que d’afficher un savoir ou une posture de certitude va apaiser ses angoisses. Hors c’est faux. Cela nous met dans une posture d’angoisse qui nous fait basculer immédiatement dans nos schémas intrinsèques :

Celui qui sait c’est celui qui a confiance en lui.

Celui qui ne se trompe pas ou qui n’échoue pas est celui qui réussit.

Celui qui réussit (qui a une bonne note), c’est celui qui est reconnu.

Si je sais l’autre sera moins angoissé.

Vous comprenez au travers de ces lignes, que ce qui garantit l’humanité et la loyauté envers les patients, ce n’est pas d’appliquer le droit ou de répondre aux injonctions d’informations et de recueil de consentement, c’est d’écouter, d’évaluer, d’accepter d’être dans une position d’incertitude. Il faut bien sûr répondre à cette obligation d’information, mais pas en niant l’autre. Pas en occultant les capacités de l’autre. Pour pouvoir être au plus près de ce que l’autre a besoin, il nous faut trouver de la sécurité, du confort dans l’incertitude de nos savoirs et de nos pratiques.

Laissons les patients penser ce qui leur est possible d’espérer. Laisser une place à ce qu’il pourrait se passer. Le Pr Régis AUBRY m’a dit un jour : « C’est dans les interstices de nos incertitudes que les patients puisent leur espoir ».

ActuSoins remercie Cylie pour ce partage et vous invite à découvrir son blog : Confiance en soin.com

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