La démarche clinique infirmière, un accompagnement global du patient porteur de plaie chronique

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Chez les patients porteurs de plaies chroniques ou à risque de chronicisation, la démarche clinique infirmière permet de diminuer la durée de cicatrisation et d’améliorer la qualité de vie du patient. Quels sont les moyens d’éviter cette chronicisation et d’améliorer la qualité de vie du patient ? Comment optimiser la prise en soins de ces patients porteurs de plaie ?

© iStock/Steve Debenport

L’enquête Vulnus1 menée par la Société française et francophone des plaies et de la cicatrisation en 2008 a montré que la prévalence des patients porteurs de plaies était de 22 % dans la patientèle des infirmiers libéraux. Parmi ceux-ci, 43 % des patients étaient porteurs d’une plaie chronique (plaie qui évolue depuis plus de six semaines) et 33 % d’eux précisaient que la plaie avait un retentissement sérieux à sévère sur leur qualité de vie. Or, le nombre de patients porteurs de plaies chroniques va augmenter avec le vieillissement de la population et l’augmentation significative de la prévalence du diabète2.

Les freins à la cicatrisation des plaies chroniques ou à risque de chronicisation

Orientation médicale tardive

Les ulcères de jambes, les escarres et les plaies du pied diabétique sont les plaies chroniques les plus fréquentes. L’ulcère de jambe veineux débute par une plaie de petite taille que le patient soigne le plus souvent lui-même en première intention. L’appel aux professionnels de santé intervient la plupart du temps lors d’une stagnation, d’une aggravation clinique ou de l’apparition d’une douleur. Mais souvent six semaines se sont écoulées et la plaie est déjà devenue chronique. Des mécanismes physiologiques délétères se sont probablement déjà mis en place. Le patient aurait-il pu faire appel à son médecin traitant dès l’apparition de la lésion ?

Absence de diagnostic médical

Lors de la prise en charge initiale par l’infirmière, il arrive couramment que le diagnostic de la plaie ne soit pas connu. Cela peut paraître étonnant puisque qu’il est le préalable à l’administration du traitement adapté. Prenons l’exemple de l’ulcère du membre inférieur. L’étiologie peut être d’origine artérielle, veineuse ou mixte. En étant schématique, le traitement de l’ulcère artériel est la revascularisation et celui de l’ulcère veineux est la compression médicale. Le patient a-t-il le traitement adapté ?

Maladies intercurrentes

Il est rare que la plaie soit la seule problématique présente. Les patients sont généralement polypathologiques avec des affections ou des traitements néfastes au processus de cicatrisation.

Traitements contraignants

Le traitement de certaines plaies peut être pénible pour les patients. Ainsi, le traitement de l’ulcère veineux nécessite le port de bandes de compression qui peuvent être difficiles à supporter et empêchent souvent de se chausser normalement. Le traitement de l’ulcère artériel peut exiger une intervention chirurgicale. L’idée d’être hospitalisé, la peur de l’anesthésie peuvent démotiver beaucoup de patients. Le traitement de l’escarre et du mal perforant plantaire nécessite une décharge. Celle-ci est parfois mal vécue, empêchant la personne de se livrer à ses activités habituelles.

La définition de la démarche clinique

Il s’agit de prendre en compte ces facteurs de retard de la cicatrisation. « La démarche clinique est un processus qui s’appuie sur une conception humaniste des soins qui prend en considération l’expression personnalisée des maladies et les réactions comportementales de la personne à sa maladie, à son placement, à son hospitalisation… »3 (Marchal, 2002, p. 91)

L’infirmier la réalise par la mise en œuvre de son raisonnement clinique et du jugement clinique.

Le raisonnement clinique est une « démarche systématique qui intègre et met en lien à partir d’un examen physique et d’une écoute active, les signes et symptômes recueillis, permet l’élaboration d’hypothèses de problèmes de santé réels ou potentiels et d’hypothèses de réactions physiques et comportementales réelles ou potentielles, cette démarche se terminant par la validation de l’hypothèse la plus probable. »3 et, le jugement clinique, un « processus de pensées et de prises de décisions dans le but d’améliorer l’état de santé et le bien-être des personnes ».4

Le raisonnement clinique se construit sur différents axes pour aboutir à des conclusions ou jugements cliniques adaptés. Afin de pouvoir analyser la situation du patient finement, l’infirmier a acquis des connaissances dans le domaine des sciences infirmières, médicales et des sciences humaines, pratique la relation d’aide, utilise des méthodes de raisonnement hypothético-déductives et, par anticipation, se base sur son expérience. La maîtrise de ces éléments permet de donner du sens aux soins et de poser un projet de soin co-construit avec le patient.5

Première étape de la démarche clinique infirmière : l’entretien

L’infirmier expliquera l’intérêt de sa démarche au patient afin d’obtenir son consentement et précisera que celle-ci lui donne toute la place d’être pro-actif dans ses soins. Le mode de communication sera adapté au patient et à son entourage afin de favoriser la verbalisation du patient et d’établir une relation de confiance.

L’entretien commence par une présentation mutuelle avec un recueil de données d’abord administratif puis psycho-social. Voici quelques exemples de questions à adapter à chacun. D’autres données non-verbales seront enregistrées par l’infirmier comme l’attitude, la gestuelle, le vocabulaire, etc. S’il y a plusieurs personnes présentes, l’infirmier pourra se rendre compte de la dynamique familiale, des liens et rapports entre les différentes personnes.6

Le patient

  • Quel âge a-t-il ?
  • Quelles sont ses activités quotidiennes, ses loisirs ?
  • Quels sont ses les sujets qui l’intéressent, quels sont ses projets ?
  • Quel est son niveau d’étude ?
  • Est-il entouré ? isolé ?
  • A-t-il des ressources financières ? Etc.

Sa santé

Avant de regarder les comptes-rendus médicaux ou d’hospitalisation, il est souvent utile d’interroger la personne sur sa santé et la manière dont elle l’appréhende.

Son poids, sa taille

  • Ses antécédents médicaux, chirurgicaux. Sont-ils stabilisés ?
  • Quels sont les traitements ?
  • Y a-t-il des effets secondaires ?
  • Sont-ils faciles à prendre ?
  • Dernier rappel antitétanique. Etc.

Le vécu de sa santé, de sa plaie

Le consensus international de 2011 portant sur « Optimiser le bien-être des personnes vivant avec une plaie » décrit différentes problématiques dues à la présence d’une plaie :

  • anxiété, dépressions ;
  • non observance du traitement si mauvaise prise en charge des symptômes ;
  • évitement des rapports sociaux si mauvaise prise en charge des exsudats ;
  • insomnie et fatigue dues à l’existence de douleurs liées à la plaie ;
  • répugnance et perte de confiance en soi en lien avec les exsudats et l’odeur de la plaie ;
  • perturbation de l’image de soi ;
  • diminution de la qualité de vie7.

Il est donc fondamental de laisser le patient verbaliser son vécu et ses émotions. Il s’agit d’aller explorer l’impact de la plaie sur sa vie quotidienne ainsi que son positionnement vis à vis de cette affection.

• Comment vit-il avec sa plaie ?
• Quel est son ressenti ?
• Est-ce que la présence de la plaie a apporté des changements dans sa vie, celle de son entourage ?
• Parle-t-il de sa plaie avec ses proches, son entourage amical, professionnel ?
• Évaluation de l’impact sur sa qualité de vie ?
• Y a-t-il des bénéfices secondaires à la plaie ?
• Quelles sont ses croyances en lien avec la plaie ?
• Qu’a-t-il compris de sa pathologie, du diagnostic de la plaie, des risques de la plaie, des traitements recommandés ?
• Est-il impliqué dans son processus d’auto-guérison ?
• A-t-il des facilités et difficultés à suivre le traitement adapté ?
• A-t-il envie de comprendre et de participer à ses soins ? Etc.

Deuxième étape : diagnostic et conclusions cliniques

À ce stade, l’infirmier pourra établir la liste des facteurs de retard et les leviers de la cicatrisation.

Facteurs de retard de cicatrisation :

  • Stress
  • Dénutrition, malnutrition
  • Age
  • Douleur Prolifération bactérienne excessive
  • Pathologies associées : insuffisance cardiaque, veineuse, artérielle, rénale, hématologique, diabète, etc.
  • Traitements associés : Imuno-suppresseurs, radiothérapie, chimiothérapie, corticoïdes, etc.
  • Hygiène de vie : insalubrité, hygiène déficiente, consommation excessive d’alcool, de tabac, sédentarité, etc.
  • Non implication dans les soins
  • Présence de bénéfices secondaires à la plaie

Facteurs favorisants la cicatrisation :

  • Volonté et motivation à guérir
  • Implication dans ses soins
  • Présence d’un entourage aidant, soutenant
  • Présence de projets
  • Observance des traitements
  • Niveau de compréhension permettant l’éducation de la pathologie
  • Milieu de vie sain
  • Alimentation équilibrée et hydratation suffisante
  • Expérience positive d’une plaie qui avait cicatrisé

La plaie

L’évaluation de la plaie demande à l’infirmier d’activer tous ses sens. L’évaluation n’est pas seulement visuelle car l’odorat peut nous aiguiller sur une prolifération bactérienne ou sur la présence de tissus dévitalisés ; le toucher permet de dépister une induration, une collection de liquide, un œdème, de la chaleur, de localiser ou de qualifier une douleur, de percevoir le temps de recoloration cutanée, les pouls.8, 9

  • Diagnostic de la plaie
  • Etiologie de la plaie
  • Histoire de la plaie avec la date d’apparition
  • Évaluation de la douleur
  • Examens complémentaires effectués, demandés Soins déjà dispensés
  • Évolution de la plaie
  • Taille de la plaie avec profondeur
  • Présence d’un contact osseux, de fistule, de décollement cutané
  • Évaluation du lit de la plaie, des berges, de la peau périlésionnelle
  • Prise de photo
  • Évaluation des exsudats par les berges, la peau péri-lésionnelle et dans les pansements souillés
  • Évaluation des points d’appui
  • Traitements prescrits

La démarche clinique permet alors de déterminer les caractéristiques personnalisées des problèmes de santé actuels et potentiels du patient. Les conclusions cliniques peuvent alors concerner différentes dimensions comme le domaine médical, psychologique, social, etc. En voici quelques exemples : diagnostic de la plaie non connu, douleur envahissante, impact délétère de telle maladie non stabilisée sur le processus de cicatrisation, patient ne pouvant pas mettre sa plaie en décharge continuellement, méconnaissance de la physiopathologie de l’insuffisance veineuse ne favorisant pas le port de la compression, peur de chute avec le port de la chaussure de décharge, lésions eczématiformes au niveau de la peau péri-lésionnelle, incapacité financière d’acheter les dispositifs médicaux prescrits, risque d’infection, perturbation de l’image corporelle, apports protéiniques insuffisants, stratégies d’adaptation inefficaces, etc.

Troisième étape : objectifs et contrat de soins

La hiérarchisation de ces problématiques est négociée avec le patient afin de mettre en place des actions associant le rôle autonome, le rôle sur prescription et la collaboration avec les autres professionnels de santé.

L’objectif des soins et un contrat de soins peuvent alors être établis. Il apparaît clairement que l’objectif des soins ne sera pas toujours d’emblée la cicatrisation en fonction des situations qui peuvent être plus ou moins complexes.10, 11

Le protocole de soins est établi en fonction de l’analyse de divers éléments et se base sur des données probantes comme le nettoyage des plaies chronique avec de l’eau et du savon. Le choix du pansement se fait en fonction de l’analyse clinique de la plaie afin de maintenir un milieu humide permettant un processus de cicatrisation naturel optimal, mais aussi en fonction de l’activité et des désirs du patient. De nombreux dispositifs médicaux permettent de s’adapter au mieux aux besoins de chaque patient.

L’infirmier travaille en collaboration avec le médecin traitant afin d’obtenir le diagnostic de la plaie ou la prescription d’examens complémentaires. Dans la plupart des cas, d’autres professionnels de santé sont impliqués comme le pharmacien, le kinésithérapeute, le diététicien, le pédicure-podologue, des médecins spécialistes, etc. Afin de faciliter une démarche coordonnée et de fluidifier le parcours de soins, il est possible d’organiser une concertation lors de réunions pluri-professionnelles en maison de santé par exemple.

L’infirmier peut aussi proposer une orientation en urgence, si nécessaire, en cas de signes cliniques et systémiques d’infection, de l’apparition brutale d’une nécrose de l’extrémité du membre inférieur, d’une hémorragie non contrôlée, etc.

Le soignant propose une démarche éducative et relationnelle avec le patient et son entourage, afin de valoriser les ressources du patient et l’encourager. Des approches soignantes complémentaires comme la relaxation – visualisation peuvent être proposées.12 Un plan d’action est élaboré conjointement pour apporter les changements nécessaires afin d’améliorer son état de santé, selon ses besoins, envies et possibilités. Toutes ces actions sont suivies, évaluées et réajustées au fur et à mesure.

Exemple

Un patient de 78 ans, à la retraite, passe une grande partie de son temps dans son jardin. Il est polypathologique avec une obésité morbide, un diabète et présente un mal perforant plantaire. Il a été adressé à une consultation spécialisée « pied diabétique » dans la semaine suivant la découverte de sa plaie.

Un orthoprothésiste lui a confectionné une botte de décharge adaptée. Cependant, il exprime la peur de tomber. Il bénéficie alors de plusieurs séances de kinésithérapie d’aide à la marche avec sa botte de décharge. Finalement, le patient ne porte la décharge que peu de temps dans la journée car elle l’empêche de se mouvoir correctement afin de jardiner. Ses difficultés viennent aussi du fait qu’il est obèse.

Un entretien infirmier permet alors d’explorer les possibilités de perdre du poids, de réadapter la botte de décharge, etc.

Au final, il est convenu que le but des soins ne sera pas d’obtenir une cicatrisation pour le moment. Afin de lui garantir une qualité de vie optimale, il décide de ne porter la décharge qu’en dehors des moments de jardinage et il remet l’objectif de cicatrisation après la saison de jardinage.Conscient de ne pas avoir encore beaucoup d’années à vivre, il ne veut pas sacrifier une saison de jardin.

La temporalité du patient n’est peut-être pas toujours la même que celle du soignant, c’est à nous de nous adapter.

Conclusion

L’infirmier collecte et reçoit une multitude d’informations, de données, de perceptions, de sensations, d’intuitions qu’il va organiser, analyser, développer, étayer par ses connaissances issues des sciences médicales, infirmières, humaines et son expérience. Il pourra ainsi en tirer des conclusions cliniques et prendre des décisions en favorisant l’empowerment de la personne soignée. Il proposera alors des actions au patient qui permettront d’aboutir à un plan de soins co-construit. Le travail effectué avec le patient s’enrichit de la collaboration avec les autres professionnels de santé et sociaux.

Cette activité tend vers une expertise de prise en charge et un exercice en pratique avancée infirmier de la pratique clinique directe. La mise en place de cette démarche clinique infirmière dès le début de la prise en soins garantit l’organisation des traitements adaptés précocement et une implication du patient et son entourage dans le processus de guérison. Le délai de la cicatrisation en sera donc réduit et l’impact négatif sur la qualité de vie du patient limité.

SAÏQA GHULAM
Infirmière libérale en Maison de Santé Pluriprofessionnelle « Les Allées » à Corbeil-Essonnes,
Master Sciences Cliniques en Soins Infirmiers

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Cet article est paru dans le numéro 28 d’ActuSoins Magazine (mars 2018)

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Bibliographie

1 Meaume S, Kérihuel J-C, Isabelle Fromantin, Téot L. Worklaod and prevalence of open wounds in the comminity : French Vulnus initiative. Journal of wound care, February 2012 ; 21(2) : 62-73.
2 INVS 2012, Prévalence et incidence du diabète. Données épidémiologiques.
3 Marchal A & Psiuk T. Le paradigme de la discipline infirmière en France. Paris : Arslan, 2002.p.91.
4 Nagals M. Le jugement clinique est un schème : Propositions conceptuelles et perspectives en formation. Recherche en soins infirmiers, 2017, p. 6-17.
5 Psiuk T. L’apprentissage du raisonnement clinique, Paris, De boeck, 2012.
6 Wright L, Leahey M. L’infirmière et la famille, Québec, ERPI, 2007.
7 Consensus international, Optimiser le bien-être des personnes vivant avec une plaie, 2011.
8 Palmier S, Garulo M. Plaies et cicatrisation : guide pratique pour les IDE, Paris, Lamarre, 2016.
9 Sous la direction de Jouteau-Neves C, Lecointre B, Malaquin-Pavan E. La consultation infirmière, Paris, Lamarre, 2014.
10 Svandra P. L’éthique soignante. Réflexions sur les principaux enjeux du soin », Paris, Seli Arslan, 2014.
11 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
12 Ghulam S. Impact de l’empowerment des patients porteurs de plaie chronique via le média relaxation/visualisation, Mémoire de master Sciences cliniques en soins infirmiers, sous la direction de Rochet J.M. Université Saint Quentin en Yvelines, 2015.