Au Cauva, des infirmières auprès des victimes d’agression

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Dans ce service hospitalier pionnier en France, les victimes d’agression sont prises en charge et peuvent plus facilement y déposer plainte contre leurs agresseurs. Au sein de l’équipe pluridisciplinaire, des infirmières au rôle atypique, fil rouge des premières procédures judiciaires.

Au Cauva, des infirmières auprès des victimes d’agression

©Eugénie Baccot Chaque année entre 3 500 et 4 000 victimes d’agressions physiques et sexuelles sont accueillies au Cauva.

Les lieux sont discrets : au fond du hall de l’hôpital Pellegrin, à Bordeaux, en bas d’un escalier en colimaçon.

« Quand vous prenez l’escalier, on ne peut pas savoir si vous vous rendez dans notre service ou dans un autre », fait remarquer Catherine Gaillard, cadre infirmière au Centre d’Accueil en Urgence des Victimes d’Agression (CAUVA).

Et difficile de savoir que, derrière cette banale porte grise, indiquée par une flèche et les cinq lettres rouges, sont accueillies chaque année entre 3 500 et 4 000 victimes d’agressions physiques et sexuelles.

Parmi elles, venues en toute discrétion, 55 % sont des femmes et 30 % de mineurs.

Pour assurer l’accueil des victimes de 9h à 19h du lundi au vendredi, ainsi que les nuits et les week-ends d’astreinte, deux secrétaires médicales, deux assistantes sociales, six psychologues, neuf médecins légistes et quatre infirmières se relaient.

Pour les victimes, la fin du parcours du combattant

« Les infirmières sont le fil rouge de la prise en charge des victimes », explique Catherine Gaillard. Elles sont ainsi en permanence deux ou trois, en dehors des astreintes, à accueillir les victimes.

Ici, l’infirmière ne soigne pas uniquement les victimes. Elle aide celles-ci à entamer les premières procédures pour porter plainte. Car le Cauva est un lieu hors du commun en France, premier à associer prise en charge médicale, psychologique et sociale de la victime d’agression, et médecine légale.

Le Cauva naît ainsi en 1999 de la volonté du Professeur Sophie Gromb, chef du service de médecine légale au CHU de Bordeaux. L’idée que défend le médecin légiste : offrir un lieu où se retrouvent les professionnels qui permettront le plus facilement possible aux victimes de porter plainte contre leurs agresseurs. Pour y arriver, elle est parvenue à mettre d’accord ministère de la justice, de l’intérieur, de la défense et de la santé.

" Sans le Cauva, c’est un véritable parcours du combattant pour les victimes, qui doivent faire des allers-retours entre les urgences où elles se font soigner, le commissariat où elles portent plainte avant de retourner aux urgences pour réaliser les prélèvements et constatations. Beaucoup d’entre elles ne vont même pas jusqu’au dépôt de plainte », poursuit Catherine Gaillard. Ainsi, si en France moins d’une femme victime de viol sur dix porte plainte, la majorité de celles reçues au Cauva vont jusqu’au bout de la procédure.

Marion Eyme, Sophie Grémillon et Véronique Maria, infirmières au Cauva.

©Eugénie Baccot. De gauche à droite : Marion Eyme, Sophie Grémillon et Véronique Maria, infirmières au Cauva.

Elles peuvent ainsi être soignées, recevoir un soutien psychologique, être orientées vers les associations spécifiques, faire constater leurs lésions par un médecin légiste et procéder à des prélèvements (vêtements, sang, cheveux, sperme), mis sous scellés et stockés dans des réfrigérateurs. Tout cela se fait accompagné d’une des infirmières.

Soin et judiciaire

Tout au long de la prise en charge, la procédure est très stricte et ce sont les infirmières qui veillent à son respect. « Le travail peut être très administratif. Nous devons notamment assurer la traçabilité des prélèvements. Ici, nous ne sommes plus uniquement dans le soin mais aussi dans le judiciaire », constate Véronique Maria, infirmière recrutée un mois plus tôt avant notre rencontre.

« Il faut six mois à un an avant d’être à l’aise avec toutes les procédures », assure pour sa part Sophie Grémillon, infirmière au Cauva depuis cinq ans. « On ne peut pas travailler avec le doute, cela peut avoir de graves conséquences sur l’enquête, cela nous met une pression supplémentaire », ajoute-t-elle.

Véronique Maria a le profil idéal et connaît déjà le parcours judicaire imposé aux victimes. En effet, cette jeune quinquagénaire a obtenu en 2012 un Diplôme Universitaire en victimologie. Sur les vingt-sept candidats qui ont postulé pour intégrer l’équipe du Cauva, elle est l’une des rares à afficher ce diplôme à son CV. Souvent, les infirmières recrutées préparent ce DU alors qu’elles travaillent déjà au Cauva. « Ce n’est pas facile de trouver le bon profil, admet Catherine Gaillard. Les candidats peuvent avoir entendu parler du Cauva sans en connaître les difficultés. »

Pas plus de cinq ans au Cauva

En effet, le contexte est forcément dur. « Nous intervenons dans des situations violentes, choquantes, face à des visages tuméfiés ou des victimes mineures, décrit l’infirmière cadre. Mais il ne faut pourtant pas impliquer son affect, il faut être efficace. Il faut aussi être en mesure de parler avec les autres membres de l’équipe. Les infirmières ne prennent jamais de décision seules, mais avec les autres membres de l’équipe. Elles doivent aussi pouvoir travailler avec le Parquet, les officier de la police judiciaire, la Protection maternelle et infantile. Elles sont très sollicitées. »

Au-delà des compétences administratives, ces aptitudes ne s’apprennent nulle part sinon sur le terrain. « Nous avons un accord tacite, poursuit Catherine Gaillard. Nous leur donnons le droit au début de reconnaître qu’elles ont fait une erreur si elles ne se sentent pas à leur place dans ce service. Il ne faut surtout pas subir la situation. »

Mais Véronique Maria semble avoir pris sa décision en connaissance de cause : avant de postuler au Cauva, l’infirmière a travaillé quatorze ans dans un service d’urgences pédiatriques. « J’y avais soigné quelques victimes, le sujet m’intéressait », explique-t-elle. Ce qui plaît : la dimension relationnelle de la mission de l’infirmière : « On essaie d’établir un lien dès la salle d’attente, nous présentons l’équipe, nous sommes les médiatrices entre le médecin et la victime. »

Mais pour elle, comme pour ses consœurs du Cauva, le temps leur est compté. Les infirmières ne peuvent pas y travailler plus de cinq ans. « Nous préférons prévenir que guérir, assure Catherine Gaillard. Les situations sont lourdes et on ne peut absorber que pendant un temps. » « Vous allez me mettre en colère », répond en souriant Sophie Grémillon qui a déjà cinq années d’ancienneté dans le service avec qui on évoque cette mobilité forcée. Pour elle, difficile de se lasser de son rôle au sein du Cauva « où aucune journée ne se ressemble, comme aux urgences ».

Ariane Puccini (Youpress)

Publié dans le magazine ActuSoins n°17. Pour s'abonner, c'est ici

 

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Réactions

4 réponses pour “Au Cauva, des infirmières auprès des victimes d’agression”

  1. edward84 dit :

    crée depuis 1999 par l’experte Sophie Gromb-Monnoyeur, Le CAUVA est l’un des centre le plus réputé en France. Il est considéré comme le centre unique dans le pays.

  2. dommage que ca ne soit pas plus connu que ca

  3. À quand la même chose à Angouleme?????

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