Ces infirmières ont choisi l’Ehpad

Infirmière en ehpad sabrina

Les EHPAD (établissements pour personnes âgées dépendantes) attirent peu les infirmiers et infirmières. Ils souffrent d’une mauvaise image, malgré les changements opérés depuis dix ans. Rencontre avec des soignants passionnés, mais souvent débordés.

Infirmière depuis 10 ans, Sabrina travaille en Ehpad depuis trois ans après un début de carrière à l’hôpital puis en tant qu’infirmière libérale. © Céline Diais

Infirmière expérimentée, Sabrina exerce depuis trois ans à l’Ehpad des Champs-Manceaux, à Rennes. A l’origine de ce choix, une opportunité plutôt qu’une réelle volonté.

« Je quittais mon activité en libérale, je cherchais un emploi salarié », explique-t-elle. Mais elle ne regrette pas. « J’ai l’impression d’exercer mon métier dans toutes ses dimensions avec des soins très intéressants, tout en continuant à apprendre ».

Du nursing, la maison de retraite ? « Depuis qu’on est passé aux Ehpad, ce n’est plus du tout ça. Les patients sont âgés, donc polypathologiques. Il y a tellement de soins différents que j’ai parfois l’impression d’être de retour en médecine – sauf qu’on y est une infirmière pour vingt patients, contre une pour quarante en Ehpad. Mon expérience en libérale me sert beaucoup ».

Les maladies les plus fréquentes ? Diabète, maladies cardio-vasculaires, ulcères, Alzheimer… Près de la moitié des 80 résidents de cet Ehpad situé en quartier populaire sont en effet dépendants psychiques.

Soins et écoute

En ce jeudi matin, Sabrina alterne entre pansements, traitements… et écoute. L’une de ses patientes, très âgée mais lucide, s’inquiète de sa dernière chute. « J’ai perdu la tête pendant une semaine. Je ne retenais rien, je n’y voyais plus… J’espère que ça ne va pas revenir ? », se soucie-t-elle. Tout en changeant son pansement, Sabrina rassure et questionne. « Vous ne trouvez pas que votre déambulateur roule trop vite ? ». « Ah si… », réalise la vieille dame, « je marchais beaucoup avant mais maintenant je n’ose plus ».

Sabrina, qui a déjà pris rendez-vous avec un gériatre, va aussi contacter l’ergothérapeute. Le suivi médical étant assuré par les médecins libéraux – hors médecin coordonnateur – les infirmières des Ehpad sont un peu les chefs d’orchestre de la prise en charge des patients. Pour cette raison, Sabrina recommanderait le travail en Ehpad à une collègue mais pas forcément à une débutante.

Prendre soin des personnes âgées, une véritable vocation pour Cathy Peltier, infirmière clinicienne à l’Ehpad de Craon (Hôpital local du sud-ouest mayennais). ©Céline Diais

« C’est bien d’avoir déjà trois ou quatre ans d’expérience. Il faut avoir un bon diagnostic infirmier et des prises de décision sûres ». Bien connaître les spécificités liées au grand âge est aussi essentiel. Comme une infection urinaire, par exemple, dont souffre sa patiente. « Cela peut entraîner des troubles du comportement, de l’équilibre et des pertes d’appétit chez la personne âgée ».

Des symptômes très surveillés en Ehpad, où l’objectif est de maintenir au mieux l’autonomie. « Permettre la verticalité vingt minutes par jour, c’est retarder la grabatisation et la dépendance », rappelle Maryline Brocas-Lidec, l’infirmière-cadre de l’Ehpad.

Une décennie de mutations

L’âge d’entrée en Ehpad ne cesse de reculer : 85 ans en moyenne en 2013, soit cinq ans de plus qu’il y a 25 ans[1]. Conséquence ? Une dépendance accrue et un niveau de polypathologies « proche de celui des unités de soins de longue durée, avec des besoins médicaux croissants », selon le cabinet de conseil KPMG.

L’autre changement de la dernière décennie ? L’individualisation de la prise en charge. « Avant, on s’attachait au bien-être du résident mais sans poser forcément des objectifs de soin. Aujourd’hui, c’est notre priorité, avec un réel projet autour de la personne », explique Maryline Brocas-Lidec.

Dans cet Ehpad géré par la ville de Rennes, cela se traduit par un projet de vie (animations, lien social…) et un projet de soin (prescription infirmière) basés sur le recueil d’histoire de vie du résident ainsi qu’une évaluation de ce dernier, réalisée par les infirmières, les aides-soignantes et l’ergothérapeute. Le tout étant soumis à la personne âgée pour accord. Pour Sabrina, « ce n’est plus le résident qui doit s’adapter à la collectivité, ça change tout ».

Moins de pénibilité

©Céline Diais

Aide-soignante à l’Ehpad de Craon, une commune rurale de Mayenne, Elisabeth Bouvier a démarré sa carrière dans les années 1980, dans ce que l’on appelait encore l’hospice. « Je trouvais le temps long ! Il y avait peu de toilettes mais beaucoup de ménage : le fumoir à nettoyer, le parquet à encaustiquer… ».

Un autre monde, comparé à aujourd’hui : « on a des lits à hauteur variable, des verticalisateurs, des guidons de transfert… », énumère l’aide-soignante, « mais ça ne fait pas tout, il faut quand même avoir de la résistance physique ».

« Il y a aussi la résistance psychologique : les résidents ne sont pas toujours agréables, surtout lorsqu’il y a démence », ajoute sa collègue Alexandra Charnier. A 33 ans, elle apprécie le travail en Ehpad, où elle a débuté.

L’individualisation de la prise en charge a aussi amélioré leurs conditions de travail en ehpad. L’Ehpad de Craon, géré par l’hôpital public local, a ainsi réparti ses 137 résidents par secteurs, avec des équipes fixes d’aides-soignantes.

Terminé la course pour réaliser toutes les toilettes de l’étage. « Ça peut être un moment difficile, on entre dans l’intimité des gens. Certains arrivent de chez eux et n’ont jamais eu d’aide extérieure. Cette organisation facilite l’adaptation et peut éviter les comportements agressifs chez les personnes désorientées », explique Alexandra.

Les aides-soignantes sont aussi référentes du projet de vie de la quinzaine de résidents de leur secteur. Conseilleraient-elles leur travail à de futures collègues ? « Oui, mais c’est une vocation : il faut aimer les personnes âgées ».

Construire du lien

©Céline Diais
Aujourd’hui infirmière-coordinatrice, Maryline Brocas-Lidec a longtemps travaillé à l’hôpital avant de commencer des remplacements en Ehpad en 2003. « Je n’en suis plus partie », sourit-elle.

La vocation, Cathy Peltier l’a sans aucun doute. Cette infirmière travaille à Craon depuis 13 ans. Un choix réfléchi. « J’ai fait mon stage ici et je suis restée. Je n’étais pas forcément attirée par la technique pure et des services de pointe comme la chirurgie. C’est le lien au patient et le travail sur le long terme qui me plaisent ».

Comme Sabrina, elle apprécie la polyvalence du métier. « On peut passer de la cardio à la neuro, c’est très varié. Il faut connaître un peu de tout, être bien organisée et autonome car on n’a pas de médecin sur place. Et le week-end, comme nous ne sommes que deux infirmières, il faut de bonnes baskets ! ».

Malgré un planning chargé, Cathy met un point d’honneur à prendre le temps de discuter avec chaque patient. « On traite la pathologie mais aussi la personne », martèle l’infirmière clinicienne. Dans une chambre, elle discute chandeleur avec une patiente atteinte d’Alzheimer, dans une autre, elle convainc une dame âgée d’aller manger, tout en refaisant des pansements.

« Ce temps, je le prends, quitte à être speed après. C’est un moment que les patients nous donnent. Ils déchargent leurs émotions et nous, on y apprend beaucoup de choses que l’on peut transmettre à l’équipe pluridisciplinaire ».

Effectifs restreints

Si les infirmières d’Ehpad peuvent s’appuyer sur des partenaires (équipes mobiles de soins palliatifs, infirmières HAD, SOS médecins…), la gestion de ces nombreux intervenants est chronophage. Médecins traitants injoignables et spécialistes débordés sont leur quotidien. Une charge de travail aussi lourde du côté des infirmières-cadre, qui doivent gérer plannings, management, relations avec les familles… Le mot qui revient le plus souvent ? « La course ».

La cause, ce sont les ratios – trop faibles – d’effectifs en Ehpad, fixés par les pouvoirs publics selon le nombre de patients et leur degré de dépendance. Cette dernière « augmente mais les moyens fixés par l’agence régionale de santé restent constants », déplore Marilyne Brocas-Lidec, à Rennes. Son Ehpad compte 4 infirmières et 16 aides-soignantes (dont 2 de nuit et un pool de 2 remplaçantes) pour 80 résidents.

« On est beaucoup à l’écoute de nos soignants avec le souci de développer leurs compétences par la formation, notamment à l’« humanitude »[2], et on adapte continuellement notre organisation aux besoins. Cela permet d’optimiser le temps, mais ça ne donne pas plus de bras », explique l’infirmière-coordinatrice. Mêmes solutions employées à l’Ehpad de Craon, qui bénéficie en outre d’une infirmière de nuit grâce à son lien avec l’hôpital, aux côtés de ses 6 infirmières et 48 aides-soignantes (dont 3 de nuit) pour 137 résidents.

Amélie Cano
Paru en 2015 dans le magazine ActuSoins n°16 (pour vous abonner : www.actusoins.com/magazine)

[1]          Source : Observatoire des Ehpad 2014, KPMG-FEHAP

[2]          Philosophie de soin dédiée aux personnes âgées

Un secteur qui recrute… un peu moins

Mais qui reste porteur ! Si la France compte 1,2 million de personnes âgées dépendantes aujourd’hui, elles devraient être 1,8 million en 2050. Mais la frénésie de recrutement des années 2000 s’est calmée. « Lorsque les maisons de retraite privées se sont médicalisées à cette époque, elles ont du recruter très intensivement. Cela a créé des pénuries », explique Florence Arnaiz-Maume, déléguée générale du Synerpa, syndicat des maisons de retraites privées.

Aujourd’hui, la situation est revenue à la normale mais le secteur reste créateur d’emplois. Le Synerpa assure réaliser 12 000 embauches par an en moyenne, dont 3 000 créations nettes de poste. « Il y a davantage de besoins en aides-soignantes qu’en infirmières », pointe Florence Arnaiz-Maume – un constat partagé par la FEHAP (privé non lucratif). Avec cependant des profils recherchés du côté des IDE.

« Nous apprécions les infirmières en fin de carrière car elles ont une grande expérience et de nombreuses compétences. Elles ont tout intérêt à venir en Ehpad : un poste d’infirmière coordinatrice, par exemple, est en haut de la hiérarchie, on n’y travaille pas de nuit et peu le week-end ». Le Synerpa avance aussi les efforts menés par les Ehpad privés pour se rendre attractifs : convention collective, réduction de la pénibilité, perspectives de carrière… « 80 % de nos salariés sont en CDI et à temps plein ».

Voir les commentaires (122)

  • Et oui infirmiere ce n'est pas qu'aux urgences et celles qui bossent ailleurs surtout en ehpad sont souvent mal jugées on croirait qu'on a pas le même diplôme. .. moi après presque 10 ans à lhosto j'ai choisi d'exercer dans un établissement scolaire alors le jugement négatif de ceux qui ne connaissent pas réellement le métier, je connais bien !!!! On me demande même si je sais piquer ... pourtant même en lycée je pique, je fais des pansements et j'ai même eu une toilette complète au lit et oui !!!!! Et je n'ai plus un médecin derrière moi en permanence pour me conseiller et je suis bien obligée d'adopter le système D

  • Ça fait plus de 3 ans que je suis en EHPAD et les soins techniques, il y en a beaucoup ! GPE, SNG, sonde urinaire, pansements simples/complexes etc. Et pour ceux qui pensent que quand il arrive un pépin on se contente d'hospitaliser, ça me fait doucement rire... Il fait diagnostiquer le bon problème (souvent le week end sans médecin, sinon c'est pas marrant ;-)) et appeler le CRAL et/ou le SAMU, et en attendant leur arrivée nous sommes seules pour intervenir et quand il s'agit d'un AVC ou d'une fausse route avec inhalation, on se retrouve très démunies ! Mais j'adore mon métier et mes résidents :-)

  • Moi je suis bien contente de mon orientation en gériatrie! Tu sais piquer une PA tu sais piquer tout le monde et au moins qd vient la fin tu sais qu'ils ont fait leur vie, ils ne laissent pas de petits derrière eux...

  • J ai débuter en ehpad aussi par choix et c est sacrément formateur!!!! Quand tu arrive dans un ehpad de 90 résidents et que t es la seule ide ben ça t apprend à avoir une bonne organisation ! Et puis les relations ac les personnes âgées même si pas toujours facile sont tellement enrichissantes. Je regrette pas du tout ce choix.