Ces maux qui touchent les soignants Infirmière, aide-soignant, professionnels de santé

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Manque de personnels et de temps, tâches administratives à répétition : cette réalité dans les services hospitaliers est bien connue. Qui en fait les frais ? Les soignants. Conséquence : une perte de motivation, une fatigue croissante, un esprit d’équipe qui flanche,… Ces troubles peuvent conduire au burn out mais aussi provoquer des troubles musculo-squelettiques (TMS).

© leaf – iStock

La série de changements qui a affecté les services hospitaliers n’est pas étrangère à l’apparition des troubles chez les soignants. « Depuis les années 1980, les soignants sont confrontés à une dégradation de leurs conditions de travail, et la rationalisation des dépenses hospitalières entraîne une limitation de la croissance des effectifs », souligne Valérie Carrara, psychologue du personnel à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Or, ils ont de plus en plus de travail administratif, plus de protocoles à respecter, et donc moins de temps à passer au lit du malade.

Les relations entre le pouvoir médical et le pouvoir administratif sont aussi devenues compliquées. « Il y a un réel problème de reconnaissance et les professionnels de santé sont en souffrance », ajoute-t-elle.

Joëlle : « A force de lutter pour des choses qui auraient dû couler de source, je me suis épuisée ».

Epuisement émotionnel

Cette souffrance au travail peut se manifester physiquement chez le soignant qui va alors développer des maux de tête, des maux de ventres, des pathologies conduisant jusqu’au burn out. « Le burn out n’est pas une maladie définie, mais davantage un processus lié à une façon d’envisager la pénibilité au travail », estime Marc Loriol, chercheur au CNRS, spécialiste de la fatigue et du stress au travail chez les professionnels de la santé.

Il existe trois grands symptômes permettant de définir le burn out qui prend forme dans un processus de cercle vicieux. Tout d’abord l’épuisement émotionnel, puis la déshumanisation de la relation à l’autre et enfin la diminution ou la perte de l’accomplissement professionnel.

Pour se protéger, le soignant peut en venir à déshumaniser sa relation à l’autre, ce qui conduit parfois à de la maltraitance. « Il arrive que les infirmiers aient peur de commettre des erreurs en raison de leur état de fatigue, rapporte Valérie Carrara. La maltraitance vient quand il n’y a plus de mots. » Auparavant, les chefs de services organisaient des espaces de paroles pour que les soignants puissent parler des patients. « Il faudrait les remettre en place », estime-t-elle.

C’est lorsqu’un soignant ne parvient pas à trouver le juste milieu d’engagement vis-à-vis d’un patient, que le burn-out peut survenir.

Les soignants perdent alors l’intérêt de leur engagement et de leur accomplissement professionnel. C’est lorsqu’un soignant ne parvient pas à trouver le juste milieu d’engagement vis-à-vis d’un patient, que le burn out peut survenir. « L’équilibre est difficile à trouver, souligne Marc Loriol. Il n’est pas donné une fois pour toute. Il dépend du contexte. » Valérie Carrara insiste cependant sur l’importance de l’aspect individuel de la souffrance au travail. « Elle dépend de chaque individu, de son histoire, de ses conditions de travail », soutient-elle.

Gestes nocifs

Outre le burn out, la dégradation des conditions de travail est également génératrice de troubles musculo-squelettiques (TMS). « Depuis les années 1990, les pouvoirs publics se sont beaucoup intéressés à la prévention pour permettre les bonnes postures, explique Marc Loriol. Malgré tout, le nombre de TMS ne diminue pas », sans doute parce que des facteurs vont à leur encontre, notamment le manque de moyens, d’effectifs et donc de cohésion.

Une partie de l’augmentation des TMS est liée à l’intensification du travail, à l’incapacité de prendre le temps, aux gestes répétitifs qui sont plus nocifs. « Pour lever le malade, il faut une collaboration au moins à deux, souligne-t-il. Parfois, il n’y a pas assez de soignants, ni une bonne cohésion. »

Les TMS sont une maladie multifactorielle à la fois biomécanique mais également liée à des facteurs psychosociaux. « C’est souvent la combinaison des deux qui conduit à l’émergence des TMS », rapporte Sandrine Caroly, docteur en ergonomie et enseignante-chercheur à l’Université de Grenoble. Outre le lien avec l’organisation du travail, avec les transformations organisationnelles et l’intensification du travail qui accroissent la pression des soignants, il y a également un lien avec l’activité des soignants.

« On distingue le travail prescrit du travail réel », explique-t-elle. Les soignants ont des procédures à respecter mais la tâche est parfois éloignée de l’activité car ils rencontrent des variabilités au niveau organisationnel.

L’équipe de formateurs du CHI de Marmande Tonneins (Lot-et-Garonne) montre des techniques non traumatiques de mobilisation des patients. © DR

« Par exemple, lorsqu’il manque une personne, le soignant présent tente des stratégies d’adaptation et peut par exemple piquer sans gant ou ne pas engager la conversation avec le patient. C’est une forme d’abattage du travail mais qui lui permet de tenir les objectifs de performance. » Il va alors ressentir une tension, une pression, qui peut être à l’origine de TMS.

Enfin, les TMS peuvent avoir un lien avec les collectifs de travail. « L’équipe ne partage pas nécessairement les mêmes valeurs, souligne Sandrine Caroly. Contrairement au collectif qui rassemble des professionnels partageant des manières de travailler, ce qui donne des ressources pour la santé individuelle de chacun. » En collectif, les professionnels décident ensemble de la façon d’organiser le travail et de se coordonner. « Il y a la réalité de la souffrance des infirmières et derrière cette souffrance, la capacité du groupe à faire face à la difficulté », conclut Marc Loriol.

 Laure Martin
Article paru dans Actusoins Magazine

Témoignages

Marion, 27 ans, infirmière depuis cinq ans

« Je travaille dans un service de nuit et de réanimation. Quand on sort de l’école, on ne voit pas nécessairement les problèmes qui touchent la profession. Mais je constate que le burn out s’installe rapidement. Nous, infirmières, avons peu de poids dans toute l’échelle médicale et paramédicale. On est toujours exécutrice, rarement preneuse de décision. En plus, on est toujours face à quelqu’un qui ne va pas bien, ce n’est pas facile de se détacher et on n’a pas forcément de soutien de la part de nos collègues médecins ou de la hiérarchie. Il y a un gros turn over dans mon service, car on se fatigue rapidement. Je ne suis peut-être pas encore dans une phase de burn out car j’exerce encore mon métier, mais je ressens une grosse lassitude. J’ai l’impression d’être un pion, je reçois peu de considération. Depuis quelque temps, j’ai une hernie discale à cause de mon travail. Je n’ai eu qu’une demi-journée de cours sur la manutention alors que les aides-soignantes ont un vrai module. Maintenant, je dois faire de la kinésithérapie, mais tant que je continuerai ce métier, je ne guérirai pas. On travaille en effectif ultra réduit, donc on ne prend pas le temps de bien faire les choses. De fait, le patient n’est pas pris en charge de la manière optimale. Je n’envisage pas d’arrêter mon métier, car j’aime encore ce que je fais. Mais j’essaye de changer d’hôpital. Il y a beaucoup d’idées reçues sur le métier. Ce n’est pas ce qu’on pense. »

Joëlle*, ancienne cadre d’un pole gériatrique

« Mon burn out, je n’en ai pas eu conscience. A un moment donné j’étais épuisée, je venais au travail avec une appréhension et un stress qui ne me quittait pas. L’élément déclencheur a été le non-partage de mes valeurs à mon travail. Je me sentais surmenée, j’avais de plus en plus de difficultés à accomplir mes tâches dans de bonnes conditions et en plus, le management ne me convenait pas. Je recevais beaucoup de mépris et de réflexions de la part de ma hiérarchie. A force de lutter pour des choses qui auraient dû couler de source, je me suis épuisée. Les soignants sont compléments méprisés, je ne peux pas l’accepter, c’est une question de considération. On nous demande d’être respectueux vis-à-vis des patients, mais la hiérarchie ne l’est pas avec nous. Un jour, j’ai croisé le médecin du travail dans le couloir, elle m’a dit qu’elle ne me trouvait pas en forme, m’a prise en entretien et là je me suis effondrée. Il y a un an, j’ai été arrêtée pendant un an par mon médecin traitant. Les six premiers mois, j’ai été retirée du monde. Quand on est en arrêt, on se complet dans notre enfermement. J’étais incapable de sortir. J’ai été happée par la descente aux enfers. Je suis allée voir un psychiatre, qui continue de me suivre. C’est lui qui a prononcé le mot burn out. Toute seule je n’aurais pas pu aller mieux et la médication s’est imposée. J’ai repris le travail en septembre mais j’ai changé de fonction, je mets en œuvre des projets d’amélioration de la qualité. Les soins et le contact avec les patients me manquent. Aujourd’hui, ce qui me dérange, c’est que je ne me sens plus la même. Mais c’est peut être ce qu’il faut. L’investissement doit être mesuré, la distance doit être prise. Je vais mieux mais j’ai peur que ce soit un bien-être artificiel car je suis toujours sous traitement et je veux m’en passer. »

*témoignage anonyme

 

Voir les commentaires (123)

  • et oui c'est criant de vérité : on a le temps de rien, pas même de manger, boire ou pisser, on se retient, on a une hygiène de vie poucrave et on se permet donc de donner des leçons d'hygiène alimentaire alors que s'agissant des IDE dans mon service on n'a jamais le temps de boire ou de manger.

    En sus de cela oui, on ne se protège pas bien parce qu'on ne se donne pas le temps de le faire et quoi qu'en pensent les donneurs de leçons, non, c'est vrai, mettre une paire de gant entre chaque dextro quand tu en as 10, + les injectables.... aux tours des tensions, médicaments... ben ouai ça prend du temps donc non on ne le fait pas. On se met en danger et on met aussi en danger le patient... mais qu'importe du moment qu'on est rentable.

  • je suis auxiliaire de vie à domicile idem pour moi nos journées sont à rallonge c est une véritable déprime

  • Moi je me demande surtout comment ils font ceux qui bossent jusqu'à 45 heures dans les autres pays (Corée du sud par exemple). Et comment on faisait avant... Ce n'est pas le fait de bosser plus qui nous fatigue mais le fait de bosser moins. Du coup, on n'est plus trop habitué. Et surtout pour faire en 35 heures ce qu'on faisait en 39, l'effort est plus intense. Il fallait passer aux 35 heures payées 35 pour éviter ça. Ce qui n'empêche pas de simplifier nombre de procédures à la con. Qui n'existent que pour justifier l'existence d'une hiérarchie improductive (qui ne fait que produire des textes afin de montrer qu'elle sert en fait).

    • Je n'ai pas parlé de fainéantise. Mais d'habitude. Quelqu'un qui bosse 45 heures par semaine n'est en général pas beaucoup plus fatigué que quelqu'un qui bosse 35. Sinon la plupart des travailleurs du monde entier seraient déjà morts de fatigue. D'ailleurs je suis en Asie et ici ils bossent jusqu'à 48 heures par semaine même dans le milieu médical. Sans se plaindre. Avec des soins d'au moins aussi bonne qualité. Juste parce que ça leur semble "normal". Il sont habitués à ce type d'effort et à avoir un temps personnel nettement plus limité que le nôtre. Ils voient le temps personnel comme ce qui reste après le travail. Nous on a plutôt tendance à considérer d'abord le temps libre et après le travail, comme un mal nécessaire. En outre si on bosse moins d'heures, mécaniquement on doit bosser plus dur, car on n'a pas les moyens de payer plus de personnel pour "partager" l'effort. D'où ma remarque sur les 35 heures qui auraient dû être payées 35 et pas 39. Ca aurait ppu permettre d'embaucher plus et de ne pas augmenter l'intensité des efforts. Enfin, le problème de la santé en France c'est que c'est un système hautement élitiste qui s'adresse à la totalité de la population. Il y a là un paradoxe qui engendre obligatoirement des problèmes. En gros tous ceux qui gagnent bien plus qu'ils ne le devraient du fait de textes particulièrement protecteurs (allez, en gros, les médecins !) ponctionnent forcément la productivité des autres. Et plus ils veulent ponctionner plus il faut augmenter la productivité, des infirmier par exemple. Bref, remettons de la concurrence dans le système en produisant autant de médecins qu'il y a d'étudiants voulant faire médecine capables d'être médecins (plus de concours mais un examen). Simplifions. Acceptons l'automatisation à outrance. Arrêtons de considérer que si c'est moins cher c'est forcément de moins bonne qualité. Et les hôpitaux ne seront plus surendettés. Et le personnel sumergé de tâches. Ne pas penser une seule seconde que l'on peut résoudre les problèmes en embauchant plus. Notre système de santé coûte déjà une fortune, surtout si on ajoute tous les autres prélèvements. Ces solutions de facilité (en gros on fait payer les efforts par les Chinois qui financent notre déficit public donc notre sécurité sociale) sont parvenues à leur limite. il faut donc en trouver d'autres, qui forcément remettent des intérêts particuliers en cause. Cela nécessite de se dire que non, malgré ce que pensent les bobos, tous ne sont pas des gentils. Les médecins en premier (allez sauf ceux qui gagnent en moyenne sur leur carrière moins de 3500 euros par mois en net, ce qui doit être rare).

    • Je suis d'accord avec vous sur certains point mais là vous faites erreur. Et ça se voit que vous êtes dans l'enseignement et dans l'enseignement de l'économie ! Je n'ai pas dormi à vos cours et je suis issue d'une famille médicale et je peux vous dire que l'épuisement généralisé
      des soignants n'est pas quelque chose qu'on peut attribuer à de la fainéantise. Pour ce qui est des hôpitaux bons nombre sont surendettés et les économies se font au détriment des soignants et du patient lui-même. Si vous êtes fatigué, au pire vos élèves s'ennuieront à votre cours. L'infirmier qui n'est pas remplacé, c'est à sa collègue d'absorber son travail. Et aux réunions du personnel avec cadre de santé, administration hospitalière, etc. Il y a déjà presque 10 ans on leur demandait de "produire du soin". Là encore c'est peut-être quelque chose qui ne vous choque pas mais ça n'est pas normal. Alors oui certains médecins se la coulent douce, traitent du "client" plus que du "patient" mais comme dans toute profession il y a ceux qui ne jouent pas le jeu. Soigner n'est pas une sinécure.

  • Voici les consequences de notre tres mauvaise gestion, nos tres chers elus ont fait des choix que nous ne voulions pas.Que font ils de nos impots?Que font ils de concret pour les populations en souffrance?....Nous avous tous contribue a cette situation en ne reagissant pas au moment adequat.Mais il est encore temps de reagir et de reclamer haut et fort ce que nous voulons pour nous .Je,nous ne voulons plus d'un systeme centre sur le profit a tous prix etc..nous voulons de bonne ecoles ,de bon hopitaux et je dirais un service publique en relation avec son temps.En finir avec les gaspillages de tous genres.On finance leur train de vie il organise notre perte.Putain je suis tres decu de tous nos representants.

  • manque de personnel la faute a qui ? l'etat qui se desengage et politique d'austeriter je souhaite bon courage a tous le personnel soignant qui ce tue a la tache et qui fait des heures supp sans compter

  • Suite à un Burn-Out, je suis à présent en retraite pour invalidité avec 700 euros par mois sans aucune reconnaissance après 25 ans de service au SAMU ... Un conseil les hospitaliers actuels, ne vous laissez pas faire ! Car demain se sera un d'entre vous.

  • Pas seulement les soignants en hopital, je peux vous dire que les assistante vétérinaires c'est pareil.... Toujours plus.....