Laïcité : mieux connaître pour mieux vivre ensemble

Laïcité : mieux connaître pour mieux vivre ensemble

Les soignants hésitent parfois sur la conduite à tenir en matière de laïcité et de neutralité, observait en juin 2015 la FHF dans un rapport sur le sujet. L'Observatoire de la laïcité a publié en février 2016 un guide pour les aider. Zoom sur ces établissements qui tentent de les outiller et de les accompagner.
Laïcité : mieux connaître pour mieux vivre ensemble
© Nawak

Liberté de conscience, neutralité du service public, non discrimination des usagers, respect de l’organisation des soins, liberté de choix du praticien… Ces notions se heurtent parfois les unes aux autres. Et le positionnement adéquat des professionnels du soin n’est pas toujours facile à trouver. « Les équipes ne sont pas forcément très à l’aise avec la question de la laïcité, un sujet sensible, sans doute du fait d’un manque de formation », souligne Nicolas Brun, l’auteur du rapport « La laïcité dans les établissements publics de santé et médico-sociaux »  publié il y a un an par la commission des usagers de la Fédération hospitalière de France.

Pourtant, les textes existant sont clairs, ajoute-t-il. Encore faut-il qu’ils soient connus, et de tous les personnels concernés. « Il y a une demande pour mieux comprendre les réactions et les demandes de certains patients ou sur les rites funéraires, remarque l’auteur du rapport. La formation sur ce sujet s’est développée ici ou là mais c’est très minoritaire. »

Tout commence dans les IFSI… et par la formation

Selon Martine Sommelette, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (CEFIEC), la question de la laïcité est abordée dans les IFSI sous la forme de conférences, pas comme enseignement spécifique. Elle imprègne selon elle les projets pédagogiques de tous les IFSI à travers des valeurs humanistes de respect des personnes. D’ailleurs, la laïcité s’y applique comme dans les établissements de soin -les signes ostentatoires ne sont pas admis- et non pas comme dans ceux d’enseignement supérieur, souligne-t-elle. Une particularité qui n’est pas toujours bien comprise par les étudiants.

Du côté de la formation continue, l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier n’a pas remarqué de « mouvement de fond » en faveur de formations sur ces questions.

Certes, la question n’est pas prioritaire pour les établissements, comme le montrent les chiffres avancés par le rapport de la FHF. Pour autant, le rapport met l’accent sur la nécessité d’anticiper, de prévenir les situations et de favoriser, au-delà des questions religieuses, le « vivre ensemble » dans les établissements de soins.

D’ailleurs, Isabelle Levy, spécialiste des questions religieuses dans le monde des soins, constate qu’elle est de plus en plus sollicitée, y compris par des établissements « dans des petites villes » parce qu’ils sont concernés par le sujet ou souhaitent simplement se pencher sur cette question. Cependant peu de cadres ou de directeurs participent aux nombreuses formations qu’elle anime dans le monde hospitalier (un peu plus assistent à ses conférences). Les personnels soignants et administratifs qu’elle y rencontre se montrent plutôt intéressés, poursuit-elle, mais n’ont pas les moyens de mettre en place des solutions : « selon les personnels, c’est la hiérarchie qui doit le faire », estime la conférencière. L’enquête de la FHF a ainsi montré une absence fréquente de réflexion collective sur le sujet, ce qui conduit souvent à et régler les situations au coup par coup, sans forcément de cohérence et seulement au niveau des services.

Quelques établissements pionniers

Au centre hospitalier sud-francilien de Corbeil-Essonnes, dans la banlieue sud de Paris, la laïcité est inscrite au plan de formation annuel et institutionnel et les cadres sont au contraire particulièrement impliqués, souligne Christine Nallet, coordinatrice générale des soins. Tous les cadres, même si les tensions qui surviennent avec des patients concernent surtout les urgences adultes, la gynécologie et la maternité. « Pratiquement tous, y compris les cadres de nuit, ont assisté aux formations sur la laïcité », indique-t-elle. Et donc aussi les cadres formateurs de l’IFSI. La coordinatrice leur a également demandé d’assister aux conférences sur la radicalisation organisées par la Préfecture de l’Essonne pour les établissements hospitaliers. Des soignants y ont aussi participé et les formations à la laïcité leur sont ouvertes depuis 2015.

Le centre hospitalier de Valenciennes (Nord) a organisé en mai 2016 sa première journée de formation sur la laïcité. Elle a rassemblée une centaine d’agents, paramédicaux, médicaux et administratifs, lors de « conférences d’experts » et d’ateliers pour partager les questionnements, les bonnes pratiques et explorer les droits et devoirs de chacun, souligne Marie-Chantal Guillaume, coordinatrice des soins. « Les personnels ont une connaissance souvent très générale » de ces questions et très variable, ajoute-t-elle.

A Valenciennes comme au CH sud-francilien, la question est aussi systématiquement abordée lors des journées d’accueil des nouveaux arrivants. Autant de piqures de rappel sont destiné à outiller les soignants sur leurs droits et devoirs et ceux des patients.

Des questions récurrentes

soignants laicité
© France Télévision / Story Circus / 2015. Agnès Maillard / Henri Poulain / Benjamin le Talour

Les questionnements des soignants concernent à la fois leur propre neutralité et leur positionnement par rapport aux demandes des patients ou de leurs proches. « Ce sont toujours les mêmes questionnements qui reviennent, même si je suis déjà intervenue dans l’établissement », remarque Isabelle Levy.

Selon le rapport de la FHF, ceux qui concernent les patients portent sur les rites funéraires, les prescriptions alimentaires, les demandes de prise en charge par un professionnel d’un genre ou d’un autre, la pratique du culte (prière dans une chambre partagée, décalage d’un soin pour un patient qui prie…) ou le prosélytisme.

L’esprit de la loi consiste à essayer de répondre aux demandes si cela ne perturbe pas l’organisation du service ou la réalisation des soins. Au centre hospitalier sud-francilien, les équipes essaient de répondre aux demandes « quand c’est possible », assure Christine Nallet.

Dans le service d’urgences d’un hôpital de province où travaille Julien, infirmier, l’équipe soignante a permis un jour à un chamane d’utiliser de l’encens (en installant le bâton à l’extérieur de la fenêtre). Au quotidien, l’équipe essaie d’inclure toujours une femme. « Mais il y a des choses qu’on ne peut pas accepter pour des raisons de soin ou de sécurité, ajoute-t-il. On doit pouvoir voir le visage d’une personne ne serait-ce que pour évaluer sa douleur ou dénuder son bras pour prendre sa tension. »

Obligation de neutralité

infirmière, soignants leur devoir de neutralité sur le plan vestimentaire
© Natacha Soury.  CH sud-francilien, Christine Nallet a été amenée deux fois, dont une de manière très ferme, à intervenir pour rappeler à des soignants leur devoir de neutralité sur le plan vestimentaire.

Du côté des soignants, l’obligation de neutralité n’est pas toujours bien connue et nécessite parfois des rappels, sur le port de « signes ostentatoires » ou l’aménagement du temps de travail ou des congés pour des raisons religieuses, indique le rapport de la FHF. Certains professionnels estiment aussi à tort que la neutralité qui s’applique à eux concerne aussi les patients alors que ce n’est pas le cas…

A Valenciennes, les éventuelles questions de ce type se règlent au niveau des pôles. Mais au CH sud-francilien, Christine Nallet a été amenée deux fois, dont une de manière très ferme, à intervenir pour rappeler à des soignants leur devoir de neutralité sur plan vestimentaire. « Ces situations sont gérables, il ne faut pas hésiter à rappeler la loi », explique-t-elle. Encore faut-il la connaître… L’Observatoire de la laïcité a publié en février 2016 un guide qui y fait largement référence est vise à éclairer établissements et professionnels. Dans certains établissements, une charte de la laïcité est établie et/ou affichée.

Peu de référents en internes

Pour Nicolas Brun, les soignants doivent pouvoir être épaulés en cas de besoin par les conseils ou la médiation des aumôniers des différentes confessions de leur établissement. Encore faut-ils qu’il y en ait -certains établissements n’en ont toujours pas, s’insurge Isabelle Levy – et qu’ils soient présents assez souvent ! Voire qu’ils aient reçu un minimum de formation aux problématiques hospitalières, souligne le rapporteur de la FHF. A Valenciennes, les deux aumôniers salariés « appréhendent très bien » ces problématiques, souligne Philippe Deboosere, référent laïcité de l’établissement, et l’un d’eux suit d’ailleurs une formation.

Le référent laïcité, un cadre ou un directeur nommé par la direction, constitue un autre recours pour les soignants. L’enquête de la FHF montre qu’ils sont encore très peu nombreux alors qu’il devrait y en avoir un par établissement et pourraient apporter au quotidien un soutien précieux.

Faute de connaissance suffisante sur le sujet, en effet, « certains problèmes sont parfois reliés à tort à la laïcité », souligne Nicolas Lebrun… Alors que « quand on connaît les règles, assure Isabelle Levy, les réponses, on les a toutes ».

Olivia Dujardin

Actusoins magazine infirmierCet article est paru dans le numéro 21 d’ActuSoins (Juin/Juillet/Août 2016). 

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Témoignage

Julien, diplômé il y a moins de 10 ans, infirmier aux urgences d’un hôpital d’une ville moyenne en province.

« Intellectuellement, je me sens outillé sur le sujet de la laïcité. J’ai suivi à l’IFSI un cours obligatoire sur la laïcité dans les soins et une entreprise de pompes funèbres est venue nous présenter les rites funéraires des différentes religions. Dans notre promotion, toutes les cultures et religions étaient représentées et nous avons échangé sur le sujet. Les jeunes sortent de l’école avec un bagage de connaissances sur le sujet mais un rappel de temps en temps serait utile. En tant que tuteurs, dans les stages, on leur pose toujours des questions sur la laïcité.

Là où je travaille, nous n’avons pas de directive claire à part faire appliquer la laïcité dans les soins. Notre cadre nous laisse gérer car elle sait que nous faisons attention. Heureusement, face aux éventuelles questions, nous avons tous la même réponse, même si notre communication est différente. Quand l’un de nous est mis en difficulté face à un patient ou un proche, il va en chercher un autre pour expliquer autrement. On peut aussi faire appel à la cadre ou à la sécurité. Je ne sais pas s’il y a un référent laïcité. Quant aux aumôniers, ils sont seulement catholiques et présents juste quelques heures un jour sur deux. On n’a pas la chance d’avoir une équipe très multiculturelle et quand notre collègue musulmane est là, c’est un plus pour l’équipe.

On essaie de s’adapter aux demandes quand cela ne gêne pas les soins, la sécurité ou l’hygiène. Et on se débrouille pour qu’il y ait si possible une femme dans l’équipe soignante aux urgences. Les médecins aussi. Si on doit aller chercher une collègue dans une autre unité, il faut en effet changer temporairement sa fiche de poste et la remplacer par une autre personne habilitée à occuper le poste laissé vacant. Sur un établissement de la taille du nôtre, cela peut vite devenir compliqué et cela modifie le suivi des autres patients.

Quand une situation dégénère, on remplit une déclaration pour le service qualité mais on ne débriefe jamais en équipe, avec la cadre ou un psychologue. C’est dommage. »

 

Les établissements peuvent mieux faire

La FHF a reçu 172 réponses à un questionnaire envoyé en 2015 à 1200 établissements sanitaires et médico-sociaux. Elles montrent que :

  • 32% des établissements ont mis en oeuvre une charte de la laïcité
  • 22% ont un correspondant laïcité
  • 11% mettent en place une formation pour leurs professionnels
  • 61% disposent d’un lieu multicultuel
  • 32% des établissements déclarent des situations problématiques avec des usagers (respect des croyances, pratique du culte, prosélytisme)
  • 20% déclarent des situations problématiques avec des professionnels (signes extérieurs, tensions communautaires et sur les fêtes religieuses)

La situation est moins bonne dans les établissements médico-sociaux que dans les établissements sanitaires ou mixtes.

 

Philippe Deboosere, référent laïcité au CH de Valenciennes

Directeur adjoint du CH de Valenciennes, il a été nommé référent laïcité de l’établissement avant la parution du rapport, en mars 2015. « Il y a peu de problématiques liées à la laïcité dans notre hôpital, estime Philippe Deboosere, et les questions qui se posent son réglées par le dialogue. Mais la direction générale a souhaité trouver avec les équipes médicales, soignantes et administratives, en association avec les représentants des cultes, des point de convergences de pratiques professionnelles et éviter les divergences. »

Tous les agents peuvent faire appel à lui en cas de besoin. Une note de service les informe tous de son rôle. Il l’a aussi expliqué à tous les responsables de pôles, qui lui ont confié leurs questionnements.

Le référent réunit régulièrement les représentants du comité d’éthique de l’hôpital, des soignants, des médecins, de la DRH et les deux aumôniers au sein d’un un comité de pilotage qui examine les questions soulevées. « Nous avons l’objectif de constituer un guide comprenant des préconisations », explique Philippe Deboosere. Ce dernier n’a pas encore suivi de formation spécifique et apprécierait de pouvoir échanger avec d’autres référents laïcité… mais constate qu’ils sont encore bien rares. La FHF préconise pourtant dans son rapport de 2015 de nommer des référents laïcité dans les hôpitaux, éventuellement de manière mutualisée

Références

  • Article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »

  • Circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé

  • Loi du du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires

  • Guide Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements de santé de l’Observatoire de la laïcité (février 2016)

  • Guide de l’Ordre des médecins de Haute-Garonne sur la laïcité (octobre 2015)

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7 réactions

  1. Nicolas Roux

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  2. Eden:

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  3. Alex Vandenbussche

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  4. Omar m’a tué ! de rire …

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  5. Salut les bouffons de l état, je vois que vous êtes encore dans l hypnose de masse avec vos sujets bidons dont tout le monde se secoue le haricot !!!! Vous comptez dénoncer quand les contrats précaires et illégaux que s octroie l état??? Hein les cdd d un mois renouvelables ad vitam eternam…. A l échelon 1 pour tout le monde sans tenir compte de l expérience du professionnel… Nous préparons une action de masse contre l état et on essaiera de s occuper de vous au passage, traîtres que vous êtes !!

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