Annualisation du temps de travail à l’hôpital : Entre abus et ras-le-bol

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Infirmiers à temps partiels travaillant à 150% pendant 4 mois puis presque plus le reste de l’année, compteurs d’heures supplémentaires qui explosent, rappels récurrents sur les jours de repos, irrégularités dans les plannings… Depuis l’annualisation du temps de travail dans la fonction publique hospitalière en 2002, les hôpitaux contournent habilement la loi en matière de droit des agents.  Côté  salariés et syndicats, le ras-le-bol est à son paroxysme.

Pour le meilleur et pour le pire

« Si les nécessités d’assurer la continuité du service l’imposent, le chef d’établissement peut modifier la répartition des horaires de travail d’un agent ».

Voilà un extrait qui revient souvent  dans le décret [1] relatif au temps et à l’organisation du travail de la fonction publique hospitalière… et qui arrange bien les directions en leur permettant de rappeler les soignants n’importe quand et n’importe comment. Et ce, malgré tout ce qui légifère le rythme de travail et les heures supplémentaires.

« C’est simple, le planning est adapté aux besoins du service et non aux droits de l’agent » regrette Nathalie Depoire, présidente de la Coordination Nationale Infirmière. Alors que la loi n’autorise pas plus de 15 heures supplémentaires par mois [2], les soignants seraient souvent contraints d’en effectuer bien davantage, sans mettre pour autant leur hiérarchie dans l’embarras.

« L’hôpital joue avec les mots. En créant différents compteurs d’heures annexes qui n’ont aucun cadre réglementaire, il contourne le système pour que les infirmières puissent faire bien plus que ce qui est autorisé » explique la syndicaliste.

Et depuis l’annualisation – qui définit un temps de travail sur une année [3] et non sur un mois -,  sur le terrain, plus que les heures supplémentaires effectuées – parfois sans récupération ni indemnisation – , c’est l’irrégularité dans les plannings qui semble gêner.

Philippe*, infirmier de nuit au Centre Hospitalier de Belfort-Montbéliar, témoigne. « J’ai fait 14 nuits en 4 mois. Puis au mois d’août, en un seul mois, j’en ai fait 16 ! Il y avait beaucoup d’absences et de départs en congés. Le problème, c’est que cela demande une organisation personnelle impossible et que ça peut entraîner des frais supplémentaires. Je paye la nounou de mes enfants au forfait. Si je fais plus d’heures, elle aussi. Si j’en fais moins, je dois tout de même la rémunérer ».

Même constat du côté de Montpellier. Sylvie est infirmière à temps partiel. Pour s’occuper de ses deux enfants, elle a pris un 80% parental. « Au mois de janvier, j’ai fait un plein temps en travaillant plusieurs dimanches consécutifs. Au mois de mai, je n’ai même pas travaillé à 40 %. Les enfants à l’école, cela ne me servait vraiment à rien » explique-t-elle.

L’annualisation en cause d’une telle irrégularité? Certainement selon Nathalie Depoire. « Cela aurait pu être positif, si le temps de travail était proratisé, si les amplitudes de repos et le rythme de travail étaient respectés. La réalité est bien éloignée de tout cela ».

Des abus de tous genres

« On est solidaire. Quand on voit les collègues surchargées, on accepte de revenir ». Christiane est infirmière depuis 30 ans, au CHU d’Aix-en-Provence. Régulièrement, elle accepte de « dépanner », au détriment de sa vie personnelle.

Jamais ne lui viendrait l’idée de se plaindre ou de se retourner contre sa hiérarchie. « Les supérieurs hiérarchiques jouent avec la corde sensible des infirmières : la conscience professionnelle. Altruistes de nature, les soignants connaissent davantage leurs devoirs que leurs droits. Pourtant, chaque infirmière pourrait aller devant le tribunal administratif en fin d’année avec son stock d’heures. Cela créerait ainsi une jurisprudence et pourrait faire évoluer les choses » explique Nathalie Depoire.

D’un point de vue légal, et même si le décret autorise beaucoup de dérives pour assurer la continuité des soins, il y des règles qui ne peuvent être contournées. « En ce qui concerne les heures supplémentaires, en général les infirmières ont gain de cause. Lorsque les agents nous demandent conseil, nous leur suggérons de solliciter leur direction, par le biais d’un syndicat ou du CHSCT. Et si ça n’aboutit pas, on pourra alors les accompagner jusqu’à la voie contentieuse », explique une juriste en droit hospitalier. «  Il faudra surtout pouvoir démontrer le caractère abusif des mesures. Par exemple, si c’est toujours la même infirmière que l’on sollicite ».

Un sentiment d’injustice qui pourrait parfois être résolu par des méthodes alternatives de management, selon certains directeurs des soins.  « Je suis pour un modèle participatif. Il faudrait désigner un soignant référent chargé du planning dans les services. Les infirmiers se débrouilleraient entre eux, puis feraient valider le planning par le cadre » explique J.F Zimmermann, directeur des soins du CHU de Toulouse.

A noter que les logiciels de planning, souvent mis en cause dans la gestion des heures, ne seraient en aucun cas responsables des incohérences d’emploi du temps dans les services. Et Nathalie Depoire de conclure « Un logiciel est un outil paramétrable. C’est un peu trop facile de faire porter le chapeau à un outil.»

Malika Surbled

* Afin de respecter l’anonymat, les prénoms des infirmiers interrogés ont été modifiés. 

Ce que dit la loi : Extraits 

[1] Décret n°2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l’organisation du travail dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

[2] Extrait de l’article 15 : Lorsque la durée du cycle de travail est inférieure ou égale à un mois, le nombre d’heures supplémentaires susceptibles d’être effectué par mois et par agent ne peut excéder 15 heures. Ce plafond mensuel est porté à 18 heures pour les catégories de personnels suivantes : infirmiers spécialisés, cadres de santé infirmiers, sages-femmes, sages-femmes cadres de santé, personnels d’encadrement technique et ouvrier, manipulateurs d’électroradiologie médicale. Lorsque la durée du cycle de travail est supérieure à un mois, ce plafond est déterminé en divisant le nombre d’heures supplémentaires susceptibles d’être effectuées dans l’année par 52 et en multipliant ce résultat par le nombre de semaines que compte la durée du cycle de travail.

En cas de crise sanitaire, les établissements de santé sont autorisés, par décision du ministre de la santé, à titre exceptionnel, pour une durée limitée et pour les personnels nécessaires à la prise en charge des patients, à dépasser les bornes horaires fixées par le cycle de travail.

[3]  Extrait de l’article 1 : Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d’une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d’être effectuées.

Article 9 : Le travail est organisé selon des périodes de référence dénommées cycles de travail définis par service ou par fonctions et arrêté par le chef d’établissement après avis du comité technique d’établissement ou du comité technique.

Le cycle de travail est une période de référence dont la durée se répète à l’identique d’un cycle à l’autre et ne peut être inférieure à la semaine ni supérieure à douze semaines ; le nombre d’heures de travail effectué au cours des semaines composant le cycle peut être irrégulier.

Il ne peut être accompli par un agent plus de 44 heures par semaine.

Les heures supplémentaires et repos compensateurs sont décomptés sur la durée totale du cycle. Les repos compensateurs doivent être pris dans le cadre du cycle de travail.

Voir les commentaires (37)

  • Je travaille en ehpad et je viens de me taper 72h de travail consécutives ce WE sans repos compensateur.. Aucun !
    J arrête à 13h et reprends ce soir à 21h...
    J en peux plus... Quel sont mes recours?
    Je n ai plus de vie.

  • bonjour à tous
    je viens de quitter le monde hospitalier avant d'y mettre une bombe !! lol mais avant de partir je suis allée dire mes 4 vérités à une DSI qui prenait les agents pour de la m.... et n'avait aucun respect ni humanité..........
    une seule chose pour changer les choses : ENLEVEZ VOTRE CORNETTE, FAITES RESPECTER VOS DROIT, SYNDIQUEZ VOUS ET OSEZ DIRE NON !!!!!!!!!!!!!!!!
    arrêtez de croire que vous faîtes des heures supp, que vous revenez sur vos co, Ca, RTT par conscience professionnelle..........vous faîtes tourner le système et les directions en profite !!!
    vous n'êtes pas obligé de donner vos numéros de téléphone, vous avez le droit de refuser, vous avez le droit de ne pas être d'accord, vous avez le droit de dire NON !! VOUS AVEZ UNE VIE !
    IL FAUT SE REVOLTER CONTRE CELA ce n'est pas normal
    UN PEU DE SOLIDARITE ENTRE COLLEGUE ET DESCENDONS DANS LA RUE........mais après 10 ans de syndicalisme et lutte dans mon hôpital je n'y crois plus.............pourtant il n'y aura que ça qui fera bouger les choses
    bon courage

  • Venez travailler en libéral sur la Côté d'Azur, nous recherchons constamment des IDE.
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  • Moi aussi, je suis en colère. Je suis également fonctionnaire et annualisée.
    Nous faisons environ 20 jours ou nuits de 12h30 pour 4 semaines de travail lorsqu'on est à plein temps et presque pareil pour les temps partiels.
    Notre service est en permanence en sous effectif.
    Malheureusement, j'ai subit le saut de congé. j'ai des heures à récupérer à gogo. J'ai encore 4 semaines de CA à poser.
    Mais après un mois de 190h travaillé, j'ai eu un accident du travail. Entorse de la cheville avec arrachement osseux. Je peux vous assurer que je douille. Au travail, je faisais environ 10 km par jour et maintenant, j'arrive pas à aligner 1 km sans douleur et boiterie.
    Je ne sais pas si je vais pouvoir reprendre un jour dans des bonnes conditions. Je porte toujours une attelle.
    Jusqu'à mon arrêt, j'étais une ide hyperactive et maintenant je me sens boulet sans même avoir repris.
    Mon corps a su me dire stop mais à quel prix.
    Il y a quelques années dans mon ancien service, nous étions tellement en sous effectif que pareil, j'effectuais un 150% avec de rare repos. Cette année là j'avais touché le pactole en heures supp. Après une vie d'étudiante au RMI, j'étais naïvement contente. Mais les impots ont adoré me cueillir. J'ai payé pas loin de 2500€ d'impots sur le revenu rien que pour les heures sup car elles étaient imposable. Sarjo n'avait pas eu encore ça brillante idée.
    Aujourd'hui, j'ai 4 semaines de congé à poser, 140h d'heures sup et je suis en arrêt pour accident du travail. Et comme je suis en arrêt j'ai un salaire de misère 1365 € net pour une ancienneté de 4 ans titulaire en catégorie B. J'attends toujours la reprise de mon ancienneté d'étudiante et d'AS.
    Bref, j'ai l'impression d'être trop bonne, trop conne et certainement pas nonne.
    Mily

  • Des solutions existes, la preuve la CFDT Santé-Sociaux a fait condamner 2 fois le Centre Hospitalier de l'Agglomération de Nevers, pour ce genre de pratiques, au TA de Dijon; la dernière étant au mois de juin!

  • http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/grande-consommation/actu/0202282808610-l-hopital-ne-parvient-plus-a-reduire-son-deficit-364744.php

    L'hôpital ne parvient plus à réduire son déficit

    Par Vincent Collen | 24/09 | 07:00

    extrait :

    Dans les CHU, la hausse a même été limitée à 1,3 %. Etant donné l'évolution naturelle des rémunérations dans la fonction publique hospitalière, cette très faible augmentation est le signe d'une compression des effectifs, même si aucun chiffre n'est encore disponible pour le confirmer. Certains établissements ne remplacent plus tous les départs afin de réduire leur déficit, les salaires représentant près des deux tiers de leurs charges.

  • j'ai été infirmière de 1992 à 2005 à temps plein d'abord en trois 8 matin garde nuit (8h) puis 12h jour nuit puis de nuit en 12h puis de nuit en 10h..................L'avantage des 10h et des 12h ce sont les plannings fixes d'années en années on savait qui de l'équipe a ou b travaillait à telle ou telle fête................Peut-être une solution pour réglé les problèmes de planning!!!!!!!!!!??????????????Puis pour des raisons de santé après un long congé je me suis retrouvé à temps partiel quelle galère!!!!!!!!!!!!...................depuis 2009 cld!!!!!!!!!!!!!!!!Bon courage à celles et ceux qui sont toujours dans la partie mais battez vous notre profession est en danger et c'est un beau métier!!!!!!!!!!!!!!

  • j'ai été infirmière de 1992 à 2005 à temps plein d'abord en trois 8 matin garde nuit (8h) puis 12h jour nuit puis de nuit en 12h puis de nuit en 10h..................L'avantage des 10h et des 12h ce sont les plannings fixes d'années en années on savait qui de l'équipe a ou b travaillait à telle ou telle fête................Peut-être une solution pour réglé les problèmes de planning!!!!!!!!!!??????????????Puis pour des raisons de santé après un long congé je me suis retrouvé à temps partiel quelle galère!!!!!!!!!!!!...................depuis 2009 cld!!!!!!!!!!!!!!!!Bon courage à celles et ceux qui sont toujours dans la partie mais battez vous notre profession est en danger et c'est un beau métier!!!!!!!!!!!!!!