Les infirmiers exerçant en psychiatrie réclament une prime de risque

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Depuis décembre, une pétition circule pour demander une prime de risque à destination des soignants de psychiatrie. Une forme de reconnaissance des risques rencontrés au quotidien ?

©fullempty/ShutterStock

« Je signe parce que je suis infirmière en psychiatrie. La prime de risque serait largement légitime au vu du nombre de coups (verbaux, physiques…) que nous subissons »,  « le travail en psychiatrie comporte des risques évidents. La vigilance des équipes à tout moment doit être reconnue ». Voici quelques commentaires postés sous une pétition en ligne mi-décembre 2023, qui demande une prime de risques pour les personnels soignants exerçants dans des établissements psychiatriques. Près de 2 500 signatures ont été d’ores et déjà apposées, l’objectif est de 5000 signataires.

Banalisation de la violence ?

Derrière l’initiative, une démarche collective de plusieurs soignants dont Aziza, une infirmière parisienne, qui exerce en psychiatrie.

Les violences au quotidien, qu’elle vit ou que ses collègues rencontrent, elle en a de nombreux exemples. Et cela a commencé dès le début de sa carrière : elle se souvient bien de sa première gifle. « Je me suis sentie humiliée », se rappelle-t-elle.

Sa cadre de l’époque lui avait bien dit que cela pouvait se reproduire. Elle ne se trompait pas. Tout son parcours a d’ailleurs été jalonné d’incidents, jusqu’aux plus graves. Récemment dans son établissement, une patiente a réussi à s’enfermer dans sa chambre, et y a mis le feu.  Une ASH s’est précipitée, mais la  patiente était tétanisée. Deux collègues infirmières sont arrivées, l’ont extirpée mais ont inhalé des fumées et ont dû se rendre aux urgences. « On nous a dit : ‘’vous êtes des héros’’, mais on nous refuse la prime », déplore-t-elle.

Car ces dangers ne sont pas exceptionnels. À ses yeux, ils sont même largement sous-évalués, estime aussi Julia, une autre infirmière en psychiatrie. « Concernant les passages à l’acte, en théorie, il faut écrire une fiche événement indésirable après chaque occurrence, mais on n’en fait pas assez, cela prend du temps et le questionnaire est hyper large. Cela remonte au service qualité mais rien n’est jamais fait ».

Hypervigilance constante

Ce climat implique une hypervigilance constante. « Quand le bip sonne, on file, on se dépêche, car peut-être qu’une collègue est en train de se faire casser la gueule. On est constamment sur le qui-vive », relate Aziza, qui emporte avec elle, le soir venu, des images traumatisantes de la journée.

« On n’est pas préparé à ce que l’on peut être amené à voir : je pense à cette patiente, une professeure d’anglais qui entendait des voix. À son arrivée, elle est mise en chambre. Quand j’y suis retournée, elle s’était énuclée (injonction hallucinatoire). Ce fut une vision d’horreur. En psy, les situation d’urgence sont imprévues et elles peuvent être choquantes ».

Revaloriser des salaires trop bas

L’épisode de l’incendie a motivé Aziza à écrire un courrier à son directeur d’établissement, pour demander une prime de risque pour les soignants. Il a répondu, sans se positionner sur la « légitimité de la demande » que le « cadre légal » du décret du  2 janvier 1992 ne lui permettait pas d’y accéder [le décret recouvre seulement la prise en charge des patients incarcérés ou passant par les urgences, ndlr]. Pourtant, estime Aziza, « les patients les plus difficiles, en UMD, passent d’abord par nous. Des patients incarcérés ou sous bracelet électronique, on les rencontre aussi ».

Concernant la prime de risque, ces deux infirmières trouvent que certains syndicats manquent de poigne. Leur conseil ? À elles de se mobiliser, de manière nationale. « Mais à Paris, on est déjà l’épicentre de la prise en charge » donc quoi faire de plus ? « Déjà que je gagne une misère, il faudrait en plus que je perde de l’argent en manifestant ?», interroge Aziza.

À titre comparatif, la prime de risque touchée aux urgences est de 100 euros mensuels, de 234 euros pour les soignants en UMD, ce qui s’explique par la dangerosité des patients. Aziza estime donc que si ses collègues et elle touchaient également une prime, le montant ne serait pas très élevé. « Ce serait une façon de reconnaître que oui, nous avons des patients difficiles, que oui, et que ce n’est pas normal de travailler dans la galère ».

Pour François Martineau, infirmier en psychiatrie et membre du SNPI, la prime est « une fausse bonne idée » : accepter une prime signifierait aussi accepter la violence et in fine, accepter de « se taire ».

En revanche, il partage avec Aziza et Julia l’envie de voir les salaires revalorisés. En attendant, et même si cette prime n’est qu’un « pansement sur une jambe de bois », estime-t-il, elle serait la bienvenue, car les salaires ne sont pas à la hauteur des risques rencontrés. Aziza gagne 2 300 euros. Julia, elle, est payée 2 100 euros après 17 ans d’ancienneté. « Dans mon établissement, on nous dit : ‘’ Si vous n’êtes pas assez bien payée, faites des heures supplémentaires’’, raconte Aziza. Mais nous les agents, on aimerait juste être bien payés et ne pas travailler tous les week-ends pour compenser ».

Certes, la loi de 1992 ne les inclut pas. Les directions se retranchent derrière un argument administratif, disant que « ça se joue du côté du ministère. Mais une loi, ça se change », argue Julia, déterminée.

Delphine Bauer

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Voir les commentaires (1)

  • courage à tous ces professionnels qui exercent dans ces milieux tres tres difficiles;
    il faut en effet faire considerer ces situations complexes d'exercise;