À la Réunion, les infirmiers viennent des airs

Dans le cirque de Mafate, accessible uniquement à pied ou par hélicoptère, vivent environ 750 réunionnais. Deux infirmiers viennent chaque lundi en hélicoptère jusqu’au vendredi après-midi pour assurer les soins de la semaine.

Le soleil cogne déjà contre les vitres de l’hélicoptère bleu azur d’Hélilagon. À son bord Jérôme Maillot et Nathalie Grondin, les deux infirmiers de Mafate, et Marie-Laure Cartier, la médecin de la mission du jour. À 7 h 45, ils se sont arrachés du tarmac de l’Éperon, une petite commune des « bas » de l’île en direction des reliefs de Mafate. Survolant la savane aride, ils ne tardent pas à surplomber les forêts luxuriantes des hauts puis les gigantesques remparts abrupts qui entourent le cirque. En quelques minutes, ils atteignent le terrain de foot de La Nouvelle, l’îlet (hameau) le plus peuplé de Mafate à 1 600 m d’altitude.

Afin d’assurer les soins de premier recours aux habitants de ce cirque, au coeur du Parc National de la Réunion, une organisation bien particulière a été mise en place. Des dispensaires estampés « CHU de la Réunion », dans sept hameaux différents et deux infi rmiers assurent la présence sanitaire du lundi au vendredi, sur les secteurs nord et sud du cirque. En complément, les lundis et vendredis matin, un médecin généraliste vient consulter les patients. Au total, chaque résident peut voir un médecin dans son îlet une fois par mois.

En hélico… et à pied

Aucune route ne traverse ce chaudron naturel bordé de remparts de plus de 1 000 mètres, dominé par le piton des Neiges, et les seuls accès sont la voie des airs depuis le littoral ou la marche depuis les cirques voisins de Cilaos ou Salazie. Depuis 2015, Mafate est classée en « zone fragile ». Aucun médecin n’exerce dans le cirque à l’année et les neuf îlets du cirque sont souvent à plusieurs heures de marche les uns des autres. Compte-tenu de la présence ponctuelle, l’accent est mis sur la prévention et le dépistage. « Ici on fait tout ce qui est simple : prises de sang, frottis de dépistage, pose d’implant ou de dispositif intra-utérin, délivrance des traitements chroniques… », indique Jérôme. Mais dès qu’il faut une radio, des soins de kinésithérapie ou des soins dentaires, tout se passe dans « les bas ».

Jérôme Maillot, 58 ans, était infirmier au SMUR de Saint-Denis, la capitale. Pour la fin de sa carrière, il rêvait d’une autre situation, car « la fatigue de l’alternance entre travail nocturne et diurne devenait pesante ». Alors que le poste occupé par Nadège Guichard sur le secteur nord du cirque allait devenir vacant, Jérôme a sauté le pas. Ancien traileur, trois fois coureur de la Diagonale des Fous, il marche régulièrement plusieurs heures par jour pour « rendre visite à des patients ». « Je suis revenu au début, lorsqu’il y avait la campagne de vaccination, et postuler est devenu évident. Mes enfants sont grands, j’étais libre », raconte-t-il.

C’est le tourisme des randonneurs qui fait vivre le cirque et une partie de l’île : environ 90 000 touristes passent chaque année sur les sentiers de Mafate. Mais la population du cirque est précaire et le taux de chômage avoisine les 36 % d’après les estimations du TCO, la communauté de communes.

La pratique du tiers payant intégral, héritage d’une ancienne pratique destinée à améliorer la santé publique sur l’île, est courante depuis plus de quinze ans. En venant au dispensaire, les mafatais n’ont rien à débourser et les refus de soins pour raisons financières sont devenus rares.

Textes et photos : Bastien Doudaine/Hans Lucas

Marie-Michelle Gaze, 67 ans, une patiente, rejoint l’hélicoptère sur le terrain de foot de La Nouvelle, pour se rendre à une consultation cardiologique au CHU. C’est dans ce même bimoteur qu’arrivent les deux infirmiers, Nathalie Grondin et Jérôme Maillot, et la médecin, Marie-Laure Cartier, venus pour assurer la mission médicale au dispensaire de l’îlet. © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Nathalie Grondin est infirmière au SAMU de la Réunion. Durant les congés d’un de ses deux collègues, elle assure le remplacement et la continuité des soins. Lors des missions de consultation, les lundis et vendredis, elle consulte avec la médecin, participe à la distribution des médicaments venus par hélicoptère. Ils ont une réserve de produits de première nécessité, mais « la difficulté c’est lorsqu’il y a une épidémie de conjonctivites, on va avoir des collyres pour 3 à 4 personnes, mais pas plus ». © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Sur un sentier escarpé, Annaëlle Cann « a senti sa cheville se dérober. On m’a conseillé de passer la nuit ici » . Le peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) intervient fréquemment pour secourir les randonneurs blessés, créant une tension avec les mafatais qui disent devoir parfois insister pour avoir l’hélicoptère en situation d’urgence. © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Jérôme Maillot, l’infirmier titulaire du secteur nord, prend la tension artérielle d’un des patients. « Le diabète et les maladies cardiovasculaires sont présents comme dans “les bas”, malgré l’activité physique plus importante ici » · D’autres problématiques sont plus spécifiques comme « les ménisques usés par les forts dénivelés, le dos cassé à force de se baisser pour cultiver les haricots ou des bronchites chroniques liées à la cuisine au feu de bois ». © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Les prélèvements sanguins faits au dispensaire sont héliportés. Mais pour tous les autres examens médicaux, comme les radios ou IRM, les rendez-vous sont pris par les infirmiers dans les établissements des bas. « Le plus compliqué, c’est quand on a des séances de kiné à faire, il faut alors descendre dans “les bas” plusieurs semaines, être hébergé par la famille… » confie une mafataise venue en consultation. © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Aux Orangers, un autre îlet, un second médecin, le Dr. Thierry Maillot accompagne les deux infirmiers en fin de semaine. Généraliste dans un cabinet “des bas”, il rejoint l’îlet une fois par mois depuis plus de quinze ans. Les consultations le challenge un peu : « je ne réfléchis pas comme dans les bas. Par exemple pour les patientes atteintes d’une infection urinaire, on ne peut pas faire d’ECBU, alors on s’adapte. » © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Médecin généraliste, Marie-Laure Cartier participe aux missions depuis plus de quatorze ans. Présente une seule fois par mois à La Nouvelle, elle insiste « sur la prévention »· Elle connaît bien les Gravina, qui, « comme de nombreux mafatais, tiennent un gîte de randonnée » · Jérémy, sept ans, est suivi pour des troubles du langage. À Mafate, l’orthophoniste fait ses séances à distance, « en visio, à l’école, après un bilan en face à face ». © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Entre les deux missions médicales des lundis et vendredi, seuls les deux infirmiers restent dans le cirque. Leur rôle est primordial, notamment pour les habitants les plus âgés : « Certains ne peuvent plus prendre l’hélicoptère, il n’y a que nous qui les voyons de temps en temps ». Quelques années auparavant, une expérience de téléconsultation a été tentée afin de diminuer les interventions urgentes héliportées. Insuffisamment efficace, elle a rapidement été abandonnée. © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Jérôme retire les points de Jean-Benjy mordu par un de ses chiens quelques jours auparavant. Le jeune homme avait été héliporté en urgence par le PGHM. Habituellement, ils se débrouillent par eux-mêmes, récupèrent les médicaments nécessaires au dispensaire d’îlet à Malheur, ou utilisent les « plantes médicinales des environs », pour les « problèmes féminins par exemple. » © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore
Jérôme rentre en hélicoptère après cinq jours bien remplis dans le cirque. Au total, il aura parcouru plus de 20 km à pied et plus de 2000 mètres de dénivelé pour rendre visite aux patients mafatais, en plus des deux matinées de mission médicale. Il n’a que le week-end pour revoir ses proches, mais « ce train de vie lui convient bien » et il compte « finir sa carrière à Mafate. » » © Bastien Doudaine/Hans Lucasmore

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