Escarres : l’échelle de Braden un moyen d’action pertinent pour prévenir les escarres

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L’escarre apparaît en quelques heures. Cette maladie chronique entraîne de nombreux problèmes en termes de qualité de vie du patient ainsi qu’une une souffrance morale et physique. L’utilisation d’outils simples tels que les échelles d’évaluation du risque d’escarre peuvent permettre d’identifier les personnes à risque et de cibler des actions préventives et personnalisées.

L’European Pressure Ulcer Advisory Panel (EPUAP) et l’American Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP) ont apporté une définition commune de l’escarre [1]. Aussi appelée « ulcère de pression » ou « ulcère de décubitus », l’escarre est définie comme étant une lésion cutanée d’origine ischémique, localisée au niveau de la peau ou des tissus mous sous-jacents et située en général sur une saillie osseuse. Elle est le résultat d’un phénomène de pression ou de pression associée à du cisaillement.

Selon les études, la prévalence des escarres varie en fonction des populations étudiées (médecine, chirurgie, réanimation, domicile, EHPAD) et des méthodologies utilisées et notamment de la prise en compte ou pas de l’escarre de stade 1. Dans une étude nationale de prévalence réalisée en France en 2004 auprès de patients hospitalisés, les résultats ont montré un taux de prévalence de 8,9 % [2]. Cette prévalence augmente avec l’âge – 50 % des escarres surviennent après 80 ans – et l’incidence varie en fonction des sites : 0,4 % à 38,0 % à l’hôpital, 2,2 % à 23,9 % en Unité de soin de longue durée (USLD), 0 % à 17 % en Ehpad ou domicile [3].

Ces taux restent stables et pourtant l’escarre est une maladie qui se prévient et qui peut être évitée dans de nombreux cas.

Prévalence : nombre de patients porteurs d’escarre un jour donné.
Incidence : proportion de patients qui développent une escarre pendant leur séjour.

Les freins aux mesures de prévention des escarres

Selon l’article R4311-5 du code de la santé publique, la prévention et les soins d’escarres relèvent du rôle propre de l’infirmière. « La réalisation de soins à visée préventive » est citée dans le Référentiel d’activités de la profession infirmière (activité 5 : « Soins et activités à visée préventive, diagnostique, thérapeutique »).

L’escarre est trop souvent le résultat d’une négligence du patient et/ou de son entourage soignant dans l’évaluation du risque de survenue et sa prévention. En effet, nous pouvons constater, de la part des soignants, un manque de formation, de temps, de ressources humaines et matérielles. De la part du patient, nous pouvons noter un manque d’information et d’éducation thérapeutique. Il ne participe pas suffisamment et subit trop souvent les mesures de prévention sans en comprendre l’importance.

Escarres : connaître les facteurs de risque

Les facteurs mécaniques ou extrinsèques

L’escarre résulte d’un phénomène de pression ou de pression associée à du cisaillement auquel peut se rajouter la friction et la macération [4]. L’immobilité et l’incapacité de se mouvoir au lit ou au fauteuil risquent d’entraîner une escarre.

Les facteurs cliniques ou intrinsèques

La dénutrition provoque une perte de masse grasse et de masse maigre. L’humidité provoque une macération qui fragilise les tissus cutanés. Les modifications de l’état de la peau, principalement liées à l’âge, peuvent être en cause dans la survenue d’escarre. Selon l’âge, il existe une diminution du renouvellement des cellules, de la vascularisation et de la sensibilité. La neuropathie est aussi responsable d’une perte de sensibilité.

Il existe d’autres facteurs : antécédent d’escarre, déshydratation, certaines maladies aiguës, pathologies chroniques graves, phase terminale de pathologies graves…

Les principales localisations des escarres en décubitus dorsal, latéral et en position assise

Escarres : évaluer le patient à risque par l’échelle de Braden

Bien souvent, le jugement clinique suffit pour identifier le patient à risque d’escarre. Néanmoins, il doit être associé à une évaluation à l’aide d’échelle de facteurs de risque. Cela permet d’évaluer la sévérité de ces facteurs et de déterminer si le patient est à risque faible, modéré ou sévère de développer une escarre. Il existe plusieurs échelles anglo-saxonnes et francophones : Norton, Waterlow, Peupliers/Gonesse, Angers.

En France, l’échelle de Braden (cf. tableau) est celle retenue par la conférence de consensus en 2001 [5]. Elle comporte six items affectés d’un score de 1 à 3 ou 4, deux items évaluant les facteurs de risque cliniques ou intrinsèques (perception sensorielle et état nutritionnel) et quatre items pour les facteurs de risque mécaniques ou extrinsèques (humidité, activité, mobilité, friction et cisaillement). Le score total est de 23 points. Plus le score est bas, plus le patient est à risque.

Echelle de Braden

Perception sensorielle Humidité Activité
1 Absente
2 Très limitée
3 Légèrement limitée
4 Non altérée
1 Constante
2 Très humide
3 Parfois humide
4 Rarement humide
1 Alité
2 Chaise
3 Marche rare
4 Marche fréquente
Mobilité Nutrition Friction/cisaillements
1 Immobile
2 Très limitée
3 Légèrement limitée
4 Non altérée
1 Très pauvre
2 Inadéquate
3 Adéquate
4 Excellente
1 Problème
2 Problème potentiel
3 Pas de problème

Patient à risque si score à 17
6 – 12 = risque très élevé
13 – 14 = risque modéré
15 – 16 = risque léger

Escarres : utiliser cette échelle de Braden de manière plus pertinente

Il s’agit de déterminer les actions pratiques de prévention à mettre en place en fonction du résultat obtenu à chaque item. L’état physique, psychologique et le manque de motivation à participer aux soins sont à prendre en compte.

[dropshadowbox align= »none » effect= »lifted-both » width= »auto » height= » » background_color= »#ffffff » border_width= »1″ border_color= »#dddddd » ]Un test simple permet de reconnaître les premiers signes d’escarre. Si, après une légère pression avec le doigt sur la zone de rougeur, une marque blanche apparaît puis redevient rouge, il n’y a pas d’escarre. Si la peau reste rouge, c’est un début d’escarre (stade 1)[/dropshadowbox]

Perception sensorielle

Il s’agit de la capacité à répondre de manière adaptée à l’inconfort provoqué par la pression. Cette perception, plus ou moins limitée, est parfois difficile à évaluer (voir tableau 1).

Tableau 1 : Perception sensorielle

Pallier au défaut de perception sensorielle
Actions
Observer et repérer les sources de douleurs et d’inconfort attribuées à des lésions de pression : plis des draps, matériels tel que les tubulures, les sondes, les orthèses…
• Fixer la sonde urinaire sur l’abdomen chez l’homme et sur la cuisse chez la femme
• Mettre un hydrocolloïde EM ou les frottements des tubulures
Patient non communiquant moteur (neurosédaté, AVC, neuropathie sensitive,…)
• Surveiller chaque point d’appui à chaque changement de position
Douleur, agitation, plainte Choisir une échelle d’évaluation de la douleur :
– auto-évaluation pour patient communiquant (EVA, EN, EVS,…)
hétéro-évaluation pour patient non communiquant (ECPA, Algoplus, EOC,…)

Humidité

Trop souvent le soignant évalue l’incontinence urinaire et/ ou fécale alors qu’il s’agit d’évaluer l’humidité de la peau au contact de la transpiration, de l’urine… (voir tableau 2)

Tableau 2 : Humidité

Maintenir l’intégrité cutanée Actions
Maintenir l’hygiène cutanée
• Laver à l’eau et au savon, bien rincer et bien sécher en tamponnant, sans frictionner
Hydrater la peau
• Utiliser des produits émollients
Protéger la peau
• Utiliser des crèmes barrières, des protecteurs cutanés..
Eviter la macération (transpiration, urines, selles,…)
• Choisir des protections anatomiques adaptées
• Mettre des étuis péniens, des changes de nuit même le jour (si la diurèse est importante)
• Noter le nombre de change/J et le nombre de literie changée/J
• Réguler l’élimination fécale si la constipation est responsable de fausses diarrhées (lavement, modification de l’alimentation,…)
Surveiller la peau Palper la peau et noter les érythèmes, la macération, l’induration, la chaleur et la douleur
• Savoir reconnaître l’escarre de stade I
• Savoir reconnaître une dermite associée à l’incontinence (DAI)

Activité et degré d’activité physique

Cet item est à corrélé avec la mobilité. Un patient peut être alité 24h/24 et peut néanmoins être capable de faire des changements de position, seul ou avec aide. Le kinésithérapeute et l’ergothérapeute sont des aides précieuses (voir tableau 3).

Tableau 3 : Activité et degré d’activité physique

En fonction du % d’activité Actions
Apprentissage et stimulation
• Exercice d’auto-soulèvement, aider et inciter à la marche
Choix du chaussage
• Chaussure adaptée (décharge talonnière en cas d’escarre talonnière,…)
Choix du fauteuil
• Fauteuil standard ou confort adapté selon le déficit : avec bascule d’assise et bascule du dossier à 30° puis à 60°, accoudoir, gouttière, repose pied
• Changement de position (position droite ou relax)
Choix du coussin Coussin d’aide à la prévention (aide au choix Avis de la commission HAS 2009) [6]

Mobilité : capacité à changer et à contrôler la position du corps.

L’immobilité est un facteur prédictif de survenue d’escarre. Il est donc primordial de mobiliser le patient afin de diminuer ou de soulager la pression appliquée à la peau. Selon l’état du patient, il convient de programmer des changements de position. Les repositionnements peuvent être difficiles selon l’état cognitif du patient, les déformations osseuses, la rétraction, l’hypertonie déformante acquise… Le choix du matériel d’aide à la prévention se fait en fonction du niveau du risque d’escarre, de la pathologie, du confort, du poids du patient [6] (voir tableau 4).

Tableau 4 : Mobilité : capacité à changer et à contrôler la position du corps

Diminuer la pression Actions
Mobiliser le patient ou l’encourager à se mobiliser
• Changement de position
– décubitus latéral à 30° : dégager l’épaule, passer la jambe de dessus en avant, installer une cale de positionnement dans le dos et un oreiller entre les cuisses et les jambes
– décubitus dorsal semi-ower 30°
• Une feuille de positionnement permet de tracer les heures et les types de positionnement
Choisir le matériel d’aide aux positionnements
• Cale de positionnement latéral
• Décharge talonnière sous les jambes jusqu’à l’articulation du genou
➡ Risque d’escarre sacrée et risque de flexum du genou si le coussin sous les mollets est trop haut
Choisir le matelas Support statique ou dynamique (aide au choix d’une catégorie de matelas- HAS 2009)

Nutrition et habitudes alimentaires

La dénutrition est le deuxième facteur prédictif de survenue d’escarre. La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié en avril 2007 des recommandations professionnelles pour le repérage et la prise en charge de la personne âgée dénutrie ou à risque de dénutrition [7]. Médecins, soignants et diététiciennes doivent dépister la dénutrition ou le risque de dénutrition. Il est nécessaire d’évaluer l’état nutritionnel du patient à risque d’escarre et de discuter la prise en charge à proposer en fonction de l’état du patient. Toutes les actions sont évaluées et notées dans le dossier de soin (voir tableau 5).

Tableau 5 : Nutrition et habitudes alimentaires

Prise en charge nutritionnelle Actions
Evaluer l’état nutritionnel
• Noter s’il y a une perte de poids
• Peser (1 fois/semaine), mesurer le patient et calculer l’indice de masse corporel (IMC)
• Noter l’albuminémie
Evaluer les apports caloriques
• Noter les prises alimentaires
Noter les habitudes alimentaires
• S’informer des goûts, de la texture
Vérifier l’état bucco-dentaire
• Assurer des soins d’hygiène bucco-dentaire et des soins en cas de mycose
Aider à la prise des repas
• Prévoir une aide humaine
• Couverts ergonomiques
Augmenter les apports
Fractionner les repas
• Enrichir l’alimentation et donner des compléments nutritionnels oraux (sur prescription médicale)

Friction et cisaillement

Le patient exerce des frictions et des cisaillements à chaque fois qu’il glisse de son lit ou de son fauteuil. Le soignant peut aussi être responsable lorsqu’il ne maîtrise pas les techniques pour relever ou repositionner le patient. La spasticité et les contractures provoquent des cisaillements (voir tableau 6).

Tableau 6 : Friction et cisaillement

Prévenir les forces de friction et de cisaillement Actions
Apprendre les techniques de mobilisation
• Mobiliser les personnes dépendantes à 2 soignants et avec une alèze de glisse ou une alèze de lit (soulever et non glisser)
• Ne pas tirer le patient en le prenant sous les bras
Pensez au matériel Utiliser du coussin avec butée pour éviter que le patient ne glisse en avant en position assise
• Mettre un arceau dans le lit pour éviter le poids des couvertures
• Apprendre au patient à s’aider d’une potence pour se soulever
➡ Risque de plaies avec les scratchs de certains matériels (chaussures, bottes de décharge, attelles, sondes…)

Conclusion

Ces mesures de prévention sont à appliquer chez les patients à risque et/ou porteurs d’escarres afin d’éviter l’apparition de nouvelles escarres. L’évaluation du risque de survenue d’escarre est réalisée à l’admission puis une fois/semaine ou à chaque changement d’état du patient. Selon l’activité 6 du Référentiel de compétences de l’infirmière, qui traite de la coordination et de l’organisation des activités et des soins, l’infirmière a obligation de « transmettre les informations » et « d’assurer le suivi et la traçabilité d’opération visant la qualité et la sécurité ».

Toutes les évaluations, douleur, mobilité, nutrition, état physique et psychologique du patient doivent être tracées dans le dossier du patient. Il en est de même pour les actions mises en place que l’on doit retrouver dans les transmissions ciblées. Toutes ces données peuvent ainsi être évaluées en équipe pluridisciplinaire et réajustées.

>> LIRE AUSSI – La prise en charge des escarres chez la personne âgée >>

Un travail collaboratif entre personnel de santé, patient et institution est en effet indispensable pour élaborer et mettre en place une stratégie de prévention. Des programmes de formation de tous les intervenants – médecins, infirmiers, aides-soignants, diététiciens, psychologues, kinésithérapeutes et ergothérapeutes – qui prennent en charge la personne à risque, l’intégration de la pharmacie et des services économiques ainsi que le développement de l’éducation thérapeutique du patient et de son entourage doivent permettre d’éviter la survenue des escarres.

Martine Barateau,
Infirmière Equipe Mobile Plaies et Cicatrisation (EMPC) au CHU de Bordeaux

Cet article est paru dans le numéro 27 ActuSoins magazine 
(Dec/Janv/Fev 2018).

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Notes et références

[1] Black JM, Edsberg LE, Baharestani MM, et al. Pressure ulcers : avoidable or unavoidable ? Results of the National Pressure Ulcer Advisory Panel Consensus Conference. Ostomy Wound Manage. 2011 Feb ; 57(2) : 24-37.
[2] Barrois B, Labalette C, Rousseau P, et al. A national prevalence study of pressure ulcers in French hospital inpatients. J Wound Care 2008 ; 17 : 373-376.
[3] (Lyder CH, JAMA, 2003 ; 289 : 223-226).
[4] Traitement des escarres. Guide de référence abrégé NPUAP EPUAP 2009 p. 9.
[5] Recommandation de bonne pratique dans la prévention et le traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé. ANAES – 2001.
[6] Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé avis de la commission du 22 décembre 2009.
[7] Recommandations professionnelles pour le repérage et la prise en charge de la personne âgée dénutrie ou à risque de dénutrition. Stratégie de prise en charge HAS 2007 https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_546549/fr/strategie-de-prise-en-charge-en-cas-de-denutrition-proteino-energetique-chez-la-personne-agee

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