Les infirmières, pivots de la chirurgie ambulatoire

La ministre de la Santé a fixé comme objectif de faire en sorte qu’un patient sur deux se fasse opérer en restant moins d’une journée à l’hôpital. Afin d’améliorer la qualité des soins, réduire le nombre d’infections nosocomiales et… faire des économies. Un point commun dans ces services : le rôle incontournable des infirmières. 

Florence Alaux, cadre de soins, responsable de l’unité de chirurgie ambulatoire de l’hôpital Saint-Louis à Paris. L’unité offre actuellement huit places, avant de passer à douze en 2016. © Laure Martin

« Bonjour Madame Dupont, pouvez-vous me dire avec vos mots, les raisons de votre présence et ce que vous avez compris de votre future intervention ? » La patiente est à J-6 de son opération pour des nodules dans le sein. Marie Lesur, infirmière au sein de l’unité de chirurgie ambulatoire à l’Institut Curie, à Paris, la reçoit en consultation infirmière pendant 30 à 45 minutes. L’objectif  ? Confirmer les critères d’éligibilité de la patiente à ce type d’intervention, soulever ses doutes, s’assurer de sa compréhension  et surtout, lui permettre de poser les questions qu’elle n’a pas osé aborder avec son médecin.  

« J’ai été formée à la consultation infirmière, fait savoir Marie Lesur. Nous apprenons à écouter le patient, à formuler des questions ouvertes. Nous faisons également beaucoup de jeu de rôle pour apprendre à gérer les différentes réactions des patients. » La consultation infirmière est le premier contact entre les infirmiers des unités de chirurgie ambulatoire et les patients. Mais tous les services hospitaliers ne proposent pas cette consultation.  

« A l’heure actuelle, nous n’avons pas de consultation infirmière dédiée, regrette Florence Alaux, cadre de soins, responsable de l’unité de chirurgie ambulatoire de l’hôpital Saint-Louis, qu’elle a contribué à mettre en place. Les patients peuvent venir nous voir après leurs consultations avec le médecin et l’anesthésiste mais ce n’est pas une obligation, rien n’est formalisé. »  

Vérifications constantes

Pour Anne Montaron, directrice des soins à l’Institut Gustave Roussy, la chirurgie ambulatoire n’est pas une révolution en soi. « C’est son développement qui l’est ! Ce qui change, c’est l’étendue des interventions concernées et les soins qui arrivent en ville. » Les prises en charge en ambulatoire concernent tout type d’interventions : prothèses de hanches, ablation de tumeurs cancéreuses, ORL, dermatologie, tyroïde, appendicite et bien d’autres.  

Autant d’interventions à prendre en charge au cours d’une durée de séjour réduite à une journée, « ce qui est fondamental d’un point de vue organisationnel car cela accélère le processus de soins et demande beaucoup de coordination entre professionnels de santé médicaux et paramédicaux pour organiser les sorties », rapporte Anne Montaron.  

C’est le chirurgien qui propose au patient une prise en charge en ambulatoire après avoir vérifié les critères d’éligibilité : être d’accord pour cette prise en charge, ne pas être isolé géographiquement et socialement, être accompagné pour la sortie et la première nuit post-opératoire.

Cela accélère le processus de soins et demande beaucoup de coordination entre professionnels de santé médicaux et paramédicaux pour organiser les sorties.

« La consultation infirmière préopératoire a donc toute son importante, estime Anne Lossent, infirmière au service de chirurgie ambulatoire du CHU de Bordeaux. Car après avoir été validée par le chirurgien et l’anesthésiste, l’intervention en ambulatoire est verrouillée par l’infirmière. » « Si nous trouvons le patient trop angoissé, nous pouvons alors convertir l’intervention en hospitalisation mais c’est relativement rare », précise Marie Lesur.  

Le contact suivant entre le patient et l’infirmière ou l’aide-soignante est à J-2 ou J-1 avant l’opération. « Nous l’appelons pour lui communiquer l’heure exacte de sa convocation », souligne Anne Lossent. Lors de cet appel, l’infirmière lui rappelle toutes les consignes à respecter : jeun, hygiène préopératoire, nécessité d’être accompagné, documents à fournir, etc.  

Cécilia De Sousa, infirmière à l’unité de chirurgie ambulatoire de l’Institut Curie, en consultation, le jour J, avec une patiente et son mari. © Laure Martin

Le jour-J, les patients sont accueillis dès 7 h et tout au long de la matinée, par les infirmières du service qui vont une fois de plus vérifier toutes les informations. « Est-ce que vous pouvez me donner vos nom, prénom, et m’expliquer l’intervention que vous allez avoir aujourd’hui ? », demande Cécilia De Souza, infirmière à l’Institut Curie, à une patiente venue avec son conjoint.  

Après avoir vérifié les données, elle récupère les clichés de la patiente, répond à ses interrogations, vérifie son numéro de téléphone pour l’appel du lendemain, et lui donne une tenue. Elle est ensuite conduite au bloc par un brancardier.  

Quel suivi post-opératoire ?

« Comment vous sentez-vous ? », demande Marie Lesur à la patiente qui remonte du bloc. Avec Tatjana Jeftic, l’aide-soignante, elles prennent ses constantes et lui propose une collation. Reste à attendre le passage du médecin pour obtenir l’autorisation de sortie. « Les infirmières doivent faire preuve d’un certain leadership car ce n’est pas toujours évident de solliciter le chirurgien pour lui souligner qu’il n’est toujours pas passé voir sa patiente », pointe du doigt Anne Monteron.  

Après le passage du médecin, l’infirmière retourne voir la patiente pour refaire le pansement, lui donner des consignes et lui remettre les documents nécessaires à sa sortie, ainsi que les numéros de téléphone en cas de problème. « C’est sécurisant pour le patient, mais les appels sont rares », rapporte Anne Lossent. Avant de laisser sortir le patient, « nous vérifions cinq critères, indique Pauline Mons, infirmière à l’Institut Curie. Les paramètres vitaux, l’envie de nausées ou de vomissements, la douleur, la déambulation et les saignements. »   

Il peut y avoir des poses de voies veineuses, des pansements, de la gestion de plaies, mais c’est surtout du bilan, de la prise de constantes, de la surveillance, et beaucoup de coordination

Après le passage du médecin, Marie Lesur, infirmière à l’unité de chirurgie ambulatoire de l’Institut Curie à Paris, et Tatjana Jeftic, aide-soignante, organisent la sortie de la patiente en lui donnant les consignes ainsi que les documents nécessaires.

Dernier rôle de l’infirmière, le lendemain, dans la matinée : elle reprend tous les dossiers des patients de la veille, et les appels à tour de rôle pour s’assurer qu’ils vont bien. « Nous avons une grille de référence et nous vérifions avec le patient, les différents items, et en fonction des réponses, nous lui donnons des consignes », explique Marie Lesur, une oreille sur le combiné téléphonique, appelant son premier patient, qui ne répond pas.

Dans ces cas-là, « si nous avons un numéro de téléphone fixe, nous ne laissons pas de message, et sur le répondeur du portable, nous sommes les plus évasives possible, pour le respect du secret médical car nous ne savons jamais qui va écouter le message. »  

Généralement, les contacts avec les infirmières du service de chirurgie ambulatoire s’arrêtent là. En fonction des établissements, des liens peuvent être mis en place entre le service et les infirmiers libéraux (IDELs), pour assurer une continuité de la prise en charge du patient (lire encadré).  

Au CHU de Bordeaux, il n’y a pas de réseaux avec les IDELs, trop difficile à mettre en place en raison de la grandeur de la région. « Nous préférons autonomiser nos patients, souligne Anne Lossent. Et si nécessaire, nous remettons un courrier au patient avec des ordonnances pour leur infirmière libérale. » Idem à Saint-Louis : « Nous laissons cette autonomie aux patients d’organiser eux-mêmes leurs soins à domicile », confirme Florence Alaux.  

Les patients apprécient cette autonomisation, ils se sentent actifs dans leur prise en charge. Les infirmières du service éduquent le patient afin qu’il sache se prendre en charge à la maison, qu’il connaisse les effets secondaires et quoi faire en cas de problème. « Cette partie éducation est un rôle très infirmier, considère Anne Lossent. Cela contribue à amoindrir les angoisses du patient, car généralement, il va avoir beaucoup de questions, mais ne va pas oser les poser à son chirurgien. »  

Changement de pratiques

Le lendemain de l’intervention, les infirmières reprennent les dossiers des patients et les appellent afin de s’assurer qu’il n’y a pas eu de problème pendant la nuit au domicile. © Laure Martin

En ambulatoire, il n’y a quasiment plus d’actes techniques. « Il peut y avoir des poses de voies veineuses, des pansements, de la gestion de plaies, mais c’est surtout du bilan, de la prise de constantes, de la surveillance, et beaucoup de coordination », rapporte Anne Monteron. Les infirmières travaillent également beaucoup plus sur informatique.  

A l’Institut Curie, le logiciel informatique a intégré le service depuis quelques mois. « Avant, tout était fait sur papier, avec des fiches de liaison, se rappelle Pauline Pons. Désormais il y a un dossier médical patient et un dossier de soins infirmiers, avec les questions à poser aux patients pour leur suivi. » 

En ambulatoire, la prise en charge requiert des infirmières qu’elles soient rapides et autonomes, car elles sont seules dans le service, généralement sans médecin. « Cela requiert un minimum d’expérience pour dépister les complications », fait savoir Marie Lesur. Pas question donc, de laisser la place à de jeunes infirmières non expérimentées. « Au CHU de Bordeaux, les équipes sont petites, il n’y a pas beaucoup de poste et peu de turn-over, souligne Anne Lossent. Cela favorise une bonne prise en charge des patients avec des infirmières très bien formées à leur poste. Il n’y aura jamais d’intérimaire, c’est trop spécifique. »

Ce type de service est également intéressant pour la vie privée des infirmières qui sont en horaire de jour et ne travaillent pas les weekends… 

Un suivi en libéral

Afin d’encourager la prise en charge en ambulatoire et sécuriser le parcours du patient, certains établissements ont développé des liens avec les infirmières libérales du territoire. C’est le cas en Haute-Normandie où l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers travaille depuis trois ans avec l’Hôpital Privé de l’Estuaire (HPE) du Havre. Ils ont conjointement élaboré un Dispositif infirmier d’accompagnement et de suivi post-ambulatoire à domicile (DIASPAD) permettant « d’augmenter le nombre de patients éligibles à la chirurgie ambulatoire », souligne Francis Casadéi, président de l’URPS. Car certains patients ne sont pas éligibles pour des raisons de solitude, de précarité ou d’angoisse.
« Les chirurgiens aussi manifestaient des inquiétudes à renvoyer chez eux le jour même de l’intervention, des patients qui auparavant étaient hospitalisés quelques jours », explique Françoise Kracht, directrice des soins à l’HPE.

L’idée a donc été d’accroître la surveillance. « Nous nous sommes engagés à nous rendre chez le patient à J-0 avec une feuille de surveillance élaborée avec l’HPE, reprenant les exigences du chirurgien », rapporte Francis Casadéi. L’infirmière libérale est informée avant l’intervention, par le patient, de son inclusion dans le dispositif par son chirurgien.
Le dispositif semble porter ses fruits puisqu’environ 300 patients de plus sont éligibles à la chirurgie ambulatoire et bénéficient d’une continuité des soins. L’hôpital est aujourd’hui a environ 60 % de prise en charge en ambulatoire. Le centre anti-cancéreux Henri Becquerel de Rouen s’est aussi rapproché de l’URPS Infirmiers pour mettre en place ce dispositif.

« Le patient est ravi de savoir que le soir même, une infirmière libérale va venir à son domicile », indique Francis Casadéi. Au sein de l’équipe hospitalière, il y a également une infirmière pivot qui travaille au contact des infirmières libérales. Et un mardi par mois, les infirmières peuvent se rendre à l’HPE pour suivre un cycle de formation dispensé par les chirurgiens ou d’autres professionnels de l’établissement. « Cela permet de faire une mise au point sur les techniques chirurgicales, les recommandations utiles, et de garder une cohésion entre la ville et l’hôpital », estime le président de l’URPS. Seul problème : il n’y a pas de cotation infirmière pour la surveillance postopératoire. Pour le moment, les libéraux cotent un AMI 2 pour le pansement et AMI 1 sur 2 pour la surveillance. Ils souhaiteraient une cotation globale à un AMI 4.

VALÉRIE PRIGENT, infirmière au service de chirurgie ambulatoire de lhôpital Saint-Louis à Paris

« IL N’Y A PAS DE ROUTINE »

J’ai intégré ce service dès son ouverture car cela correspondait avec mon envie de quitter le service d’oncologie. Il y a une sélection des infirmières, ce n’est pas un poste proposé d’emblée d’autant qu’il requiert de l’expérience. En chirurgie ambulatoire, nous travaillons avec tous les services hospitaliers, c’est vraiment intéressant en raison de la polyvalence et des acteurs variés, ce qui donne une vision globale de la prise en charge. Il n’y a pas de routine. Notre rôle est vraiment dans l’anticipation.
Nous appelons les patients la veille de l’intervention, nous anticipons les soins qui vont être nécessaires à leur retour à domicile, nous les éduquons. Cela ne me dérange pas de ne plus faire beaucoup de soins techniques car j’en ai fait auparavant.
Et puis l’avantage de ce service, c’est que nous avons tous nos weekends et nous ne travaillons pas la nuit. Cela fait du bien après 20 ans d’exercice.

Laure Martin   

Cet article est initialement paru dans le n°20 d’ ActuSoins Magazine. Pour vous abonner à ActuSoins magazine, c’est ICI.

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