A l’hôpital des grands brûlés

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Depuis trois ans, le Centre de Traitement des Brûlés de St Louis accueille des patients qui ont subi explosions, incendies ou accidents domestiques. Dénués de peau, la chair à vif, ils sont traités dans des conditions ultra aseptisées, et pris en charge par une équipe de choc. Un reportage publié dans ActuSoins Magazine.

©Natacha Soury
Romuald, Karine et Charles : l’anesthésiste, l’aide soignante et l’infirmier, côte à côte, débutent le changement de pansements.

Deux yeux effrayés émergent des pansements, zieutent dans toute la pièce, à la recherche d’on ne sait quoi. Bientôt, ils se referment, endormis par l’anesthésie. Pratiquement seule surface du corps de cette patiente à ne pas être brûlée, ses prunelles forment son unique porte ouverte sur le monde.

La vie de cette agricultrice a été bouleversée, quand il y a un mois, elle a subi l’explosion du système de chauffage au gaz qui servait à ses bêtes. Gravement atteinte, elle a été emmenée d’urgence ici, à l’hôpital Saint Louis, au Centre de Traitement des Brûlés (CTB).

Depuis, elle est sous sédatifs et antalgiques, sous haute surveillance dans une salle réservée aux très grands brûlés, avec un dispositif spécifique pour éviter toute contamination bactérienne. Sans peau, les patients sont en danger de mort, soumis à tous les risques pathogènes.

Sur les murs de la chambrée, des dessins de sa fille, « Maman, je t’aime. » La patiente est partie pour rester de longs mois, avec, à la clé, l’espoir d’un retour à la vie « normale ». C’est en tout cas l’objectif des dizaines de médecins, d’infirmières, d’aides-soignantes, de kinésithérapeutes, de psychologues… qui composent cette équipe polyvalente.

Un centre unique, un travail d’équipe

©Natacha Soury
Romuald, l’anesthésiste, veille en permanence sur les réactions de la patiente. L’œil rivé aux machines il surveille ses constantes et sait interpréter le ressenti d’une douleur éventuelle.

Quand le professeur Maurice Mimoun, chirurgien expérimenté, suggère de moderniser le centre des brûlés de Saint Antoine, l’AP-HP lui propose de s’installer à Saint Louis, puisque l’hôpital comptait déjà une unité dermatologique. En juin 2012, le CTB, né du regroupement de compétences de Saint-Antoine et Saint-Joseph ouvre ainsi ses portes, pensé par le médecin et son équipe dans les moindres détails.

« Le traitement des brûlés pose énormément de problèmes car il comporte le pronostic vital, mais aussi le pronostic fonctionnel et esthétique », explique-t-il.

Ce lieu unique en France, co-dirigé par Maurice Mimoun en chirurgie et Alexandre Mebazaa en réanimation comporte trois unités, des patients les moins brûlés aux situations les plus critiques. Dans l’unité 1, celle des plus grands brûlés, il a conceptualisé des chambres qui se transforment en bloc opératoire ou en balnéothérapie, sans avoir à déplacer le patient. Ce dernier peut recevoir tous les soins et faire tous les examens sans être déplacé. C’est le concept du « presque tout dans la chambre ».

« On sait que les transports sont délétères pour certains patients », rappelle le chirurgien. Ultra-moderne, le CTB est aussi totalement informatisé. Dans les salles de réunions, les médecins peuvent d’un clic avoir accès aux dernières photos de la patiente et évaluer sa cicatrisation.

Le centre a aussi été conçu pour ne « pas devenir une forteresse, où les gens de l’extérieur ne veulent pas voir et où les gens dedans font leur devoir, coupés du monde », précise le chirurgien. Espaces tout en transparence, les salles des très grands brûlés comportent de grandes baies vitrées.

« C’est mieux pour le patient, mais aussi pour les personnels, estime ainsi le professeur. Cela peut servir à voir si le malade s’agite. Et comme dans les restaurants, on a réalisé que les gens travaillaient mieux dans des cuisines à vue, sans compter la reconnaissance de leur travail, qui devient concret aux yeux des autres. »

©Natacha Soury
Zineb surélève la jambe de la patiente afin que Karine, aide-soignante, puisse enlever la totalité du « voile de mariée ». L’équipe optera par la suite pour la pause de tulle gras.

Le chirurgien souligne le caractère éminemment collectif du travail au CTB. « Dans ce service, personne ne ferait rien sans les autres, affirme-t-il. La modernité du centre fait 50 % de sa réussite. Le reste provient de ce travail d’équipe. »

Et d’insister sur le rôle indispensable des infirmiers : « en matière de brûlure, l’infirmier est fondamental : il doit être compétent en anesthésie-réanimation et en chirurgie plastique et pansement ».

Cette polyvalence est l’une des qualités essentielles pour exercer dans ce service. « Nous avons des opérations programmées, mais tout peut changer du jour au lendemain, en fonction de l’état du patient », souligne Sophie Semal, cadre de santé, arrivée en 2012.

A ses yeux, pour travailler dans ce service, l’écoute, la maîtrise de la technicité, la capacité à maintenir à flot ses connaissances, et une grande capacité d’adaptation aux matériels qui changent, aux bonnes pratiques qui progressent et à la législation qui évolue, sont indispensables. Ainsi qu’une bonne résistance à la fatigue.

Des conditions de travail difficiles

« Nous évoluons dans des conditions pas naturelles, contraignantes, lâche le professeur Mimoun. Surtout en ce qui concerne l’asepsie et l’hygiène. » Et d’évoquer les dispositifs mis en place : les machineries installées au troisième étage, qui, en cas de panne de la ventilation ou autre, sont accessibles aux réparateurs sans qu’ils aient à rentrer dans les chambres.

©Natacha Soury
Les broches ont remplacé depuis peu les atèles qui, en contact permanent avec la peau, rendait la cicatrisation plus difficile. Les broches empêchent également les mains de se recroqueviller. Ce qui facilitera, par la suite, la mise en place de sa rééducation.

Pour les personnels soignants, les contraintes sont encore plus fortes. Ils doivent s’adapter à la présence de deux sas : un sas d’entrée, et un sas de décontamination. Dans les sas, la pression est négative, ce qui créée un mur invisible qui empêche les germes de rentrer ou de sortir. Les ouvertures se font au pied, toujours.

Quand la chambre se transforme en bloc opératoire, le lit est nettoyé dans le sas de décontamination. A la fin de chaque hospitalisation, un bionettoyage intervient impérativement. Un moment durant lequel les portes sont hermétiquement fermées, sous peine de gazage mortel.

A l’intérieur des chambres, la température est chaude, entre 30 et 38 degrés, afin d’éviter le risque d’hypothermie chez le patient, et le taux d’humidité élevé, pour parer à la déshydratation.

A l’intérieur de cette atmosphère presque tropicale, les soins prennent aussi beaucoup de temps. L’agricultrice doit se faire changer les pansements tous les deux jours, et à chaque fois, le soin dure environ 2h30.

Les infirmiers et aides-soignants, qui travaillent en binôme, ne chôment pas : ils doivent retirer les anciens pansements, vérifier la cicatrisation des plaies, la bonne prise ou non des greffes, assurer le nettoyage du corps comme du lit, réaliser le retournement du corps pour n’oublier aucun centimètre carré de peau, faire les prélèvements et installer de nouveaux pansements, après avoir recouvert le corps de crème. Les actes de soin sont tous réalisés avec une grande minutie.

Deux heures et demi de concentration

Charles, infirmier au CTB depuis deux ans et demi, a supervisé les opérations. Les médecins sont passés vérifier l’état de la peau. Ils demandent des prélèvements mycologiques car ils soupçonnent un champignon dans l’une de des plaies. Le chirurgien prend des photos sur sa tablette afin de comparer l’évolution des cicatrisations. « Je pense que le tissu de mariée ne lui convient pas », lui glisse Charles. Cela provoque des saignements car la peau à peine reconstituée est arrachée quand les pansements sont retirés. Ils décident finalement de changer de méthode.

Charles est très attaché à son métier, même s’il reconnaît que le quotidien n’est pas simple. « Si je devais décrire ce métier, je dirais “intense”. Pendant les pansements, on s’investit à fond. Physiquement, on est fatigué mais on doit rester concentré », explique l’infirmier. Sophie Semal raconte : « Les infirmiers doivent apprendre à s’hydrater. Dans leurs premiers temps, ils sont plusieurs à avoir fait des crises de coliques néphrétiques », met-elle en garde. Des gestes de prévention vite adoptés.

©Natacha Soury
Bouger un patient est toujours délicat car il faut veiller au moindre signe de souffrance.

Emotionnellement aussi, les personnels sont très sollicités. Delphine, 21 ans, est une jeune infirmière arrivée il y a huit mois. C’est son premier poste. « J’avais passé trois mois au CHU de Nantes en réa, et le travail sur la brûlure m’avait vraiment plu pendant mes études. Mais j’ai postulé sans savoir exactement à quoi m’attendre », se souvient-elle.

Après son intégration de quatre semaines, sous surveillance d’une infirmière référente, elle est lâchée dans le grand bain. « Le premier jour, j’ai commencé à 7h30 et je n’ai pu déjeuner qu’à 17h30. Je me suis dit : “ Dans quoi tu t’es lancée ? ”, plaisante-t-elle. Ici, même au milieu d’un pansement, il peut se passer n’importe quoi»

Ainsi, dans la chambre 11, le patient de 81 ans, désature. Arrivé il y a cinq jours, il présente des brûlures importantes, et souffre de problèmes respiratoires graves dus à une infection des poumons. Quelques jours après, il décèdera, son état de santé général se dégradant quotidiennement.

« Mais ici, on ne lâche rien, confie Delphine. On tente tout pour sauver les patients» Dans ses tout débuts, elle se rappelle avoir été déstabilisée par l’accueil de la famille d’un jeune de 25 ans : « Ils étaient paniqués. C’est dur de gérer une famille en état de choc» De trouver les mots justes, de répondre à des interrogations comme « Quand va-t-il sortir ? ». Car, dans ce centre, ces questions n’ont jamais de réponse simple, tant de facteurs entrant en jeu.

Seule certitude : « un infirmier passé par le CTB sait absolument tout faire en partant », affirme le professeur Mimoun. Conscients de cette opportunité, les infirmiers du service expriment leur fierté à faire partie de cette équipe de choc. Mais ils ne restent pourtant pas de longues années : travailler en 12h devient compliqué pour les parents, et confie Sophie Semal, après les soubresauts de l’adrénaline, certains préfèrent le libéral.

Delphine Bauer/ Youpress

Article publié dans le magazine ActuSoins n° 18. Pour vous abonner, c’est ICI.

 

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