Secret professionnel : quand le silence est d’or

Secret professionnel : quand le silence est d’or

On a coutume de parler de secret médical, mais l’obligation de confidentialité liée aux informations acquises lors de la prise en charge des patients s’étend à tous les soignants. Bien qu’ils sous-estiment souvent le sujet, les infirmiers sont concernés au premier chef.

Statue of justice

Entre Charybde et Scylla. Voici la situation des infirmiers qui, face au secret professionnel, doivent composer avec une société qui d’un côté donne toujours plus d’importance à la transparence, à la circulation, au partage de l’information, et qui de l’autre érige la vie privée en principe intangible, fondement de toute liberté. Et pourtant, ce sujet déontologique majeur semble faire l’objet d’une relative méconnaissance au sein de la profession : tout se passe comme si les difficultés du quotidien prenaient le pas sur ces questions vues par les soignants comme des arguties éthiques dont on s’occupera quand on en aura le temps. Or, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le secret professionnel est quelque chose de très concret pour les professionnels de santé, et le trahir peut entraîner des conséquences majeures pour le patient comme pour l’infirmier.

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« Le secret professionnel est connu dans le monde infimier, mais il est connu un peu comme on connaît une légende, comme quelque chose d’un peu culturel : on sait qu’il y a un halo de secret autour de nous, souvent sans vraiment savoir le défi nir précisément », constate Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon spécialisé dans les questions de santé en général, et dans la défense des infirmiers en particulier. Or le secret professionnel n’a rien d’évanescent, il est inscrit dans le marbre du code de déontologie infirmier en son article 44312-5, article qui fait lui-même référence à l’article L.1110-4 du code de la santé publique, et qui instaure ce que le juriste résume comme une « obligation de garder le silence sur tout ce qu’on a pu apprendre, entendre, lire, comprendre », au cours des soins.

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans le n°54 d’ActuSoins magazine (septembre 2024).

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Le mot important ici, est le mot « tout ». Car comme le précise l’Ordre national des infirmiers (ONI) dans ses commentaires au code de déontologie, le secret couvre, « outre les informations relatives à l’état de santé du patient, toute information le concernant ayant trait à sa vie privée par exemple ». Par ailleurs, elles ne se limitent pas aux informations confiées par le patient, et peuvent ainsi notamment inclure des « éléments donnés par la famille du patient au cours des soins », précise l’ONI. Il faut également noter, complète Mathieu Da Silva, avocat au barreau de Paris lui aussi spécialisé dans les questions de santé, que « personne ne peut délier le soignant de l’obligation du secret, sauf dans les rares cas prévus où il y a une menace directe pour la sécurité, ou encore les cas de maltraitance… »

Avancer en terrain miné

Avec une définition du secret professionnel infirmier aussi large, le soignant qui souhaite respecter à la lettre son obligation de confidentialité avance en terrain miné : chaque action ou presque porte un risque de violation. Une situation qui a tendance à s’aggraver avec la numérisation des dossiers patient, qui rend l’accès et le partage des informations aussi simples que rapides. « Si j’ouvre n’importe quel poste informatique aux Hospices civils de Lyon, j’ai accès à des quantités d’information incroyables », note ainsi Gilles Devers. Voilà qui facilite grandement les prises en charge, mais qui multiplie les risques d’accès et de partage de données hors du cadre de la loi.

Et pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les procédures pour violation du secret professionnel infirmier sont relativement rares, selon les avocats. « Nous ne sommes pas souvent sollicités à ce sujet, car par hypothèse, quand le secret est violé, la principale victime n’est pas au courant, constate Gilles Devers. Quand un patient est opéré du genou droit au lieu du gauche, il vient assez rapidement nous trouver, mais quand une information est partagée, le patient le découvre rarement, et quand il le découvre, il n’a pas souvent envie de faire un recours… après tout, il a été soigné. » Par ailleurs, souligne Mathieu Da Silva, les procédures sont freinées par « une forme d’autorité qui émane des professionnels de santé, et qui fait que les patients ne réalisent pas forcément que les informations divulguées sont confidentielles ».

Secret professionnel : des situations et des sanctions variées

Reste que malgré tout, certains dossiers parviennent à ressortir. « On a des situations classiques, comme celle d’un soignant qui, lors d’une discussion courante, par exemple lors d’un dîner, diffuse des informations, témoigne Mathieu Da Silva. J’ai aussi eu à traiter ces derniers mois des cas de soignants qui consultent le dossier de leurs collègues en leur qualité de patient, et qui vont par la suite par exemple dire dans le service que la personne est enceinte alors qu’elle ne voulait pas que cela se sache. »

Quand de telles violations sont constatées, les sanctions peuvent être de trois ordres. « Il y a d’abord la responsabilité des employeurs, qui engagent des procédures disciplinaires avec à la clé des blâmes, des avertissements ou des exclusions temporaires, mais sur lesquelles on a peu d’éléments car les sanctions des employeurs sont elles-mêmes couvertes par le secret, explique Mathieu Da Silva. Mais il faut souligner que c’est un sujet pris au sérieux par les administrations. Il y a d’autre part les sanctions ordinales, qui sont très diverses, notamment des interdictions temporaires d’exercer qui peuvent aller de 15 jours à, dans un dossier que j’ai eu, trois ans. Enfin, au pénal, je n’ai jamais vu de peines de prison, ce sont soit des amendes, soit des peines alternatives à l’emprisonnement. »

Secret professionnel : l’infirmier au coeur des paradoxes

On le voit, garantir le secret des informations qu’ils utilisent dans le cadre de leur métier est un enjeu crucial pour le soignant aussi bien que pour le patient, et pour l’établissement. Or des évolutions profondes de notre société rendent cette garantie de plus en plus difficile à assurer. « Nous assistons à la création de normes légales, sociologiques et professionnelles qui renforcent l’élargissement du secret médical », notait déjà en 2017 Silvère Pautier, cadre de santé au CHU de Bordeaux, dans un article publié dans la revue Recherche en soins infirmiers*, citant par exemple des obligations de transmission d’information à des institutions publiques à des fins de veille épidémiologiques.

Mais le même auteur constate que « d’un autre côté, des règles renforcent la préservation du secret professionnel soignant absolu et inviolable et se basent sur la tradition hippocratique où le respect de la vie privée du patient reste fondamental ». Il note que le secret professionnel demeure « incontournable pour préserver la confiance au sein de la relation de soin », ce qui plonge les soignants dans une situation paradoxale.

Secret médical en équipe

L’une des illustrations de ces paradoxes est peut-être la manière dont le secret professionnel doit être traité dans un système de santé où les notions d’équipe soignante, et de systèmes permettant de partager les informations au sein de cette équipe, font l’objet de toutes les attentions. « Quand on était dans une situation où chaque professionnel exerçait de son côté, ou bien au sein d’équipes au sein desquelles l’information circulait de manière fermée, la question ne se posait pas de la même manière qu’aujourd’hui, où l’interconnexion est la règle », note Mathieu Da Silva.

L’avocat note que cette problématique se pose autant pour les patients qui, lors de procédures pour violation du secret par exemple, ont « du mal à démontrer que le professionnel a franchi les limites dans un cadre où la définition de l’équipe est assez extensive », que pour le soignant, « qui voit le périmètre du secret évoluer » en permanence. Reste que pour le juriste, les soignants doivent conserver « une boussole » qui consiste à se poser une seule question : « Est-ce que la personne à laquelle j’envisage de confier une information relative à un patient intervient dans sa prise en charge ? ». Si elle n’intervient pas, la question est résolue, résume-t-il. Ce n’est que dans un second temps que doit se poser la question de l’accord du patient.

Renforcer les connaissances

D’où l’intérêt primordial de renforcer la connaissance et la formation des infirmiers au sein de la profession. « C’est un sujet qui est vu de façon fugace lors de la formation initiale, et qui n’est pas vraiment actualisé ou renforcé ensuite », regrette Mathieu Da Silva. Ce qui rend selon lui nécessaire de renforcer toutes les actions, de la formation continue aux congrès en passant par les salons professionnels, qui permettent « de sensibiliser et d’attirer l’attention des infirmiers sur ces éléments qui sont généralement méconnus ». Car il s’agit par essence d’un sujet où l’on ne peut compter que sur la bonne volonté et l’éthique personnelle de chaque professionnel. C’est ce que souligne Silvère Pautier dans son article quand il fait parler Socrate affirmant que « vous pouvez cacher aux autres une action répréhensible, mais jamais à vous-même ».

« Cela renvoie à la conscience de tout un chacun », abonde Gilles Devers. Pour lui, les soignants doivent comprendre que la question du secret professionnel dépasse de loin le niveau de confidentialité qui voudrait qu’on s’abstienne de dévoiler, par exemple, que tel ou tel patient a un bouton embarrassant au niveau des parties intimes. « Ce qu’il faut comprendre, affirme l’avocat lyonnais, c’est que tout doit être fait pour qu’un enfant de huit ans qui subit des attouchements, qu’une personne dans un Ehpad qui subit des maltraitances, pour que tout le monde sache de manière intuitive qu’on peut tout dire à une blouse blanche ». Car comme le soulignait en 1950 le Pr Portes, alors président du Conseil de l’Ordre des médecins dans une formule qui date un peu mais qui n’a pas pris une ride et que rapporte Silvère Pautier : « Il n’y a pas de médecine sans confiance, de confiance sans confidence et de confidence sans secret ».

Le secret professionnel dans la jurisprudence

©iStock/Kuzma

Les commentaires de l’ONI au code de déontologie infirmier éclairent doublement sur la manière dont la profession doit, selon l’institution, se positionner sur la question du secret professionnel. Car non seulement l’organe représentatif des infirmiers y explique les fondements juridiques de ce principe qu’il qualifie de « clé de voûte de la relation patient-soignant », mais surtout, il y cite de nombreuses décisions de justice qui forment une jurisprudence permettant de comprendre comment ce principe s’applique dans le cadre de situations particulières.

On y apprend ainsi que selon un arrêt du Conseil d’État de 2010, « aucune information relative à la prise en charge ne doit être communiquée au patient en présence de la personne qui l’accompagne ». Inversement, le fait que des membres de la famille soient témoins d’informations reçues par le professionnel ne libère pas celui-ci de son obligation de confidentialité.

Il faut par ailleurs faire attention aux personnes que l’on implique dans son travail quotidien. C’est ainsi qu’en 2017, la Chambre disciplinaire de nationale de l’Ordre des infirmiers avait estimé qu’en « se faisant régulièrement conduire par sa sœur lors de ses tournées pour délivrer les soins à domicile aux patients, une infirmière permet indirectement la communication à un tiers de données privées relatives à ses patients et méconnaît ainsi le secret professionnel ».

Dernier exemple, parmi d’autres : les infirmiers doivent prendre garde aux informations qu’ils utilisent s’ils doivent se défendre, par exemple dans le cadre d’une procédure disciplinaire. C’est ainsi qu’en 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé qu’un soignant avait violé le secret professionnel en communiquant au conseil de l’Ordre « un tirage papier du dossier médical informatique d’une personne dont la suppression du nom ne garantissait pas un parfait anonymat ».

Adrien RENAUD

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* Pautier S. Le secret professionnel soignant : un enjeu de démocratie sanitaire entre immanence et aliénation. Rech Soins Infirm. 2017 Sep ; (130) : 53-67

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