Si pendant longtemps, une tolérance était appliquée par les organismes de contrôle concernant le respect des règles du remplacement d’infirmière libérale (IDEL), la situation a changé. L’Urssaf fait aujourd’hui la chasse à ce qu’elle considère comme du salariat déguisé, pouvant conduire les infirmiers libéraux devant les tribunaux.
Depuis quelques années maintenant, les infirmiers libéraux (idels) peuvent recevoir des lettres de contrôle non plus uniquement de leur Caisse primaire d’Assurance maladie (Cpam) mais aussi de l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf)*, les accusant de salariat déguisé en ayant eu recours de manière régulière à des remplaçants.
Difficile d’affirmer officiellement le lien entre ces contrôles et la possibilité pour les idels de salarier d’autres infirmiers depuis la signature de l’avenant 6 à la convention nationale des infirmiers en mars 2019. Néanmoins, il semble logique, « puisqu’avant cette date, il n’était pas possible de requalifier le remplacement en travail salarié dissimulé », explique Maître Thony Thibaut, avocat au barreau d’Avignon (Cabinet Bolzan Avocats). Et d’ajouter : « L’Urssaf ne tient pas compte des difficultés que peuvent rencontrer les infirmiers dans le cadre du zonage du territoire. Son rôle est d’effectuer des contrôles du respect du droit et de caractériser une relation de travail non déclarée. »
Cet article a été publié dans le n°50 d’ActuSoins magazine (janvier 2024).
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Comment est-elle informée des possibles dérives des infirmiers ? Par les Cpam, le droit de communication entre les organismes publics leur permettant de se transmettre des informations concernant les libéraux notamment. « Mais ce n’est pas automatique, souligne Maître Thibaut. Le contrôle peut aussi être lié à une dénonciation ou à une enquête mettant en exergue le recours régulier au contrat de remplacement. »
Les règles du remplacement d’une infirmière libérale
Les règles du remplacement sont établies de longue date (article R4312-83 du Code de santé publique). Elles prévoient, entre autres, qu’un infirmier ne peut se faire remplacer que temporairement par un confrère avec ou sans installation professionnelle. Il s’engage, pendant toute la période du remplacement, à ne pas exercer en tant qu’infirmier, à l’exception de son obligation de porter secours aux malades ou blessés en péril et de collaborer au dispositif de secours mis en place en cas de sinistre ou de calamité.
De son côté, l’infirmier remplaçant ne peut pas remplacer plus de deux infirmiers en même temps. « Ces règles reposent donc principalement sur la suspension de l’activité professionnelle de l’infirmier titulaire, et ce de manière temporaire et ponctuelle, rappelle Maître Thibaut. En aucun cas, le remplacement ne peut être utilisé pour suppléer à une défaillance de l’organisation du cabinet. »
Le caractère ponctuel du remplacement n’implique pas pour autant qu’il doit se dérouler sur un temps court. À titre d’exemple, une femme en congé maternité puis en congé parental, peut faire appel à un remplaçant, sur un temps qui sera relativement long. « Le titulaire doit simplement être en mesure de justifier le caractère temporaire du remplacement », précise l’avocat.
La procédure de contrôle
Si l’objet du contrat de remplacement vise, à l’origine, uniquement à faire face à l’absence du titulaire, dans les faits, depuis la mise en place du zonage, certains infirmiers ont régulièrement recours à des remplaçants pour assurer la continuité des soins. Cet argument est principalement entendu dans les zones surdotées où, depuis la signature de l’avenant 6 à la convention nationale des infirmiers, les installations des titulaires et des collaborateurs sont soumises au départ d’un autre idel. Les organismes de contrôle ont, pendant un temps, fait preuve de tolérance vis-à-vis de cette pratique. « Nombre d’infirmiers libéraux ont donc pris l’habitude d’avoir recours au remplacement à leur guise pensant, à tort, être dans leur droit », affirme John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil).
Désormais, l’Urssaf procède à des vérifications dès lors qu’elle soupçonne un travail salarié dissimulé. À l’issue de sa phase de contrôle, dans le cadre d’une procédure civile (Code de la sécurité sociale), elle adresse un courrier d’observations à l’idel, enclenchant la phase du contradictoire. L’infirmier dispose alors de 30 jours pour envoyer sa réponse. « L’Urssaf peut, à l’issue de cet échange, envoyer à l’idel une mise en demeure à payer, ouvrant la voie des recours, d’abord par la saisine de la Commission de recours à l’amiable (CRA), puis devant le pôle social du Tribunal judiciaire en cas d’absence de réponse dans le délai de deux mois ou en cas de décision défavorable », explique Maître Thibaut. En fonction des circonstances et « par pure opportunité », rapporte l’avocat, l’Urssaf peut aussi privilégier la voie pénale (article L 8221.1 et suivant du Code du travail) afin de sanctionner la fraude pénalement. L’Urssaf saisit alors le procureur de la République du dossier.
Au civil comme au pénal, l’Urssaf peut réclamer le montant des cotisations dues dans la limite des trois années précédant le contrôle (voire cinq ans en cas de poursuite au pénal). Ces cotisations sont majorées de 25 % au titre des pénalités (article L243-7-7 du code de la sécurité sociale). Au pénal, l’infirmier risque également une peine de prison et une amende (article L8224-1 et suivants du code du travail) ainsi que des sanctions liées à l’exercice de sa profession.
Changer les pratiques
Pour éviter de faire l’objet d’un contrôle, il est important pour les idels d’assurer leurs arrières. « Ils doivent rappeler au sein du contrat, l’indépendance professionnelle du remplaçant », suggère Maître Thibaut. Il déconseille aussi de fixer un montant de rétrocession mensuelle, ce qui sous-entendrait le versement d’un forfait. De même qu’il est important d’inscrire le motif du remplacement et, bien entendu, de ne pas élaborer de contrat de remplacement de manière régulière.
Outre ces modifications contractuelles, John Pinte plaide pour un changement de pratiques. Dans les zones sous dotées, il encourage les idels à contractualiser avec un collaborateur. « Le contrat de remplacement n’est pas le seul à pouvoir être limité dans le temps, rappelle-t-il. Un contrat de collaboration à durée déterminée est tout à fait envisageable, ce qui laisse le temps au titulaire et au collaborateur d’apprendre à se connaître et à travailler ensemble, sans avoir recours au remplacement. »
Dans les zones surdotées, la situation est plus compliquée. L’une des solutions peut être de travailler davantage en lien avec d’autres cabinets. « Il peut aussi être possible de faire appel à plusieurs remplaçants, et ce sur des jours non réguliers, pour contourner la problématique de la régularité », indique John Pinte.
Autre option valable dans toutes les zones : salarier un infirmier. « Mais cette option reste compliquée à concrétiser », estime John Pinte. Tout d’abord, les infirmiers libéraux ne sont pas formés à la gestion des ressources humaines. Or, le salarié à des droits inscrits dans le Code du travail : congés, temps de repos, horaires, RTT. « Le droit du travail n’est donc pas suffisamment souple par rapport aux contraintes de notre exercice, d’autant plus avec notre obligation d’assurer la continuité des soins », ajoute-t-il. Sans oublier que le cabinet doit générer suffisamment de chiffre d’affaires pour payer le salaire et les charges de l’infirmier salarié. De fait, John Pinte conseille surtout aux infirmiers libéraux de ne pas hésiter à refuser de prendre en charge des patients. « Si nous ne sommes pas en mesure de répondre à la demande, il faut savoir dire non, conclut-il. Notre rôle n’est pas de pallier les carences du système en nous mettant en danger, ce n’est pas entendable. »
Remplacement d’IDEL et travail dissimulé : subir ou agir contre l’URSSAF
L’article R 4312-83 du Code de la santé publique est clair : « un infirmier ne peut se faire remplacer que temporairement par un confrère avec ou sans installation professionnelle. Dans ce dernier cas, et sans préjudice des règles relatives à l’assurance-maladie, le remplaçant doit être titulaire d’une autorisation de remplacement, pour une durée d’un an renouvelable, délivrée par le conseil départemental de l’ordre auquel il est inscrit. L’infirmier remplaçant ne peut remplacer plus de deux infirmiers en même temps, y compris dans une association d’infirmiers ou un cabinet de groupe. Tout contrat de remplacement est transmis, par l’infirmier remplaçant et l’infirmier remplacé, au conseil départemental ou aux conseils départementaux auxquels ils sont inscrits ». Le principe est donc la suspension de l’activité professionnelle de l’infirmier titulaire. En aucun cas, le remplacement ne peut être utilisé pour suppléer à une défaillance de l’organisation du cabinet.
Or, si l’objet du contrat de remplacement vise à faire face à l’absence du titulaire, dans les faits, on constate que certains infirmiers ont régulièrement recours à des remplaçants pour assurer la continuité des soins.
Et c’est là où l’Urssaf intervient en requalifiant ces infirmiers remplaçants en salariés, alors même parfois jusqu’à caractériser du travail dissimulé.
Aucune compassion à attendre de la part de l’URSSAF !
A titre liminaire, il est inutile d’attendre de la compassion de la part de ces organismes !
En effet, ces entités souvent brutales, où la discussion est réduite à la portion congrue, n’ont cure des difficultés des soignants ou des difficultés du citoyen pour se faire soigner. En effet le but de ces organismes et de redresser tout manquement aux règles légales, de faire du chiffre et d’être performants dans les sanctions mises en œuvre !
Certes, une procédure contradictoire existe dans les textes. Mais de fait, il ne faut pas se faire d’illusions. Cette procédure est menée avec l’inspecteur qui a déjà redressé et qui ne changera donc pas d’avis. Quant à la commission de recours amiable (première étape administrative du contentieux en matière de sécurité sociale) n’espérez pas qu’elle vous donne gain de cause. En effet la CRA est composée d’administrateurs de la caisse qui valideront bien souvent ce que le maître a décidé ! Bien souvent ce type de dossier ira jusqu’au tribunal
Y a-t-il des raisons d’espérer ?
Certes le droit (comme la médecine) ne sont pas des sciences exactes, mais des arguments existent qui peuvent être développés devant les tribunaux.
Nous nous contenterons d’en citer deux :
Pour qu’un remplaçant puisse être qualifié de salarié, il convient que l’URSSAF apporte la preuve de l’existence d’un contrat de travail et donc d’un lien de subordination Dans une célèbre décision dite Société Générale de la Cour de cassation du 13 novembre 1996 (pourvoi n°94-13187), il a été décidé que « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ». En un mot, faute pour l’URSSAF de démontrer l’existence d’ordres, de directives, de contrôles, les tentatives de requalification de l’URSSAF seront vouées à l’échec. Et justement, certains organismes avaient pensé biaiser ces obligations en mettant en avant la notion de service organisé (l’infirmier travaille dans le cadre d’un cabinet structuré) ou la notion de lien de subordination économique (s’agissant d’un infirmier dit « remplaçant » qui dépend économiquement du titulaire). Les tribunaux résistent à ces tentatives d’élargissement de la notion de lien de subordination : un tel critère ne peut être que juridique. Il appartient donc à l’URSSAF d’apporter la preuve qui lui incombe que les éléments constituant la notion de lien de subordination existent.
Qui plus est, on oublie bien souvent la notion d’abus de droit dont l’objectif est d’éluder les cotisations sociales auxquelles le cotisant aurait normalement été tenu au titre de la législation sociale s’il avait eu la qualification de salarié (art L 243-7-2 du Code de la sécurité sociale). En d’autres termes, l’infirmier titulaire a considéré comme étant travailleur indépendant une personne qui normalement aurait dû être qualifiée de salarié…. Toutefois le code de la sécurité sociale dans cette hypothèse impose un minimum de formalisme : la décision de requalification doit être prise par le directeur de l’organisme chargé du recouvrement, qui contresigne à cet effet la lettre d’observations (CSS art R 243-60-3). Or la pratique montre que très souvent cette obligation n’est pas respectée.
Donc des moyens existent pour agir, qui mis bout à bout, peuvent entraîner une nullité de procédure. Un combat contre l’URSSAF n’est pas une lutte du pot de terre contre le pot de fer… surtout si des arguments juridiques existent
Ceci étant celle-ci ne pourrait être déclarée par le tribunal qu’après un long parcours du combattant, souvent éprouvant pour ceux qui le vivent …
François TAQUET
Professeur de Droit social
Avocat spécialiste en Droit du travail et protection sociale.
www.francois-taquet.com
Laure Martin
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*Contactée par ActuSoins, l’Urssaf n’a pas donné suite à notre demande d’interview, expliquant que, pour des raisons de confidentialité, il n’était pas possible de fournir d’informations sur les contrôles en cours. L’Urssaf nous a ainsi orientés vers son site internet pour obtenir des éléments plus généralistes concernant la procédure de contrôle.
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