
La première fois que Jocelyne Garsmeur et Solenne Renot ont utilisé des pansements au miel, elles ont fait la moue. « On était un peu réfractaires »,sourient aujourd’hui ces infirmières stomathérapeutes du centre hospitalier de Saint-Brieuc. Membres de l’unité transversale de stomathérapie et de soins de plaies et cicatrisations, elles interviennent dans tous les services de l’hôpital afin de seconder leurs collègues dans la prise en charge des plaies les plus difficiles.
Sans surprise, ce sont donc ces deux infirmières de choc qui ont testé ce dispositif innovant, à l’initiative du Dr David Lechaux, chirurgien de l’appareil digestif. Tout d’abord sur une patiente de 65 ans, en 2012, pour un retard de cicatrisation. Puis sur une jeune femme en bonne santé mais souffrant de plus d’un an de retard de cicatrisation sur un kyste sacro-coccygien, malgré toutes les tentatives de soin. « En quinze jours, elle a cicatrisé définitivement. Ça nous a donné envie d’aller plus loin », se rappellent les infirmières.
Pansements au miel : de l’expérimentation aux protocoles
Peu à peu, elles ont expérimenté le miel médical pour traiter différents types de plaies. Au début, il s’agissait surtout de plaies complexes, où les soins classiques étaient inopérants. « Les chirurgiens nous donnaient leur accord, même s’ils étaient réticents, car il n’y avait plus d’autres solutions »,explique Jocelyne Garsmeur.
Pionnières, elles définissent au fur et à mesure les cas où le miel médical apporte une plus-value et établissent des protocoles de soins. Elles constatent ainsi que les pansements au miel médical sont pertinents pour « la détersion des plaies chroniques inflammatoires ou à haut risque infectieux, peu ou modérément exsudatives »,« les plaies traumatiques atones avec un pourtour inflammatoire, peu ou modérément exsudatives »,« la prévention des risques infectieux sur les cicatrices de dermolipectomie en post-opératoire »et « dans les retards de cicatrisation des plaies chirurgicales ».
« Aujourd’hui, c’est rentré dans les mœurs des équipes pour ces indications », expliquent les infirmières. Cet usage « a suivi une logique progressive, ce n’était pas un phénomène de mode,raconte Maud Loewert, pharmacienne au centre hospitalier de Saint-Brieuc. Nous avons défini pour ces pansements une classe et des indications ».
Ils « nous permettent une utilisation plus ajustée, en complément de ce que nous utilisions déjà », ajoutent les infirmières. Et grâce à cet usage ciblé, « nous pourrons comparer sur des indications précises si de nouveaux produits arrivent sur le marché »,se félicite la pharmacienne. Car celui-ci est très réduit : seule une poignée de laboratoires produisent du miel médical en France.
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Pansements au miel : des actifs spécifiques
Pas question, en effet, d’appliquer du miel alimentaire sur des plaies. « Le miel contient 450 variétés de germes différents, il doit être stérilisé pour être utilisable en médecine », précise le Dr Albert Becker, médecin généraliste et président de l’association francophone d’apithérapie (AFA). « Nous utilisons du miel médical car ses principes actifs sont dosés et contrôlés, et sa qualité est constante », témoigne Solenne Renot.
S’il est utilisé pour le traitement des plaies, c’est parce que le miel possède « des qualités sur les plans physiques et chimiques qui sont des facteurs favorisants de la cicatrisation », explique le Dr Becker. Parmi ces facteurs : son osmolarité – le miel hautement concentré est hydrophile, son application sur une plaie doit donc être très précise -, son PH acide et ses enzymes. Le miel possède également des principes actifs aux propriétés antibactériennes et antibiotiques (Bee defensine, flavonoïdes, bactéries lactiques…).
Encore faut-il qu’il soit frais ! « Le miel ne se bonifie pas avec l’âge. Le délai moyen de survie d’un miel de qualité est d’un an », indique le Dr Becker, qui préconise l’emploi de miels locaux. Il faut également choisir du miel de nectar, et non de miellat.
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Pansements au miel : des applications médicales variées
Si « les pansements représentent 98 % des activités d’apithérapie en France à l’hôpital »,d’après le président de l’AFA, les usages médicaux peuvent être plus variés. Le miel est efficace pour le traitement des brûlures superficielles ou de la toux, par exemple, mais aussi pour soulager les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. « Du pollen frais et des lavements au miel limitent les poussées douloureuses », illustre le Dr Becker.
Des études scientifiques sont aussi en cours sur les usages possibles du venin d’abeille et sur les interactions entre les bactéries du miel et le microbiote intestinal. Il s’agit d’un nouveau champ de recherches, l’usage du miel en milieu médical étant encore inexistant il y a cinq ans. « Le gros problème de l’apithérapie, c’est qu’il n’y avait pas de travaux scientifiques sérieux. On souffrait de “ patamédecins ” et d’apithérapeutes autoproclamés », regrette le Dr Becker.
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Médecin et apiculteur passionné, il a pris la tête de l’association francophone d’apithérapie en 2011. Celle-ci avait été fondée trois ans plus tôt par le Pr Bernard Descottes, aujourd’hui décédé. Alors chef du service de chirurgie viscérale du CHU de Limoges, il est considéré comme le père de l’apithérapie en France. « Nous avons créé un conseil scientifique et fait la lecture complète de l’ensemble de la littérature scientifique sur le miel », raconte le Dr Becker. Si l’Europe s’intéresse peu au sujet, les scientifiques asiatiques et brésiliens sont plus prolifiques. Aujourd’hui, l’AFA organise des congrès et dispense des formations à destination des soignants.
A Saint-Brieuc, cinq ans après leur découverte du miel médical, Jocelyne Garsmeur et Solenne Ragot sont convaincues. Cette pratique « nous a apporté une reconnaissance en tant qu’infirmières spécialisées, auprès des médecins et des chirurgiens notamment, car nous avons été à l’initiative et cela a porté ses fruits », expliquent-elles. Quant aux patients, « le miel passe bien auprès d’eux, c’est dans l’air du temps. Et pour les anciens, cela rappelle la médecine traditionnelle », sourient les infirmières.
Amélie Cano
Cet article est paru dans le numéro 25 ActuSoins magazine
(Juin/Juillet/Août 2017).
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