Avec Soignante, paru en janvier dernier, le dessinateur Yann Madé retrace les années covid vues à travers les yeux de Chloé, infirmière en CMP. Une lecture qui ne rend pas très optimiste, mais qui a le mérite de raviver des souvenirs qu’on aurait tort d’oublier.
Il s’est passé des choses positives en 2020-2021. Des élans de solidarité inédits, un jaillissement de créativité inattendu… Il s’est passé des choses positives, mais Yann Madé, en dessinant dans Soignante* le quotidien d’une infirmière et de sa famille tout au long de ces années si particulières, a choisi de nous montrer tout le reste. Le récit se concentre sur Chloé, infirmière dans un Centre médico-psychologique (CMP) qui craquait déjà avant la crise, et qui menace d’imploser sous les coups du virus. Quant à son compagnon, Serge, prof d’histoire-géo confiné-désabusé, et leurs enfants, Ju et Zoé, jeunes adultes ou vieux ados soudain privés de leur jeunesse, leur quotidien n’est pas beaucoup plus enviable.
Cet album a une propriété particulière : en évoquant cet épisode vécu, chacun à sa manière, par tous les lecteurs, il fait surgir des souvenirs que l’on croyait encore vifs, mais dont on s’aperçoit à chaque page ou presque qu’on avait tenté de les refouler dans un coin reculé de notre mémoire. Ainsi en va-t-il des mots griffonnés que Chloé et Serge retrouvent dans leur boîte aux lettres ou sur le pare-brise de leur voiture, où un auteur courageusement anonyme leur fait savoir que sachant où ils travaillent, il leur demande de « trouver à loger ailleurs » ou de « se garer un peu plus loin » pour éviter les contaminations.
Et que dire de ce patient du CMP qui ne vient pas à ses rendez-vous parce qu’étant d’origine asiatique, le racisme ambiant le pousse à ne plus sortir de chez lui et à ne plus répondre au téléphone. « Ça ne sonnait que pour insulter, justifie-t-il devant Chloé, venue le voir pour prendre de ses nouvelles. Sale niakoué ! Mangeur de chauves-souris. » Qui se souvient par ailleurs que certains soignants, comme Chloé en sortant cette visite, retrouvaient leur voiture fracturée par des voleurs à la recherche du bien le plus précieux dans ces journées sombres : les masques ?
Un passé qui ne passe pas
Yann Madé ne fait rien pour embellir ce passé douloureux : son trait montre les visages avec leurs défauts, les personnages avec leurs bassesses, la ville avec sa saleté et sa laideur… Les couleurs oscillent entre le brun et le gris… Et c’est dans ce décor volontiers asphyxiant qu’on voit les frontières entre les soignants et les patients, entre la maladie et la santé se brouiller. « C’est drôle, pas d’angoisse, pas de palpitations, pas de peur panique de mourir !, s’étonne une patiente de Chloé. Rien… C’est bizarre, hein ? En ce moment, tout le monde ressent ce que je ressens d’habitude. Du coup je me sens… normale. » Et quand un autre malade, ayant visiblement servi dans l’armée d’un pays très peu démocratique, déclare que « le plus dur […] n’est pas de tuer les gens » mais « de savoir qui on va laisser vivre et qui on va laisser mourir », la première réaction du lecteur n’est pas de savoir s’il dit la vérité ou s’il affabule : c’est de se souvenir du triage qui s’effectuait alors dans les hôpitaux pour savoir quels patients on admettait dans les réas saturées, et lesquels on était obligés de laisser dans d’autres services.
Dans cet univers un rien oppressant, Chloé et sa famille surnagent comme ils peuvent, le plus souvent entre colère et culpabilité. La colère surgit à tout moment, face au manque de moyens, à l’ineptie des décisions des politiques, au comportement d’une faisant fonction de cadre jugée bien trop peu combattive face à l’administration hospitalière… Quant à la culpabilité, elle fait irruption brutalement quand Zoé, la fille de Chloé et Serge qui travaille comme auxiliaire de vie, comprend à demi-mots qu’une personne âgée dont elle s’occupait est décédée et se demande si elle lui a « refilé le truc ».
Elle explose aussi quand Chloé et Serge écourtent un séjour de vacances à la montagne car l’infirmière ne supporte pas d’être éloignée d’un lieu de travail qui la fait pourtant souffrir. « Quand je pense à mes collègues que j’ai abandonnés… je flippe », avoue-t-elle à son compagnon. Bien sûr, Chloé, Serge, Zoé et Ju ne ressortiront pas indemnes de ces épreuves : comme bien des Français, le cours de leur vie sera profondément altéré par le virus… et c’est quelque chose qu’il n’est parfois pas inutile de se remémorer.
Adrien Renaud
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