Depuis 2021, l’équipe d’infirmiers d’Abrisanté intervient dans les foyers d’accueil et d’hébergement du Valenciennois (59). Son objectif est d’amener les résidents, tous en situation de grande précarité, à acquérir une autonomie dans la gestion de leur santé.

Il est 7 h en ce jour de début septembre. Le jour se lève et Louise Laurent, l’infirmière coordinatrice (IDEC) d’Abrisanté, s’affaire. Depuis quelques jours, elle remplace une infirmière en congés qui s’occupe des tournées quotidiennes de ce service de soins dédié aux personnes en grande précarité. L’IDEC prépare sa trousse, les sachets individuels contenant les médicaments à distribuer pour la journée ainsi que la liste de la dizaine de patients qu’elle va prendre en charge. Elle monte en voiture et active le GPS en direction de la première étape de sa tournée : le foyer Blaise Pascal, à quelques encablures des locaux du dispositif de Valenciennes.
Ce centre d’hébergement accueille des hommes isolés, sans enfant. Dehors, des personnes fument. À l’intérieur, les deux patients attendent l’arrivée de l’infirmière. « Ils sont très contents de nous voir. Ils sont toujours très polis. Ils ont besoin de parler. Et ils ont un grand besoin de considération », commente Louise Laurent. Tour à tour, ils entrent dans le bureau où l’infirmière s’enquiert de leur bien-être et leur remet le pilulier du jour.
Cet article a été publié dans le n°52 d’ActuSoins magazine (avril 2024).
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« Si on ne vient pas, ils ne prennent pas leurs médicaments, continue l’IDEC. La mission du dispositif consiste à accompagner ces personnes. On explique le but de leurs rendez-vous médicaux et on les prépare en amont. De plus, nous prenons fréquemment en charge l’organisation de ces rendez-vous pour eux, les accompagnant en tant que soutien psychologique ». La présence quotidienne d’un infirmier, l’écoute active et les échanges réguliers, jouent un rôle essentiel dans l’établissement d’une relation de confiance, se révélant indispensables pour accompagner ces patients dans la prise en main de leur santé. « L’objectif est de les encourager à se prendre en charge afin qu’ils soient capables de solliciter eux-mêmes un médecin ou une infirmière libérale. Il s’agit de développer progressivement leur autonomie en matière de santé », résume Louise Laurent.
Médiation santé
Abrisanté est une ESSIP (Équipe de soins spécifiques infirmiers précarité), ex-SSIAD Précarité, créée par l’association ASSAD de Lille et l’association AJAR (Association justice accueil réinsertion) de Valenciennes en avril 2021, à l’initiative de l’ARS Hauts-de-France. L’idée : pallier le manque d’intervention des SSIAD dans les lieux de vie accueillant ces publics en situation de grande précarité en créant un service dédié, avec des équipes mobiles. Cette initiative s’inscrit dans une démarche d’« aller vers » et de médiation santé. La région Hauts-de-France a été pionnière dans la mise en place de ces ESSIP.
Aujourd’hui, il en existe huit dans la région pour un total de 210 places, dont 25 pour Abrisanté. Par ailleurs, il s’en développe un peu partout en France.
La tournée reprend, direction des résidences sociales du territoire. Abrisanté intervient dans les 82 communes du Valenciennois, couvrant une quinzaine de structures d’accueil et d’hébergement dédiées aux personnes en grande précarité, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, de jeunes ou de personnes plus âgées. Beaucoup d’entre elles « ont des problèmes d’addiction à l’alcool et/ou à la drogue. En outre, de nombreuses personnes souffrent aussi de maladies psychiatriques, telles que la schizophrénie ou la dépression », précise Louise Laurent.
Les visites s’enchaînent. L’infirmière est reçue par les patients, généralement encore en pyjama mais sourire aux lèvres. Elle donne à chacun son traitement, se renseigne sur les rendez-vous médicaux à venir et évalue les besoins d’accompagnement. En ces jours de grande chaleur, elle conseille aussi de boire de l’eau régulièrement toute la journée. La visite d’un patient, atteint d’un cancer ORL depuis plusieurs années, demande davantage de temps : l’infirmière procède à sa pesée, mesure sa tension artérielle et vérifie sa sonde de gastrostomie. Ils échangent ensuite à propos de son traitement, de son poids qui baisse et de son alimentation. Un peu plus tard, au rez-de-chaussée du même immeuble, elle toque à la porte d’un patient qui n’avait pas ouvert plus tôt. Sans réponse de sa part, Louise Laurent demande aux travailleuses sociales de lui ouvrir l’appartement pour vérifier qu’il n’est pas tombé inconscient au sol, comme cela s’est déjà produit. Absent. L’infirmière trouve une quarantaine de pilules non prises les jours précédents, qu’elle emporte avec elle.
Humanité essentielle
Mme S. est une patiente suivie au quotidien par Abrisanté. « Sans Abrisanté, je ne sais pas comment je ferai », explique-t-elle. Pour comprendre à quel point le dispositif est crucial pour elle, il suffit de jeter un coup d’oeil aux photos accrochées au mur de son entrée : y figure l’équipe Abrisanté. Depuis trois ans, l’équipe applique ses bandages de contention, prodigue une aide partielle pour sa toilette et l’écoute attentivement. D’ailleurs, Mme S. redoute le possible arrêt de la prescription de soins infirmiers par le médecin traitant, qui estime que cette aide ne sera bientôt plus nécessaire. En attendant, rendez-vous est pris pour le lendemain.
Vers 10 h, la tournée se termine. L’IDEC retourne aux locaux d’Abrisanté. Elle retrouve Stéphane Wojak, l’autre IDE de l’équipe. Ils se transmettent les données de leurs tournées respectives, notamment en analysant les difficultés rencontrées par le locataire absent de son appartement ce matin-là. Il apparaît clairement que le résident ne suit plus son traitement et semble être retombé dans un alcoolisme sévère malgré ses nombreuses tentatives de désintoxication. « On n’aborde pas ces patients de la même manière que d’autres publics. Les attentes ne sont pas les mêmes non plus », commente Louise Laurent.
« Il faut compter avec leurs addictions, ajoute Stéphane Wojak. Pour la plupart, on ne les soignera pas de cela ». Les deux infirmiers soulignent l’importance d’établir une relation de confiance solide avec ce type de patients, particulièrement lors de ces prises en charge à domicile. C’est la seule manière pour qu’ils acceptent les soins. « L’humanité est essentielle », souligne Stéphane Wojak.
La prise en charge se distingue également par la nécessité pour les infirmiers de s’adapter en permanence aux imprévus. « Parfois, les patients ne sont pas là, ou alors ils peuvent être dans un état second, alcoolisés, ou incapables d’ouvrir la porte car encore sous les effets de la drogue. Il arrive qu’ils ne se présentent pas aux rendez-vous pris chez les médecins. Et puis il y a des changements soudains, certains retournent à la rue ou sont expulsés sans qu’on soit toujours prévenus. Il arrive aussi qu’ils arrêtent leurs traitements », détaille Louise Laurent. Pour une patiente, l’infirmière coordinatrice a réussi à mettre en place un système avec un médecin qui envoie les ordonnances à une pharmacie, où la patiente récupère ses médicaments quotidiennement. « On essaie de trouver des solutions ».
La prise d’autonomie de ces patients sur leur santé est compliquée et demande un long travail. Mais cela arrive. Stéphane se souvient de cette femme, âgée aujourd’hui d’environ 35 ans, qui après des soins par Abrisanté, s’est orientée elle-même vers une infirmière libérale. Il commente : « Sortir d’un dispositif dédié aux personnes en grande précarité est aussi une façon de sortir de la précarité ».
Alexandra LUTHEREAU
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Cet article a été publié dans ActuSoins Magazine
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