Située à trois kilomètres de Chambord, la clinique psychiatrique de Saumery, un château du XVIIe siècle transformé en hôpital depuis 1938, accueille chaque année une cinquantaine de patients. Ils peuvent se déplacer comme bon leur semble au sein de l’établissement, et sortir pour aller au cinéma, faire des courses ou encore rendre visite à leur famille.

À Saumery, les professionnels tentent de soigner autrement dans ces 20 hectares du parc boisé, au sein du château où résident des patients qui pourraient parfois être pris pour des soignants : dans cette clinique, il n’y a aucune blouse blanche !
L’établissement compte 70 salariés, 57 lits pour adultes, 15 lits pour adolescents et une dizaine de places en hôpital de jour. Les patients sont suivis pour psychoses, pathologies borderline, dépressions graves, addictions diverses et troubles du comportement.
Il fonctionne sur les principes de la psychothérapie institutionnelle, fondée sur l’idée de trois outils thérapeutiques : l’accueil permanent, la fonction du club thérapeutique et l’absence de statut.
Cette approche du soin en psychiatrie a été créée après la seconde guerre mondiale dans un mouvement politique, philosophique et humaniste, en réaction aux abominations commises pendant l’occupation : en France, à l’époque, la famine a décimé 45 000 des 100 000 patients des asiles psychiatriques.
Cet article a été publié dans le n°51 d’ActuSoins magazine (janvier 2024).
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Processus d’accueil permanent

Dans le fonctionnement de Saumery, par exemple, l’accueil ne se résume ni à l’acte d’entrer en contact ni à l’arrivée d’une personne quelque part. Il n’est pas non plus l’affaire d’un seul lieu ou d’une personne déterminée.
« L’accueil consiste en une posture quotidienne de la part des résidents et du personnel soignant », expliquent les professionnels, unanimes. Il ne se résume pas à un entretien ou à une réunion, mais prend forme à travers des interventions, des activités et de l’ambiance produites dans la vie quotidienne. « Lors de ma première visite à Saumery, avant ma prise de poste, je ne pouvais pas distinguer qui était qui dans la hiérarchie, ni savoir qui étaient les patients. Cela a donc laissé toute la place à la rencontre ! Les personnes sont accueillies dans leur singularité », se remémore Luis Tomé, infirmier à Saumery depuis 1999. Ici, la clinique est d’abord et avant tout l’affaire d’une rencontre, de ce qui se tisse entre deux êtres humains, poursuit-il. Pourtant, cette approche ne coule pas de source : l’un des troubles importants des psychoses réside dans la distorsion des relations de la personne avec elle-même et avec autrui.
Équipe pluridisciplinaire et polyvalente

À Saumery, le personnel veille à créer des ambiances variées favorisant la mise en place de lieux de parole et d’agencements collectifs pour accueillir la singularité de chacun. Dans cette nouvelle organisation du soin, les soignants sont sollicités afin de pouvoir établir avec chaque patient une nouvelle manière d’entrer en relation avec lui : libérés de certains enjeux de pouvoir, les professionnels estiment gagner en authenticité.
Dans le hall d’accueil, un tableau récapitule les sorties prévues et les différentes activités proposées par l’ensemble des équipes. Le salarié, quelle que soit sa formation initiale, est nommé « moniteur », statut unique qui renvoie au concept de polyvalence, c’est-à-dire d’aptitude potentielle à prendre des responsabilités dans tout le champ institutionnel de la clinique. Les moniteurs sont donc avec, font avec et « vivent » avec les patients. Bien sûr, seuls les infirmiers peuvent distribuer les traitements médicamenteux et pratiquer les soins relevant de leurs missions exclusives, mais à part cela, chacun, selon ses talents, désirs, connaissances et compétences, peut animer un atelier particulier : danse, musique, théâtre, informatique, dessin, cinéma, potager…

Les journées des patients sont rythmées par ces ateliers, mais aussi structurées par des travaux collectifs tels que la vaisselle, le nettoyage des espaces extérieurs et la participation à la préparation des repas.
« L’idée maîtresse est d’utiliser l’institution comme un laboratoire de liens en passant par des activités partagées, du quotidien vécu ensemble. Il s’agit de créer et pourquoi pas, de rêver ensemble ! Pour retravailler dans les liens ce qui n’a pas fonctionné auparavant et permettre aux personnes de renégocier quelque chose dans leur rapport à eux-mêmes et aux autres », explique Roxanne Hubert, psychologue clinicienne.
Ainsi, ici, le patient est activement inclus dans l’organisation de ses activités et de ses soins. L’ensemble du personnel l’accompagne dans la réalisation de ses projets au sein de l’institution et les soignants moniteurs s’organisent en tant que collectif dans lequel chacun apporte sa compétence.
Club thérapeutique

À Saumery, chaque jour, un club thérapeutique, dirigé sans distinction par des soignants et des soignés, se réunit de 10 h 45 à 11 h 45 afin d’échanger librement autour de thèmes apportés par les participants : organisation d’ateliers (musique, cafétéria, couture…), de sorties (cinéma, château de Chambord…), de voyages thérapeutiques (Belgique, Suède, Chili…) et de services communautaires (cuisine, espaces verts, laverie…).
Si le travail thérapeutique global a pour objectif de permettre au patient de sortir de sa position passive d’objet de soin, le club, lui, est un outil de travail sur l’aliénation sociale, pierre angulaire du dispositif de psychothérapie institutionnelle.
Chaque lundi, lors de l’assemblée générale du club, chaque participant reçoit un exemplaire du journal hebdomadaire, « les passagers du divan », écrit par des patients volontaires. « Il y a un édito, les actualités de Saumery, un agenda avec les activités et sorties, des pages dédiés à la création artistique comme la BD, le collage et aussi une page d’expression libre », explique Manon, résidente à Saumery et vice-trésorière du club depuis un an. « Cela m’a fait sortir de ma coquille de prendre ces responsabilités. Cela m’a beaucoup aidée et je peux dorénavant aider les autres en retour. Cela fait un an et demi que je suis ici et je me sens beaucoup plus à l’aise pour entrer en communication avec les autres. »

Le club thérapeutique représente un cadre favorisant l’autonomie, un lieu de création d’un monde commun. Ce lieu de parole collective, appelé « espace polyphonique » par François Tosquelles, l’un des inventeurs de la psychothérapie institutionnelle (1912-1994), permet de vivifier l’ambiance dans laquelle se passent les soins et favorise la transversalité entre soignants et soignés.
Absence de statut
L’idée de la psychothérapie institutionnelle, pratiquée dans les services du château mais aussi dans d’autres établissements français, est aussi de créer un espace en dehors du système administratif hospitalier afin de redonner aux soignants une certaine liberté d’action, propice à la prise d’initiative dans l’acte et la parole.

« Ici, toutes les fonctions cadres sont tenues, sous le mode du volontariat, par un collectif élu tous les trois ans comme la commission stage, la commission recrutement, la commission planning. De plus, l’association culturelle du personnel nous forme aux activités thérapeutiques, à exporter nos savoirs et nos expertises. C’est un espace collectif de recherche, d’échanges, d’ouverture et de rencontres, qui contribue à la dynamique institutionnelle », explique Luis Tomé.
« Tout salarié, quel que soit son statut, a un potentiel de soignant », précise Carole Mesnard, infirmière à la clinique depuis 1998 et chargée de la coordination de la prise en charge. Ainsi, la fonction soignante peut être détenue par un soignant mais également par l’assistante sociale, la secrétaire, le jardinier… Elle peut être partagée avec les patients volontaires en tenant compte de leurs capacités individuelles et de leur expérience de la maladie, afin d’apporter un soutien à un autre patient traversant des moments difficiles.

La nécessité quotidienne de jongler entre les statuts, rôles et fonctions est essentielle pour démanteler les structures hiérarchiques et ségrégatives, car « plus on est rigidifié dans notre statut et stéréotypé dans notre fonction, moins il y aura de liens possibles avec le patient », conclut Roxanne Hubert.
Sylvie LEGOUPI
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Cet article a été publié dans ActuSoins Magazine
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