Par temps de covid, un nouveau relationnel

En première ligne dans le combat contre le coronavirus, le personnel de santé a dû compenser le manque affectif des patients isolés, devenant ainsi leur unique interface avec le monde extérieur. Article initialement paru dans le n°37 d'ActuSoins Magazine (juin 2020). 

Virginie, 48 ans, infirmière en chirurgie à la Pitié Salpêtrière

© Anthony Micallef

« Le relationnel a changé, les patients ne voyaient que nous, leurs seules interactions étaient avec le personnel soignant. On jouait donc tous les rôles, celui de la femme, de la fille, de la maitresse…», affirme Virginie, 48 ans, infirmière en chirurgie à la Pitié Salpêtrière.

Très rapidement les visites ont été interdites et les patients se sont retrouvés isolés afin de les protéger du virus. Le coronavirus a ainsi changé le visage du milieu hospitalier et ces changements ont directement affecté le travail des soignants : « nous avons surtout dû gérer la famille, être plus attentif, donner des réponses, parfois en prêtant son propre téléphone au patient isolé. Nous avons tous pris plus de temps pour mettre des mots sur le covid, ce qui, au vu de la charge de travail, n’était pas une mince affaire », explique ainsi Yasmina Kettal, infirmière aux urgences à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis.

Le manque d’information sur le virus a également impacté les relations avec les patients : «  cette maladie nous a surpris, les données fiables se comptaient sur les doigts d’une main. Cela pousse à l’humilité. Parfois, on avait le même niveau d’information que les patients. Cela nous mettait sur un pied d’égalité », affirme Yasmina Kettal.

Luc, infirmier en réanimation dans un hôpital de Clermont Ferrand a, quant à lui, dû accueillir des patients Covid transférés de régions où les hôpitaux étaient saturés : « Parfois inconscients lors du transfert, les patients se réveillaient dans une autre région, sans leur famille et étaient donc totalement déboussolés. Il a fallu leur expliquer en toute transparence ce qu’il s’était passé », se rappelle l’infirmier. Face à cette situation inédite, il affirme s’être senti « démuni » : « Il faut s’adapter au patient, le rassurer… on se sent parfois impuissant », explique-t-il.

Davantage de temps pour faire son métier 

Fort heureusement, la réorganisation des services et la mobilisation du personnel soignant a également eu un impact positif : « il y avait un infirmier pour quatre ou cinq patients covid alors qu’en temps normal, chaque infirmier a entre six et quinze patients. Nous n’étions plus seulement des spécialistes qui enchaînaient des actes techniques mais nous pouvions également prendre le temps d’échanger avec les patients », se réjouit Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Virginie confirme : « nous avions plus de temps pour faire notre métier de soignant, discuter avec les patients, écouter leurs angoisses. Pour nous c’est plus agréable car le relationnel est une part importante de notre métier, et cela, les patients l’ont apprécié. »

Mais pour Sophie, infirmière à Paris, cela ne suffit pas, car la charge de travail est restée tout aussi importante : « même si on passe cinq ou dix minutes avec le patient pour l’apaiser, on pense à tout ce qui nous attend après, car le travail continue. On est là et pas là en même temps. Cela engendre de la frustration », regrette-t-elle.

Dans les Ehpad, l’isolement

 Les Ehpad également ont dû fermer leurs portes et mettre en place des procédures strictes de confinement, isolant encore plus les personnes âgées : « j’ai constaté une recrudescence des demandes de consultations psychologiques. », affirme Bérénice, infirmière pour la plateforme de télé-consultation Tok Tok Doc. 

Selon Arnaud Campéon, sociologue et enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) la protection de la santé des résidents s’est parfois faite au dépens de l’aspect social : « pour certains directeurs d’établissement, c’était difficile de se résoudre à fermer les portes et à interdire les visites. Cest un choix éthique difficile », explique-t-il.

C’est notamment pour cette raison que Valérie Martin, directrice de l’Ehpad Vilanova de Corbas près de Lyon a décidé de se confiner avec son personnel au sein de son établissement dès le 18 mars (2020, ndlr). L’objectif ? Permettre aux résidents de vivre normalement le plus longtemps possible : « je suis directrice de maison de retraite, pas directrice de prison, pour moi il était hors de question de priver les résidents de leurs droits fondamentaux en les confinant dans 20 m2 (…)», affirme-t-elle.

Cette nouvelle intimité partagée a ainsi permis de renforcer les liens avec les patients. Le personnel soignant connaissait mieux les besoins de chacun des résidents : « la prise en charge globale était donc beaucoup plus fluide », raconte Valérie Martin.

Ce n’est cependant pas le cas dans tous les établissements. Pour Gilles*, aide soignant dans un Ehpad strasbourgeois, les résidents ont pâti de la surcharge de travail des soignants « Nous étions moins présents parce qu’il avait de nouvelles choses à mettre en place. Par exemple, comme il n’y avait pas d’animateurs, c’était à nous d’organiser des ateliers », explique-t-il.

Pour Guillaume Gontard, président de la Fédération nationale des associations daides-soignants, le manque de matériel de protection en début de crise et la peur du virus se sont ajoutés à cette charge de travail : « cela a créé une atmosphère de panique et d’angoisse. Nous transmettions notre stress aux patients », regrette-t-il.

 « Il faut que la bonne humeur transpire le masque »

 Arnaud Campéon affirme que le personnel des Ehpad a dû « redoubler d’efforts » pour s’adapter, être la jonction entre le résident et sa famille et permettre de maintenir le plus possible les liens sociaux des résidents et ce, « alors que les conditions de travail étaient objectivement compliquées ».

Par ailleurs le renforcement des procédures d’hygiène et de distanciation sont durs à vivre pour les patients. Pour les infirmiers libéraux le port du masque et des gants rend la visite à domicile moins convivial et plus distante.

Gilles explique que dans les Ehpad il est presque impossible de faire respecter la distanciation sociale : « Les résidents ont besoin de contacts physiques. Si un résident vient pleurer sur mon épaule, je ne peux pas le repousser. Quant au masque, certains essaient parfois de nous l’arracher, s’ils ne nous reconnaissent pas ou si le soin ne leur plaît pas. » A Vilanova, la directrice demande ainsi aux soignants d’exagérer les expressions de leur visage pour compenser le port du masque : « il faut que la bonne humeur transpire le masque », affirme-t-elle.

Sortir d’une gestion économique

Après plus de trois mois de crise (cet article est paru en juin 2020, ndlr), les soignants restent sceptiques quant à quelconque amélioration de leur conditions de travail : « Il n’y aura pas de changement par rapport à l’anormalité antérieure », estime Thierry Amouroux. Virginie aussi est en colère, comme beaucoup, l’infirmière espère une véritable revalorisation. Pour Guillaume Gontard, c’est le moment de renforcer les effectifs dans les Ehpad : « Il faut sortir de cette gestion économique permanente qui passe au-dessus de l’humain. »

Arnaud Campéon reste optimiste, pour lui la crise a permis de mieux connaitre le quotidien des soignants dans les établissement médico-sociaux : « J’espère que tout le travail réalisé pendant ces derniers mois va vraiment être valorisé. Une valorisation salariale, mais surtout une reconnaissance sociale. », affirme-t-il.

Sara Saidi

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Cet article est initialement paru dans le n°37 d'ActuSoins Magazine (Juin 2020). 

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