Relation de soins : tu ne mentiras point ?

Si le mensonge est condamnable dans la relation de soins, la vérité est-elle toujours bonne à dire ? Une question éthique vieille comme la médecine, que se posent autant les médecins que les personnels paramédicaux. Cet article est paru dans le n°35 d’ActuSoins Magazine (décembre 2019).

Des patients à qui on n’annonce pas, tout de suite du moins, la découverte fortuite d’une tumeur.

D’autres qui sont transférés dans un service de soins palliatifs sans en connaître le motif.

Un jeune patient à qui on n’explique pas que le traitement contre l’hypertension prescrit peut entraîner des troubles de l’érection, pour s’assurer qu’il le suive bien.

Ou encore un malade qu’on ne dément pas, quand il s’exclame, soulagé, « j’avais peur que ce soit de nouveau un cancer », après lui avoir annoncé que des métastases avaient été traitées.

Autant de situations vécues qui posent la question du vrai et du faux, du dit et du non-dit, autrement dit du mensonge dans la relation de soins entre patients et soignants. Faut-il toujours dire la vérité, rien que la vérité aux patients ? La question ne date pas d’hier.

Depuis les débuts de la médecine, les philosophes et les praticiens se sont interrogés sur les bénéfices et les désavantages à mentir dans la relation de soins.

Pendant des siècles, alors que le mensonge est proscrit, notamment par religion, il est pourtant justifié voire recommandé en médecine.

C’est ce qu’on désigne comme le « mensonge médical ou thérapeutique ».

Il s’agit d’éviter au malade une vérité trop difficile à entendre qui pourrait le plonger dans le découragement et la dépression et, par conséquent, accentuer son mal ou même précipiter sa mort.

Tandis que des paroles encourageantes et bienfaisantes sont de nature à rassurer le patient et peuvent participer à sa guérison.

« Les mots ne doivent donc pas accentuer l’affaiblissement du malade déjà infantilisé par l’atteinte pathologique et vis-à-vis duquel se justifie une attitude paternaliste », résume Bernard Hoerni, cancérologue émérite, président de la Section Éthique et déontologie du Conseil national de l’Ordre des médecins dans les années 1990 dans son article « Vie et déclin du mensonge médical » publié en 2005.

Déclin du mensonge médical

À partir de la deuxième partie du 20ème siècle, une réflexion éthique sur l’usage du mensonge dans la médecine couplé à un mouvement sociétal profond pour la reconnaissance des droits des individus et leur émancipation vont faire évoluer cette position.

Peu à peu, la médecine passe d’un modèle paternaliste à un modèle autonomiste. « Cela a commencé à changer dans les années 80, explique Dr Hoerni. Dans le centre de lutte contre le cancer où je travaillais, nous avons progressé vers une vérité plus convenable quand les patients nous le demandaient ».

Ces évolutions se traduisent, en 1995, par l’actualisation du code de déontologie médicale avec l’ajout de l’article 35 qui reconnaît que « le médecin doit à la personne […] une information loyale, claire, appropriée ». « Le terme “loyal” est très important. Nous l’avons fait ajouter car, jusque-là, les médecins avaient été déloyaux », souligne Bernard Hoerni.

Puis, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite Loi Kouchner, est venu asseoir le principe du respect de l’autonomie des patients en mettant l’accent sur le droit à l’information et le consentement éclairé.

Cela dit, il existe toujours dans le code déontologique la possibilité donnée aux médecins de ne pas tout révéler : « … dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves ».

Un paradoxe donc, pour le médecin, obligé d’informer avec la possibilité de ne pas tout divulguer.

De son côté, le code de déontologie de l’Ordre national des infirmiers (ONI) stipule que « l’infirmier a le devoir d’informer le patient mais ne peux pas empiéter sur les compétences des autres professionnels, notamment celles du médecin en ce qui concerne le diagnostic médical », nous explique l’ONI.

« Finalement les infirmières sont tributaires de l’annonce faite par le médecin », explique Laurie, infirmière dans une clinique privée.

Et cela peut leur poser des dilemmes éthiques, alors même que les infirmières sont au contact régulier des patients, auprès de qui elles apparaissent plus accessibles et disponibles pour échanger.

Malaise

Dans son résumé de situation complexe authentique (RSCA)[1] réalisé dans le cadre de son diplôme universitaire Accompagnement et fin de vie, Emmanuelle Avrillon, infirmière dans une clinique privée en Ile-de-France relate le cas d’une patiente, la cinquantaine, mère d’un garçon de 23 ans, à qui on découvre fortuitement un cancer avancé du pancréas.

Le chirurgien n’annonce pas à sa patiente la gravité de son état de santé. Lors des soins, la patiente s’ouvre à l’infirmière et lui explique son inquiétude, le sentiment qu’on ne lui dit pas toute la vérité et sa peur de mourir.

Face à ses angoisses, Emmanuelle Avrillon, ne pouvant lui divulguer des informations médicales, est mal à l’aise. « Je ne sais pas quoi lui répondre et j’occulte la plupart de ses questions soit en répondant à côté, soit en m’abstenant de répondre », écrit-elle.

Au départ de la patiente vers un autre établissement, Emmanuelle Avrillon rassure sa patiente en lui disant qu’il n’y a pas de raison pour ça n’aille pas.

« Je ne suis pas satisfaite de ma prise en charge », résume-t-elle. Puisqu’elle ment à sa patiente. Et que c’est contraire à une relation de soins de qualité. « Dans la relation de soins, on instaure un climat de confiance, d’empathie. Mais si on ment aux patients et qu’ils l’apprennent c’est dramatique. Ils se sentent alors trahis, perdent confiance dans le médical et le paramédical », souligne Emmanuelle Avrillon.

Faudrait-il alors dire toute la vérité tout le temps, tout de suite ? Dans la réalité, en fonction des cas, des personnes et des situations, il peut être difficile de tenir cette position et celle-ci n’est pas systématiquement souhaitable.

Laurie se rappelle du cas d’un patient au courant de la progression de son cancer, la chimiothérapie ne faisant pas effet.

Alors que le pronostic vital du patient est engagé, de nouveaux examens montrent une prolifération importante des métastases. « Faut-il lui dire que son espérance de vie, déjà faible, s’est encore réduite ?, s’est alors interrogé l’infirmière. Surtout que le pronostic n’est une qu’une statistique et qu’il peut être déjoué ».

A ces questions s’en ajoutent d’autres, comme autant de données à prendre en compte pour décider ce qui est le plus bienfaisant pour le patient : Qu’est-il prêt à entendre ? Comment le savoir ? Comment va-t-il comprendre et interpréter ce qui lui est annoncé ? Faut-il tout annoncer en une seule fois ?

Annoncer au bon moment

Face à toutes ces interrogations, le moment d’annonce d’un diagnostic grave apparaît donc comme crucial et structurant dans la relation de soins, bien que violent pour le patient et aussi pour le médecin à qui revient la fonction ou pour le personnel paramédical. Comment dès lors appréhender ce moment au mieux ?

« Ce qui paraît important est de répondre aux questions des malades, explique Bernard Hoerni. Sauf qu’ils ne demandent pas toujours, ni de façon claire. Le médecin ne doit pas aller plus loin que ce que les patients veulent savoir. C’est pourquoi, l’annonce doit être progressive, par étapes, ponctuée de questions : “Est-ce que vous avez compris ?”, “Qu’avez-vous compris ?”, “Avez-vous d’autres questions ?”».

De son côté, Emmanuelle Avrillon insiste sur la nécessité de respecter les besoins du patient. « Il ne faut pas les forcer à entendre une vérité qu’ils ne sont pas prêts à entendre », rappelle-t-elle. « Ne pas mentir est plus important que dire la vérité. En effet, ne pas mentir est clair tandis que la vérité est floue. La vérité doit être celle du malade », conclut le cancérologue. Du cas par cas donc.

L’espace Ethique de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’est penché sur la question et a rédigé l’article La relation de soin à l’épreuve du mensonge, publié en 2017.

Il y développe l’idée de Kairos ( temps dans le sens moment). « Une juste mesure est à rechercher dans un parcours de vérité en saisissant le “kairos” ou le bon moment”», peut-on lire.

C’est-à-dire « un parcours d’annonces, jalonné par le temps et les incertitudes, pour laisser au patient de bien la comprendre, répondre à ses questions, et de permettre aux patients et sa famille “d’investir le temps présent”, et donner du sens au temps qu’il lui reste à vivre ».  

Quelle place pour les infirmiers dans l’annonce ?

Dans la clinique où travaille Pauline[2], infirmière en service chirurgie dans l’Est de la France, après la multiplication de cas de découvertes fortuites de cancer lors d’opérations urologiques, il a été décidé de structurer les moments d’annonce.

Et ainsi de mettre fin à des situations douloureuses pour les équipes paramédicales. Cela se fait avec le médecin, en présence d’une infirmière d’annonce, « qui est là pour le soutien psychologique nécessaire ».

Surtout, ce dispositif soulage : « Nous nous sentons plus à l’aise. Pour nous c’est un poids en moins, nous n’avons plus besoin de cacher les choses, nous pouvons en parler avec le patient. Et nous savons quelles informations ont été données par le médecin », souligne Pauline.

Une idée intéressante pour Laurie, alors que ce dispositif n’est pas mis en place dans son établissement : « Les patients sont souvent désemparés au moment de l’annonce. Ils ne posent pas toutes les questions. C’est un mécanisme de défense. L’intérêt d’une infirmière d’annonce est qu’elle pourra répondre à toutes les questions ultérieures du patient ou de ses proches ».

Reste qu’un tel dispositif nécessite du temps et un espace intime. Des moyens dont manque la clinique où travaille Emmanuelle Avrillon, auxquels s’ajoute un turnover important, ce qui empêche la mise en place durable d’un tel dispositif.

Pour autant, grâce à la réflexion menée dans le cadre de son RSCA, l’infirmière sait comment elle réagirait face une situation similaire : « Je ferais intervenir la cadre de service pour qu’elle en parle avec le médecin et que soit organisé une réunion d’échanges interdisciplinaire avec des praticiens extérieurs, explique-t-elle. Ces réunions devraient être obligatoires dans certains cas ».

Ce qu’elle ne sait pas en revanche, c’est l’attitude qu’elle aurait adopté si elle avait eu la possibilité de donner les informations demandées par la patiente atteinte d’un cancer du pancréas. Aurait-elle dit toute la vérité ? « Je ne sais pas ».

Article 13 du code de déontologie de l’Ordre national des infirmiers stipule : « L’infirmier met en œuvre le droit de toute personne d’être informée sur son état de santé dans le respect de ses compétences professionnelles.

Cette information est relative aux soins, moyens et techniques mis en œuvre, à propos desquels l’infirmier donne tous les conseils utiles. Elle incombe à l’infirmier dans le cadre de ses compétences telles que déterminées aux articles L. 4311-1 et R. 4311-1 et suivants. Dans le cas où une demande d’information dépasse son champ de compétences, l’infirmier invite le patient à solliciter l’information auprès du professionnel légalement compétent.

L’information donnée par l’infirmier est loyale, adaptée et intelligible. Il tient compte de la personnalité du patient et veille à la compréhension des informations communiquées. Seules l’urgence ou l’impossibilité peuvent dispenser l’infirmier de son devoir d’information.

La volonté de la personne de ne pas être informée doit être respectée. »


[1] « En tant qu’infirmière, quel(s) mensonge(s) en réponse aux questions d’un patient non-informé de son diagnostic grave ? » : Résumé de situation critique authentique rédigé par Emmanuelle Avrillon pour le Diplôme Universitaire « Accompagnement et fin de vie » Année universitaire : 2015 – 2016 – https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01429669 

[2] Le prénom a été modifié

Cet article est paru dans le n°35 d’ActuSoins Magazine (décembre 2019)

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