Intelligence artificielle dans les soins infirmiers : menace ou opportunité ?

L’utilisation d’outils d’intelligence artificielle (IA) dans le domaine médical et paramédical est encore confidentiel mais il progresse très rapidement. Avec quelles conséquences pour la pratique infirmière?

© ShutterStock

Algorithme de diagnostic de pathologies, infirmière virtuelle d’éducation thérapeutique, robots de stimulation neuro-cognitive en Ehpad, outils d’analyse de données pour une population définie…

Après avoir conquis notre quotidien, l’intelligence artificielle* (IA) progresse dans le champ médical, avec la promesse de révolutionner le diagnostic médical.

Cela fait « environ cinq ans que nous assistons à une diffusion de cas d’usage appliqués dans ce domaine », rappelle David Gruson, fondateur de l’initiative Ethik-IA, qui défend une "régulation positive" de l'intelligence artificielle en santé.

« Le champ principal de développement, c’est l’apprentissage machine de reconnaissance d’images, explique-t-il. Il s’agit d’entraîner un algorithme à repérer le signe ou l’absence de signes de pathologies à partir d’une image numérique (scan, IRM, cliché de la peau...) ». Et déjà des algorithmes sont fonctionnels dans le diagnostic de la rétinopathie, du diabète, du mélanome, ou encore dans l’analyse des mammographies ».

Le déploiement de ces technologies s’accélère depuis trois ans avec l’engagement des pouvoirs publics (Plan « Ma Santé 2022 ») et le développement de l’IA sur les fonctions support (logistique, administration, gestion du système de santé).

Plus récemment encore, la crise du Covid 19 a démocratisé l’utilisation des télésoins, dont certains s’appuient sur des outils d'accompagnement algorithmique. « Il y a un développement tout à fait majeur de l’IA. Et les professionnels infirmiers sont en première ligne de son déploiement ». 

Mise à disposition, pas substitution

Quand il s’agit de robotisation et d’automatisation, la peur qui revient est celle du remplacement de l’humain par la machine.

La réalité est que ces outils peuvent la plupart du temps remplacer des tâches mais pas tout un métier.

Pour Marie-Astrid Meyer, infirmière en pratique avancée au sein du GHU Paris psychiatrie et neurosciences, au contraire, ces outils pourraient remettre de l’humain au coeur du métier d’infirmier, avec la suppression de certaines tâches, facilement automatisables et présentant une faible valeur ajoutée.

« Dans le cas d’un robot qui ferait les prises de sang à la place de l'infirmière, cela ne signifierait pas que cette dernière disparaisse, illustre-t-elle. Elle pourrait accompagner le soin en l’expliquant ou en calmant les peurs et le stress du patient… Ou bien, elle pourrait consacrer son temps à d’autres soins nécessitant son expertise ».

David Gruson abonde : « Ces outils sont mis à la disposition des professionnels de santé. Mise à disposition mais pas substitution ».

Garantie humaine

Mais surtout pour l’expert, l’arrivée de l’IA dans le champ médical est l’occasion de réévaluer et redéfinir le métier d’infirmier. Quel sera le rôle des infirmiers dans le déploiement et l’utilisation de ces outils ? Quelles nouvelles articulations entre leurs tâches et celles des médecins peuvent-être être mises en place ?

Ces questions sont par exemple étudiées dans le cadre du projet Dental Monitoring, accompagné par Ethik-IA.

L’outil algorithmique analyse les prises de vues photos et vidéos intra orales effectuées avec un smartphone.

Dans le cas de son déploiement dans des Ehpad, l’idée serait que le personnel paramédical soit en charge des prises de vues et accompagnerait l’analyse faite par l’outil.

Un chirurgien-dentiste interviendrait dans un second temps, pour confirmer ou infirmer les problèmes bucco-dentaires détectés par l’outil. « Ces réflexions entrent en écho avec celles à propos de la délégation de compétences et de pratiques avancées », souligne David Gruson.

Non seulement, le personnel infirmier aurait en charge la supervision de ces opérations mais il assurerait également la « garantie humaine ». Ce principe éthique a d’ailleurs été introduit en juillet 2020 au moment de l’adoption de la loi bioéthique.

L’idée est qu’aucune machine ne puisse prendre des décisions médicales ou paramédicales seules, sans l’intervention d’un Humain. « Le risque serait d’aller vers une prise en charge automatisée, machinale qui s'écarterait de l’attention à l’autre, qui est d’ailleurs au coeur du métier d’infirmier ». D’où, selon lui, l’opportunité que ces professionnels « jouent un rôle de mise en oeuvre de ces méthodologies de supervision humaine de l’IA ».

Ne pas subir

Marie-Astrid Meyer, qui fait partie du board scientifique de ResilEyes, un outil d’intelligence artificielle en psychiatrie, ne dit pas autre chose. Les professionnels infirmiers doivent s’impliquer dans ces projets. D’une part pour « ne pas subir » des technologies ou des processus. D’autre part, pour garantir que « les outils sont bien adaptés aux besoins » et qu’ils sont « bénéfiques aux patients ». 

Reste qu’aujourd’hui, non seulement les personnels n’ont pas le temps, ni les moyens, de travailler sur de tels projets mais que, bien souvent, les professionnels paramédicaux méconnaissent le sujet.

C’est pourquoi David Gruson et Marie-Astrid Meyer insistent sur le besoin de sensibiliser les infirmiers à ces questions en formation initiale et continue, pour « développer leur sens critique ». A titre expérimental, un module IA en santé va être enseigné à partir de cet automne dans un IFSI d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Le début d’une prise de conscience peut-être.

Alexandra Luthereau

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*L’intelligence artificielle : ensemble des techniques visant à permettre à des machines de mimer le fonctionnement de l’intelligence humaine, tout particulièrement sa logique lors de prise de décisions. Pour cela, l’IA repose sur des algorithmes qui sont une suite

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