Plainte des soignants contre la gestion du covid : « La justice permettra d’obtenir une vérité politique »

Le 2 juillet, l’avocat du collectif Inter-Urgences, Arié Alimi, annonçait lors d’une conférence de presse le dépôt d’une plainte, longue de 23 pages, avec constitution de partie civile, portant sur « les infractions commises dans le cadre de la crise sanitaire » en France. Une première qui ouvre de nouvelles perspectives judiciaires. La parole à Yasmina Kettal, infirmière et membre du collectif Inter-Urgences, et à Arié Alimi.

Plainte des soignants contre la gestion du covid : La justice permettra d’obtenir une vérité politiqueQuelles sont les infractions pour lesquelles vous portez plainte ?

A.A. Le collectif Inter-Urgences pense que le personnel hospitalier peut revendiquer un préjudice lié à quatre infractions : l’abstention volontaire à prévenir un sinistre, un délit non intentionnel d’homicide involontaire, des blessures involontaires, enfin la mise en danger d’autrui. Ce qu’ils ont vécu dans leur chair, en tant que piliers de la France face aux patients contaminés, pendant cette période de confinement, doit suivre une procédure pénale. 

Quels sont les questionnements à la base de cette plainte ?

A.A. Nous nous demandons par exemple pourquoi les stocks de masques et les impératifs fixés par des normes réglementaires n’ont pas été respectés, ce qui a abouti à un grand nombre de contaminations. Dès le 24 janvier, l’OMS indiquait pourtant de tester et de dépister le plus tôt possible les cas potentiels. Or la France ne l’a pas fait. Pour rappel, le 7 mars encore, Emmanuel Macron se rendait au théâtre ! Nous pensons que le gouvernement avait initialement opté pour l’immunisation collective avant de changer d’avis.

Quel lien faire entre la dégradation des conditions de travail des personnels soignants et la gestion de la crise ?

Y.K. Nos conditions sont extrêmement dégradées depuis longtemps. Pendant la crise, nous avons été témoins de pénuries évidentes, et avons expérimenté des difficultés dans notre exercice, avec ce sentiment d’insécurité au quotidien et la peur au ventre. Les protocoles (pour le port du masque par exemple) ont évolué avec le temps… Mais en fonction des recommandations scientifiques ou de la gestion de la pénurie ? On estime que l’on ne pouvait pas tout prévoir, mais à défaut, le principe de précaution aurait du être appliqué. Ce n’est pas une chasse aux sorcières – nous avons volontairement porté plainte contre X- mais nous voulons comprendre d’où viennent les défaillances et à quel moment elles se sont produites, pour pouvoir passer à autre chose. Il est temps de rendre des gens responsables. C’est d’autant plus important qu’au quotidien, nous soignants, sommes tenus pénalement responsables de nos actes.

A.A. Impossible de ne pas faire le lien entre la stratégie budgétaire des vingt dernières années, puisque nous sommes passés d’un hôpital de stock à un hôpital de flux tendu. A l’aune de la crise, nous avons vu, plus que jamais, le manque de lits, de matériel nécessaire à la prise en charge… Les règles fixées sous Xavier Bertrand n’ont pas été respectées, ce qui revient à dire que l’État ne respecte plus ses propres règles.

Y.K. Le principe de précaution aurait dû s’appliquer par la distribution massive de masques, aux soignants comme aux patients. Malheureusement, nous avons dû faire des choix et accepter de passer de recommandations encourageant largement l’usage des FFP2 à d’autres expliquant qu’ils n’étaient nécessaires que pour les soins de proximité.

Pourquoi une plainte avec constitution de partie civile ?

A.A. Les auditions de la commission parlementaire ont commencé, mais elles sont très mal organisées. Par ailleurs, Agnès Buzyn ne répond pas aux questions qui lui sont posées concernant les manques de commandes de masques. D’où la nécessité qu’une enquête préliminaire soit menée et que les questions soient posées par des juges d’instruction quand ils seront saisis, dans un délai de trois mois maximum. L’ouverture d’une enquête va permettre des perquisitions au Ministère de la santé, d’avoir accès à des dossiers de l’administration, des documents qu’aujourd’hui personne n’est en mesure d’avoir.

Y.K. Cet événement est marquant dans nos vies, professionnelles comme personnelles (je viens des urgences du 93). Nous avons le sentiment que l’on a joué avec la vie des gens, avec nos vies, comme si nos existences n’étaient pas si importantes que ça. Mais nous ne pourrons pas revenir au système d’avant. Nous ressentons beaucoup de colère.

Quels sont les autres types de plaintes qui ont pu être déposées ?

A.A. Les plaintes déposées auprès de la cour de justice de la République visent à juger les ministres en exercice. Mais dans notre cas, il appartient à un juge d’instruction de déterminer quelles sont les responsabilités sur des fautes pénales que nous pressentons.

 

Propos recueillis par Delphine Bauer

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