Prescriptions : l’Espagne ouvre la voie

Alors que les infirmières françaises peuvent désormais se former à la pratique avancée leurs consœurs espagnoles ont acquis le droit de prescrire des médicaments. Pour une meilleure autonomie dans la pratique quotidienne, et donc une meilleure prise en charge des patients. Article paru dans le n°31 d'ActuSoins Magazine (décembre 2018).

Prescriptions infirmière : l'Espagne ouvre la voie

Il est évident que la possibilité de prescrire sans avoir à disposer d'une ordonnance établie par le médecin permet d'intervenir avec beaucoup plus d'autonomie. © Banc Imatges Infermeres

Le 23 octobre 2018 marque « un avant et un après » pour les infirmières en Espagne. C'est en effet la date de promulgation officielle du décret ministériel autorisant les IDE à prescrire des médicaments.

Tous les médicaments qui ne nécessitent pas de diagnostic médical sont immédiatement concernés par cette nouvelle réglementation nationale. Les infirmières espagnoles peuvent aussi prescrire des médicaments nécessitant un diagnostic médical, selon les protocoles élaborés en concertation avec le corps médical et les autorités sanitaires.

Le décret du 23 octobre 2018 fixe un cap de deux ans pour établir l'ensemble de ces protocoles mais, dans un pays très décentralisé, certaines régions sont plus avancées que d'autres, comme la Communauté Autonome d'Andalousie, dont les services de Santé travaillent sur le sujet depuis 2009. Les protocoles de prescription qui y ont été élaborés concernent aujourd'hui un millier de pathologies et traitements.

Pour l'infirmière andalouse Susana Rodriguez, qui exerce à Séville : « nombre de nos protocoles serviront de modèles au niveau national, parmi lesquels ceux qui concernent les soins palliatifs, les risques vasculaires ou la prise en charge  des maladies chroniques ». Dans ce dernier cas, l'infirmière cite notamment les patients nécessitant la prise d'anti-coagulants. « Il est évident que la possibilité de prescrire sans avoir à disposer d'une ordonnance établie par un médecin  permet d'intervenir avec beaucoup plus d'autonomie, donc avec davantage de souplesse et d'efficacité ». Exemple concret : « lorsqu'il fallait ajuster les quantités d'insuline à un patient diabétique, souligne Susana Rodriguez,nous devions en théorie passer par le médecin, alors que la formation et les protocoles déjà établis nous permettaient parfaitement d’intervenir directement. Depuis plusieurs années, en Andalousie, nous pouvons nous affranchir de cette ordonnance. Avec la signature de ce nouveau décret, c’est désormais possible partout en Espagne ».

Fin d'une insécurité juridique

Il en va donc d'une meilleure prise en charge des patients - « plus individualisée » -, estime Susana Rodriguez, et d'une meilleure qualité des soins. Il ne s’agit pas pour autant de s’affranchir des autorités sanitaires ni des avis médicaux ajoute Liliana Mendez, qui exerce dans un hôpital de Madrid, « puisque tous les protocoles sont établis en concertation avec les médecins ». 

Pour ce qui concerne le soulagement de la douleur, l'intervention directe à travers ces protocoles pré-établis apparaît comme une solution logique, là où une première prescription médicale était auparavant nécessaire. « C'est particulièrement important en gynécologie et obstétrique, pour la gestion d'un accouchement. Dès l'arrivée de la parturiente, nous devons souvent décider de manière tout à fait autonome d'injecter de l'ocytocine, explique Liliana Mendez. Et c'est encore plus crucial lorsque nous assistons des équipes d'urgence sans la présence d'un médecin. Le temps de réaction est réduit au minimum et une seule minute peut faire la différence entre la vie et la mort ».

« En réalité, le décret autorisant les IDE à prescrire reconnaît enfin une pratique courante et met un terme à l'insécurité juridique qui pesait sur notre profession », explique Nuria Cuxart, doyenne de l'Ordre des Infirmières en Catalogne.

Une évolution de « bon sens »

« C’est une sécurité pour l'infirmière, et c'est une sécurité également pour le patient », reprend Susana Rodriguez. L'infirmière catalane se souvient de situations ubuesques de patients à qui elle devait montrer comment soigner une plaie et utiliser les médicaments adéquats... avant de les envoyer chez le médecin pour obtenir la prescription : « Il  était absurde d'envoyer le patient faire la queue pour obtenir la prescription des médicaments alors que je venais de lui demander de prendre ! »

Dans le cas des vaccins, l'aberration est encore plus évidente, puisque ce sont ici les autorités sanitaires qui déterminent un calendrier de vaccinations en concertation avec les médecins, les infirmiers, les vétérinaires et les biologistes... La prescription médicale préalable était donc ici un pur « non sens », selon Nuria Cuxart, étant donné que l’administration d'un vaccin programmé dans le cadre d'une politique de prévention ne nécessite pas de diagnostic.

« Le comble avec les vaccins, c'est que nous avions d'un côté une autorité sanitaire qui nous interdisait de les prescrire, et de l'autre des usagers qui nous menaçaient de porter plainte s'ils tombaient malade sans avoir été vaccinés », ajoute l’infirmière catalane.

« D'ailleurs, au cours des huit ans d'expérimentation de la prescription infirmière en Andalousie, nous n'avons jamais eu de réclamation, ni de la part du corps médical, ni des patients », précise  Susana Rodriguez.

Francis Mateo

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 Une victoire pour l’Ordre des infirmiers

Le Conseil Général d’Infirmerie espagnol (équivalent de l’Ordre national Infirmier), qui a mené les négociations ayant abouti au droit de prescrire, se félicite d'une « avancée historique » pour la profession :  « c'est une évolution très positive, car nous avons obtenu par ce décret un objectif que  nous poursuivions depuis quinze ans », explique son secrétaire général Diego Ayuso ; « Nous avons ainsi les moyens d'un exercice beaucoup plus agile, beaucoup plus rapide et plus souple, permettant effectivement aux infirmières d'agir en rapport avec leurs capacités... La nouvelle réglementation donne surtout toute la sécurité juridique nécessaire pour exercer dans les meilleures conditions ».

Certes, les infirmiers ont du faire face aux réticences d'une partie du corps médical. « Mais dans leur grande majorité, souligne-t-il,ils reconnaissent que ce décret ne fait que valider en partie des pratiques déjà existantes, sauf qu'elles étaient effectuées auparavant en dehors d'un cadre juridique. Et surtout, c'est un texte qui va dans le sens d'une amélioration de la santé publique, donc nous avons tous à y gagner : infirmiers, médecins et autorités sanitaires ».

Parmi les concessions qui ont été faites pour arriver à l'adoption du décret, le Conseil Général d’Infirmerie a accepté un délai minimum d'un an d'expérience après obtention de leur diplôme avant que les infirmières ne puissent prescrire, « mais les IDE disposent en réalité déjà de toutes les compétences qui font partie de leur formation », précise son secrétaire général.

À retenir

  1. Quelles sont les conditions pour prescrire ?

Tous les infirmiers et infirmières devront être accrédités comme « prescripteurs ».

  1. Qui accrédite ?

Les services sanitaires des Communautés Autonomes.

  1. Quel est le niveau de formation et d’expérience requis ?

- Diplôme d'IDE ou équivalent

- Justifier d'une expérience professionnel d'un an au minimum ou valider un module d'adaptation de l'administration sanitaire (formation et évaluation gratuites)

- Dans le cadre des spécialités : avoir un diplôme d'infirmière spécialisée

  1. Une infirmière étrangère peut-elle être accréditée à prescrire ?

Oui, à condition de satisfaire aux exigences pré-citées.

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