« Première année » : un film intense sur l’amitié… et la PACES

La rentrée cinématographique se déroule décidément sous le signe du monde médical. Il y a trois semaines, Nicolas Philibert, déjà auteur de documentaires sur des professions essentielles et peu reconnues (instituteur d’une classe unique dans « Etre et avoir », coulisses du service public de la radio dans « La maison de la Radio » etc.) sortait « De chaque instant », où il filmait avec pudeur les atermoiements, les doutes et les réussites des étudiants infirmiers tout au long de leur première année d’IFSI. C’est au tour du réalisateur Thomas Lilti de s’attaquer à un autre monument des études médicales : la fameuse Première Année Commune aux Etudes de Santé, fréquentée par les futurs médecins, dentistes, pharmaciens et sages-femmes.
 
« Première année » : un film intense sur l’amitié… et la PACESCette fois, de façon fictionnelle, mais tout à fait réaliste. Contacté par téléphone, il explique cet engouement pour le monde médical par « quelque chose d’évident. On a tous été soigné, à défaut d’être soignant, et ce, dès la naissance ». Mais si tout un chacun est familier des odeurs, des couleurs, de l’ambiance de l’hôpital, en découvrir les coulisses est un exercice savoureux. « C’est aussi un univers dont tout le monde n’a pas les codes. On y voit défiler les grandes thématiques de la vie, de la mort, de la douleur, ce qui implique une dimension fictionnelle et romanesque dont tous les genres artistiques se nourrissent depuis toujours », explique le réalisateur.
 
« Première année » s’inscrit dans la veine des autres films de Thomas Lilti. Depuis « Hippocrate » (ou les tribulations d’un interne, en 2014), véritable succès critique et populaire, le quarantenaire s’affirme pleinement comme cinéaste même s’il reste médecin de formation et le revendique. « Médecin, c’est mon métier , réaffirme-t-il, c’est ce que je connais et sais faire. Et ce même si je n’exerce plus. Mais le cinéma, c’est ma passion ».
 
Pourtant, loin de lui l’idée d’avoir livré -encore- un opus « médical ». Il le rappelle judicieusement, « mon premier film - « Les Yeux bandés »- ne portait pas du tout sur le milieu médical » (ce long métrage évoque un fait grave fait divers sur fond de relations familiales complexes, ndla). Au contraire, comme il le disait lors de l’avant-première du 10 septembre, sur la scène du cinéma Gaumont Montparnasse, « Première année » est d’abord un film sur « la jeunesse et l’amitié ». Et il ne manque pas son objectif : c’est bien le fil conducteur de toute l’intrigue, jusqu’à une fin qui questionne le sens des rêves et des illusions de nos vingt ans. Sont-ce toujours les nôtres ou ceux des êtres chers dont on se convainc de la justesse ?
 
Mais il fait aussi pénétrer dans les coulisses de cette première année, mythique par sa difficulté et choisit un angle d’approche original, en abordant la question du « déterminisme social » qui concerne l’accès aux études supérieures. Dans le film se répondent, s’attirent et se rejettent, comme les affinités électives de Goethe en leur temps, deux personnages, les étudiants Antoine et Benjamin. Venus d’univers sociaux différents - dont les codes sont subtilement dépeints par petites touches – et nourris de motivations différentes- là encore influencées par leur contexte socio-familial,- les deux amis vont évoluer et grandir lors de cette première année. Leur relation sera tour à tout un moteur ou un frein à leur réussite réciproque. Ainsi le film « questionne un système » et aborde des questions politiques, au sein d’un « univers éminemment romanesque », comme le rappelle Thomas Lilti.
 
Le long métrage insiste sur la façon dont Antoine et Benjamin expérimentent dans leur corps l’extrême intensité de leur année. Mis sur la fonction « pilote automatique », ils passent par le burn out et l’épuisement. Leur corps est mis à rude épreuve et devient le réceptacle de pressions tant personnelles, que familiales ou sociales. Nombreuses sont d’ailleurs les scènes de travail, de révisions, d’apprentissage où s’entraident les deux étudiants, qui surpassent leurs capacités « normales » de labeur. Les post-its posés sur les murs de leur studio forment une symphonie colorée de connaissances, dont la partition doit être apprise par cœur et jouée sans aucune erreur les jours d’examens blancs. Et si l’on est témoin de l’évolution des deux amis dans les bancs des amphithéâtres bondés, on les voit aussi lors de passages qui abordent plus frontalement leur future vie professionnelle : lors de stage en bloc opératoire, mais aussi espionnant les étudiants en 3e année lors d’une séance de dissection.
 
Ce regard porté sur deux trajectoires, tout en finesse, bien dosé en humour, s’inspire évidemment du vécu de Thomas Lilti, tant au niveau de ses études que dans la pratique hospitalo-universitaire, « très hiérarchisée, comme sur un plateau de cinéma, où de la même façon, cohabitent différents corps de métiers qui unissent leur talent. Là où une infirmière n’a pas le même rôle à jouer qu’une aide-soignante, qu’un médecin », mais où la réunion de tous ces corps de métier permet de réaliser collectivement le soin, à chaque étape. En médecine, comme au cinéma, le collectif est essentiel.
 
Delphine Bauer

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