Prisons en grève : les soignants entre solidarité et inquiétude

Voilà quinze jours que les surveillants pénitentiaires bloquent des prisons. Quinze jours que les soignants des unités sanitaires en détention composent avec ce mouvement social. Balançant entre soutien aux gardiens et crainte pour eux-mêmes et leurs patients.

Prisons en grève : les soignants entre solidarité et inquiétude

Devant la prison de Fresnes. © DR

Ne disposant pas du droit de grève, les grévistes filtraient entrées et sorties. Ils sont pourtant nombreux à avoir aussi « déposé les clefs ». Des actions qui affectent les équipes médicales en détention. Une vingtaine de prisons sur 188 restaient touchées samedi.

Dans plusieurs établissements, les surveillants ne laissaient entrer qu’un ou deux infirmiers et un médecin. « Depuis le début, c’est très difficile. A l’intérieur, le travail ne se déroule pas dans des conditions normales », rapporte le docteur Michel David, président de l’ASPMP (association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire). Dans certains endroits, les relations entre soignants et surveillants se tendent alors que d’habitude ça va. »

Mouvements restreints

L’inquiétude porte sur la continuité des soins. Faute de surveillants assez nombreux, les mouvements sont restreints. Sécurité des soignants oblige. « Les patients arrivent au compte-gouttes ou pas du tout, poursuit Michel David. Dans beaucoup d’endroits, il n’y a plus d’entretiens. » « On en est à les reprogrammer pour après les vacances scolaires de février. Nous nous attendons à des signalements de la pénitentiaire pour des personnes très angoissées », abonde Elisabeth*, infirmière de psychiatrie à la maison d’arrêt de Fresnes (94).

Quant aux distributions de médicaments, en cellule, « elles ont été priorisées au plus urgent, comme pour les hypertendus », explique Carole*, infirmière à Fresnes. De même pour les traitements de substitution aux opiacés : « La tension était palpable, mais tout s’est bien déroulé », apprécie Elisabeth*.

Consultations annulées

Au niveau des consultations, « on a réussi à voir les patients diabétiques, dialysés... », rassure Carole*. Les urgences n’ont pas été entravées. Au contraire des autres sorties pour l’hôpital. « Nous avons des suspicions de tuberculose ou d’infection pulmonaire, qui étaient encore à l’isolement médical à Fresnes ce week-end. » Même constat ailleurs. « Toutes les consultations externes ont été annulées : comme une échographie abdominale par exemple. Cela entraîne une perte de chances », s’alarme un cadre de santé en poste dans une prison du sud de la France, qui souhaite garder l’anonymat.

Les barrages ont entraîné des retards. « Vendredi, nous n’avons pu entrer qu’à 11h, relate une cadre de santé d’une maison d’arrêt francilienne. On ne peut pas faire toutes les consultations que l’on devrait, on ne traite pas la bobologie. Mais notre équipe soutient les surveillants. »

Côtoyant les gardiens au quotidien, les soignants sont tiraillés. « Cette situation met en danger la santé des détenus. D’un autre côté, on comprend cette grève et on préfère négocier, résume prudemment Michel David. Mais nous commençons à être soucieux. »

« Nous avons inclus les détenus dans ce mouvement, indique même Elisabeth*, en leur en expliquant les raisons : améliorer les conditions de travail des surveillants pourrait aussi améliorer leurs conditions de détention. » A Fresnes, la solidarité était de mise, en dépit d’un contexte extrêmement tendu.

« Les détenus frappaient sur les portes »

Les choses y reviennent doucement à la normale. Mais en début de semaine dernière, il n’y avait ni promenade, ni distribution de petit déjeuner aux détenus du quartier arrivants. « Les infirmières leur ont distribué des compléments alimentaires pour tenir un peu », précise Carole*.

La prison était en effet quasiment vidée de ses surveillants. Sans aucun policier dans la détention pour suppléer les grévistes. Et face à un énervement croissant chez les détenus. Les équipes médicales, installées au cœur de la prison, ont craint mercredi pour leur sécurité. « Tous les détenus frappaient, frappaient sur les portes, avec des chaises semble-t-il. On se disait qu’à force, elles finiraient par céder. C’était vraiment flippant. »

Alertée par les médecins chefs du service médico-psychologique régional, la direction de l’hôpital de rattachement (Paul Guiraud à Villejuif) de cette unité sanitaire, a fait sortir tous ses personnels. A l’exception d’un psychiatre et d’une infirmière déménagés près de la sortie, en cas d’urgences médicales. « Les équipes de soins somatiques, dépendant de l’hôpital Bicêtre, ont dû rester à leur poste », témoignent les infirmières de Fresnes.

Syndicat majoritaire de surveillants, l’UFAP-UNSA a signé, seul, vendredi, un protocole d’accord avec le ministère de la Justice. Il propose une augmentation de 1 150 euros par agent et par an, pour un salaire fixé aujourd’hui à environ 1 500 euros net mensuels, primes incluses. Ainsi que la création de 1 100 emplois, alors que l’administration pénitentiaire ne parvient déjà pas à pourvoir tous les postes déjà existants. Faute de s’attaquer franchement à des conditions de travail délétères, ces mesures ne résolvent rien sur le fond.

Emilie Lay

* Les prénoms ont été changés

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