Prisons : Le secret médical mis à mal

Alors que la politique sécuritaire tend à s’accentuer dans les prisons, les soignants y exerçant sont de plus en plus invités à livrer des informations médicales sur les détenus. Ce qui pose des problèmes juridiques et déontologiques.

Prisons : Le secret médical mis à mal

Faut-il poser des exceptions au secret professionnel ? Cette interrogation, pleinement dans l’air du temps (cet article a été initialement publié dans le magazine ActuSoins l'an dernier, juste après l'affaire de la German Wings, ndlr) avec une actualité débordante de drames liés en partie à un non-dit médical concerne aussi – et surtout – les prisons.

En milieu carcéral, un détenu malade reste avant tout un patient pour les équipes médicales qui le soignent. Hors de question donc de révéler quoi que ce soit à l’administration sur son état. « Si par exemple un juge a besoin d’un avis psychiatrique sur un détenu, il devra le demander à un expert, nommé par la Cour, et non à l’équipe qui suit le patient », explique le Dr Michel David, psychiatre et président de l’ASPMP (Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire).

Plus que la sécurité extérieure en sortie de prison, c’est la sécurité interne qui est souvent évoquée, pour justifier un partage de données. « On voudrait qu’il y ait un secret partagé entre les différents acteurs. Si le patient a la gale, la tuberculose, une hépatite contagieuse, ou si les psychiatres le soupçonnent de se radicaliser, nous devrions le savoir pour mettre en place les protocoles adéquats », regrette Fadila Doukhi, première surveillante pénitentiaire du secteur Est, déléguée syndicale Force Ouvrière.

« Ça peut paraître évident, mais ce n’est pas ce qui se pratique. Nous sommes exclus des équipes de soins », ajoute la surveillante. Un argument contré par certains soignants, qui n’y voient parfois qu’inquiétude injustifiée. « Si l’état psychiatrique ou médical d’un détenu nécessite des soins poussés, de toute façon, il ne devrait pas être en prison, mais bien à l’hôpital. En prison, le personnel n’a pas besoin de nous pour connaître les détenus. S’ils sont dangereux, les surveillants sont les premiers à le savoir », explique le Dr Michel David, regrettant à son tour une incompréhension et un manque de communication entre les différents métiers au sein même des prisons.

Les soignants, en majorité, boycottent les réunions d’équipe

Depuis une circulaire datant de juin 2012, les soignants sont vivement encouragés à participer aux CPU (commissions pluridisciplinaires uniques), des réunions d’équipes organisées pour l’ensemble des acteurs du milieu carcéral. À la demande éventuelle du directeur d’établissement, c’est un médecin, un cadre infirmier ou un infirmier qui doit s’y rendre.

Et ça, ça passe mal. Car, sauf si les soignants s’y taisent, le secret médical est trahi. « Nous avons décidé de ne pas assister à ces CPU », explique Henri Marteau, cadre infirmier au CHU de Montpellier, exerçant à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, relayant l’appel au boycott des CPU par l’APSEP (Association des Professionnels de Santé Exerçant en Prison).

« Quand les patients viennent nous voir, ils nous confient des choses. On leur garantit que ce qu’ils nous disent ne sortira pas du poste de soins. Pas question de trahir la confiance qui s’établit alors. Nous contraindre de révéler des éléments de son dossier nuit au bon traitement des patients. Car s’il n’a plus confiance, il ne nous livre plus ni les informations ni les confidences nécessaires à son bon traitement », ajoute le cadre infirmier. Et de préciser : « nous allons seulement aux réunions de suivi des surveillances particulières, c’est un choix de bon sens ».

Du côté du droit, il y a ambiguïté aussi. « La circulaire, qui vient préciser des éléments de la loi de 2009 puis du décret d’application de 2010, donne clairement une autorisation de donner des informations médicales sur le patient détenu. Mais la violation du secret professionnel est punie par le droit pénal. Dès lors que l’on donne une autorisation de violer le secret, on pose une exception. Cette exception ne peut pas être posée par une simple circulaire. Elle doit l’être par une loi. Ce qui rend normalement la circulaire de 2012 inapplicable », explique Valérie Olech, doctorante en droit privé, qui prépare une thèse sur l’impact des technologies de la communication sur le secret professionnel et qui s’intéresse particulièrement au sujet du secret en prison.

Une circulaire inapplicable : c’est aussi ce qu’a estimé l’OIP (Observatoire International des Prisons) qui y lit clairement une violation des droits fondamentaux des détenus. L’OIP a saisi le Conseil d’Etat en 2014. Après un rejet de la saisine, « étonnant », selon Valérie Olech, la circulaire est toujours en application.

La sécurité carcérale est-elle plus importante que la protection de la vie privée des détenus ? Les soignants doivent-ils trahir la confiance instaurée avec leur patient sous prétexte que ceux-ci sont potentiellement dangereux pour autrui ? Pour Valérie Olech, la situation juridique de ce problème est « dérangeante », d’autant que finalement les médecins et les soignants sont libres de leur choix.

« Soit il faut leur imposer de révéler des secrets professionnels par une loi, comme en Suisse, soit au contraire, les laisser tranquille avec leur secret. Dans notre situation, on laisse le professionnel décider, et donc prendre toute la responsabilité. C’est lui qui subira les pressions de l’administration s’il refuse de communiquer, c’est lui qui aura des frictions avec les surveillants pénitenciers qui ne comprennent pas les conditions de travail des soignants », soulève la doctorante en droit.

Un logiciel de données, objet d’une nouvelle polémique sur le secret

Un fichier, baptisé Genesis (Gestion Nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité) est en voie de généralisation en milieu carcéral. C’est un logiciel de traitement de données, destiné à toute l’administration pénitentiaire. Il recense, entre autres, les informations recueillies pendant la détention des prévenus et est supposé pouvoir contenir des éléments concernant la prise en charge médicale ainsi que le risque suicide des patients.

« Les professionnels de santé doivent impérativement s’opposer à renseigner quoi que ce soit sur cet outil informatique », indique le Dr Michel David, le président de l’ASPMP. À suivre…

Malika Surbled

Cet article est paru dans le numéro 17 d'ActuSoins (Juin / Juillet/ Août 2015). Pour vous abonner à ActuSoins magazine, c'est ICI

A lire aussi, dans le dernier numéro d'ActuSoins (n°21), notre "Une" : "Soigner en prison, une difficile cohabitation"

 

En prison, les soignants dépendent de l’hôpital, pas de l’administration pénitentiaire

Depuis 1994, la médecine en milieu carcéral, est confiée au service public hospitalier. Les soignants y exerçant (que ce soit en UHSA, les unités psychiatriques ou en UCSA, les unités de soins ambulatoires) ne sont donc pas considérés comme du personnel pénitentiaire, mais bien comme des intervenants extérieurs, même s’ils sont présents toute la journée et que le milieu carcéral constitue leur principal lieu de travail. Cette différence marque leur indépendance, remise elle aussi en question par le logiciel Genesis (voir article) qui leur impose une adresse mail de type @justice.fr. Cette différence est sujette à de nombreuses incompréhensions de la part des différents acteurs du milieu carcéral, qui ne comprennent pas pourquoi les soignants font d’un côté partie de l’équipe, mais qu’ils ne peuvent d’un autre côté, pas partager certaines informations.

 

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Réactions

1 réponse pour “Prisons : Le secret médical mis à mal”

  1. Niko Bro dit :

    La legislation n’a malheureusement pas franchi le 21è siècle.

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