Aster-SGS : quand l’industrie des essais cliniques laisse ses employés sur le carreau

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Le 31 octobre, les 88 salariés d'Aster-SGS, centre d'essais cliniques parisien, auraient du tous se retrouver officiellement au chômage, et le site parisien fermé. Si la fin de l'entreprise est bien programmée, les derniers salariés n'ont pas dit leur dernier mot et font de la résistance. Ils entament leur dernier combat.

L'histoire sentait mauvais depuis 2006 que l'entreprise familiale d'essais cliniques Aster avait été rachetée par le groupe suisse SGS.

Déjà des doutes s'étaient emparés des 99 salariés. Selon l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise, il était à prévoir que « l'activité parisienne serait redirigée vers le site belge de la compagnie, où les droits sociaux sont inférieurs », raconte Jean-Michel Socrier, technicien de laboratoire et élu CGT. Le sursis pouvait commencer.

Les choses se précipitent finalement en fin d'année dernière : les carnets de commande s'étaient certes amoindris, avec le départ des deux plus gros clients, Astellas et Sanofi. La baisse de l'activité est alors de -20%, mais tout n'est pas perdu, de « nouveaux bons de commande commençaient à se remplir », affirme Dominique, infirmière, qui attendait son licenciement officiel pour la , comme ses collègues.

« Pour 2013, nous avions déjà 15 millions d'euros de commandes assurées. Mais SGS les a annulées ou redirigées vers son site belge », éclaire Jean-Michel Socrier. Le sentiment que l'entreprise s'est tirée une balle dans le pied fait jour. Il aurait fallu réagir, diversifier la clientèle pour compenser les cycles de commandes, pas toujours positifs, ce que suggère alors Jean-Michel Socrier. Ses collègues et lui font parvenir un droit d'alerte à la direction. Resté sans réponse. L'inquiétude grandit au sein des salariés.

Le 2 janvier, la nouvelle tombe comme un couperet : un plan social sévère est prévu, qui prévoit une suppression de 90% des et une cessation d'activité.

Si les employés sont naturellement inquiets pour leur situation personnelle, c'est surtout l'incompréhension qui règne. Et la colère. « Après 13 ans, la prime d'indemnité qu'on me propose est dérisoire », se désole par exemple Dominique, qui entre temps, a dû recommencer à travailler en mi-temps à l'hôpital.

Un groupe bénéficiaire

« Le groupe SGS est largement bénéficiaire », lâche pourtant Jean-Michel Socrier, amer, avec une croissance de presque 17% sur l'année dernière et un chiffre d'affaires d'environ 5 milliards d'euros. Le maître mot semble être « rentabilité ». Preuve en est : la seule unité préservée est celle de l'analyse des résultats (9 salariés), ultra performante. Anita Hodak, rédactrice médicale, dont l'emploi sera préservé, le dit elle-même : « Nous faisons le même travail qu'une équipe de 20 personnes ! » Les actionnaires ont fait comprendre qu'ils en avaient assez qu'Aster-SGS ne soit pas assez rentable.

Pourtant, les employés ont proposé des solutions à la direction pour réduire les coûts fixes, comme « les loyers des trois locaux parisiens qui impactaient fortement le chiffre d'affaires », rappelle Anita Hodak.

Autre mystère : le projet de reprise n'a finalement pas abouti. Le médecin de l'unité des essais espérait en effet reprendre l'affaire. Il a cherché à obtenir un investissement de 1,2 million d'euros supplémentaire, mais la direction a refusé, malgré l'avis favorable de l'expert-comptable sur la viabilité du projet.

Derrière ces incohérences, les employés ont de fortes suspicions : le groupe souhaitait-il rediriger les activités vers la Belgique dès la reprise en 2006? Dans ce pays limitrophe, le centre de tests cliniques est implanté dans le CHU. Pratique quand on sait que le personnel de l'hôpital peut faire des vacations dans le centre. Avec de telles conditions de travail, SGS est forcément gagnant.

Des perspectives de développement balayées par la direction

Pourtant, les employés français du site parisien du 15e arrondissement continuent d'être payés, alors qu'ils sont au chômage technique, comme c'est le cas de Dominique, l'infirmière, qui n'a pas remis les pieds à Aster depuis février dernier.

« Les loyers sont encore réglés, ainsi que toutes les charges, l'électricité... Ils paient une fortune », regrette-t-elle. Pour rien. Le 31 octobre, le site était censé fermer définitivement. Or, il reste un bastion d'une vingtaine de salariés, qui attendent leur lettre de licenciement, et pour les élus, une notification. Jean-Michel Socrier s'interroge. « Vu le travail qui reste encore à faire, impossible à SGS de fermer dans l'immédiat : renvoi des échantillons, des médicaments, destructions de certains dossiers, signature des médecins sur les rapports qui ont été investigateurs, archivage etc. », précise-t-il.

A l'heure difficile des derniers moments, des promesses de reclassement non tenues (une sûre pour le moment, six autres potentielles sur les 45 salariés déjà licenciés), un espoir pourtant continue de les faire tenir. « Nous envisageons d'engager une action aux Prud'hommes. Que la direction prenne la décision de fermer un site, c'est une chose, mais alors que les perspectives économiques s'annonçaient positives dans le secteur des essais cliniques, on ne comprend toujours pas. »

Si ce plan social s'inscrit « classiquement » dans une démarche de recherche de rentabilité à tout prix, il alerte également sur les conditions dans lesquelles sont réalisés les essais cliniques ailleurs. La législation belge est plus souple sur les conditions de travail des employés et cela pose déjà certains problèmes en terme de qualité des essais, avancent à mi-mots les employés français. Mais en Inde, force est de constater que la délocalisation des essais cliniques met la santé des testeurs en danger... Avec même parfois, des morts à la clé. Triste comble : l'année dernière, l'équipe de Canal Plus, qui enquêtait précisément sur ces délocalisations, était venue filmer l'entreprise Aster-SGS, alors fer de lance français des essais cliniques à l'échelle européenne.

 Delphine Bauer

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